-...................................- Projet Constituant des Citoyens français -
L'Avenir des Institutions nous appartient

Groupe Institutions Assemblée Nationale

Cette page reprend une partie des travaux d'un groupe créé par l'Assemblée Nationale qui doit réfléchir sur “l'adaptation de notre régime”, sans aucune consultation préalable des citoyens, ce qui semble étonnant compte tenu de l'enjeu : une réforme de nos institutions !
Un recours en Conseil d'Etat est déposé pour attaquer l'abus de pouvoir commis par l'administration qui supporte ce groupe. Le texte est donné ci-dessous et il est à la disposition de chacun, il suffit d'envoyer le courrier.
La souveraineté constitutionnelle du peuple est inaliénable, pourtant encore une fois les partis se l'approprient. Nous ne devons pas l'accepter.
Des commentaires sur ces travaux sont présentés en violet.


M Bartolone, président de l'Assemblée nationale, a décidé de créer le 1er octobre 2014, lors de l'ouverture de la session parlementaire, un groupe de travail pour réfléchir à la réforme des institutions, qui se réunit depuis le 27/11/2014 et, publiquement, depuis le 19 décembre.
Le rapport sera remis en octobre 2015. Nous ne serons pas consultés, les citoyens sont bien trop niais pour s'intéresser à leur avenir, il suffit qu'ils payent! Nous, les partis et ceux qui en usent, avec les deniers publics, on s'en charge.

Une lettre que chacun peut reprendre a été transmise à ce groupe, en dernière partie de cette page. Les adresses mails sont indiquées.

Ce groupe de travail est présenté sur:

 

Groupe de travail sur l’avenir des institutions


Recours en annulation pour excès de pouvoir


À …..................., le …...................... 2015. Recommandé avec accusé de réception

Conseil d’État,

Bureau du greffe

1, place du Palais Royal, 75100 PARIS CEDEX 01

Affaire : Monsieur …..... c/ Secrétariat général de l'Assemblée nationale


 

SAISINE

Référence : acte relatif à la soumission aux citoyens le 2 octobre 2015, par le Secrétariat général de l'Assemblée nationale, d'un questionnaire demandant « Donnez votre avis sur le questionnaire du groupe de travail » - Groupe de travail sur l'avenir des institutions: refaire la démocratie -, sur le site http://www.assemblee-nationale.fr/consultation_gt_instit/ nécessitant de répondre à cette consultation au plus tard le 31 octobre 2015.


 

Madame, Monsieur,

Dans l’affaire citée en référence, je vous prie de bien vouloir trouver sous ce pli les 4 exemplaires du recours pour excès de pouvoir contre l’acte administratif exécutoire pris par le Secrétariat général de l'Assemblée nationale qui m’a été notifié, ainsi qu'à l'ensemble des citoyens, le 2 octobre 2015.

Vous trouverez annexés à mon recours, en pièce 1, la décision querellée et en pièce 2 les textes d'un rapport d'un groupe de travail créé au sein de l'Assemblée nationale à laquelle la pièce 1 se réfère.

La présente requête est un recours auprès du Conseil d’État en annulation pour excès de pouvoir à l'encontre d'un acte du Secrétariat général de l'Assemblée nationale. Cette administration a publié le rapport du Groupe dit « de travail sur l'avenir des institutions » de l'Assemblée nationale intitulé « Refaire la démocratie », sur le site http://www2.assemblee-nationale.fr/14/commissions-permanentes/avenir-des-institutions (groupe co-présidé par Messieurs Claude Bartolone et Michel WINOCK). Le Secrétariat général de l'Assemblée nationale a par suite soumis au public et par conséquent au requérant, le vendredi 2 octobre 2015, via ce site que ce Secrétariat général de l'Assemblée nationale administre, un questionnaire dit « citoyen » qui devait être relatif aux questions institutionnelles traités par ce rapport. Ce questionnaire demande au requérant (comme à tous les citoyens) de se prononcer sur ces questions engageant l'avenir des institutions françaises en cochant des cases, au plus tard le 31 octobre 2015, faute de quoi les réponses ne seraient pas considérées. Cette mesure relative à la présentation d'un tel questionnaire et la demande de réponses fermées qu'il formule fait grief aux droits civiques du requérant dès lors qu'il se voit privé, du fait de ce questionnaire, de la possibilité de s'exprimer en premier lieu par la voie d'une consultation légale garantissant la légitimité de chacun à y répondre sur des questions institutionnelles qui doivent être posées au citoyen sous l'autorité d'une institution publique régulièrement mandatée. De plus les réponses aux questions sont requises dans un délai très contraint en regard de leur complexité et sous une forme qui ne permet pas de valider la qualité du répondant l'autorisant à donner un avis. Enfin, ce questionnaire ne permet pas de formuler des observations ouvertes et concrètes sur les propositions présentées, contredisant ainsi dans sa forme les propositions du rapport auquel il se réfère.

Vous en souhaitant bonne réception,

Je vous prie de croire, Madame ou Monsieur, à l’assurance de ma considération distinguée.

P.J : recours en 4 exemplaires et 2 pièces jointes

Signature

Requête en Conseil d’État

Recours en annulation pour excès de pouvoir

POUR :

Mme ou M …............................................................., requérant(e)

né(e) le ….................. à …...................................., de nationalité française, demeurant

........................................................................

le octobre 2015 Recommandé avec accusé de réception

Adressé en quatre exemplaires au

Conseil d’État, Bureau du greffe

1, place du Palais Royal, 75100 PARIS CEDEX 01CONTRE :

L'acte administratif objet du présent recours en annulation pour excès de pouvoir est constitué par le texte de présentation du questionnaire soumis au public le 2 octobre 2015 et par les documents de recueil et de traitement des réponses attachés à ce questionnaire établis le Secrétariat général de l'Assemblée nationale, acte dit ci-après « le questionnaire », qui fait suite à la publication d'un rapport intitulé « Refaire la démocratie » d'un groupe de travail de l'Assemblée nationale dit « sur l'avenir des institutions », questionnaire qui exige une réponse au plus tard le 31 octobre 2015 et qui fait grief aux droits d'expression du citoyen sur les questions institutionnelles.

Pièces jointes : inventaire des pièces,

Pièce 1 - Questionnaire dit « citoyen » soumis au public par le Secrétariat général de l'Assemblée nationale le 2 octobre 2015

Pièce n° 2 - COMPOSITION DU GROUPE DE TRAVAIL SUR L'AVENIR DES INSTITUTIONS, SOMMAIRE et SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS du Rapport du groupe de travail sur l'avenir des institutions intitulé « Refaire la démocratie ».


 


 


 

1 Exposé précis des faits

Par l'acte constitué par le Questionnaire dit « citoyen » soumis au public par le Secrétariat général de l'Assemblée nationale le 2 octobre 2015, cette administration fait grief aux droits civiques du requérant en raison des éléments exposés ci-après. Le présent recours est intenté avant le 31 octobre 2015 pour des raisons de cohérence avec le délai imposé le Secrétariat général de l'Assemblée nationale, dans le délai franc de deux mois qui suit la publication de cet acte.

À l’ouverture de la session parlementaire 2014-2015, le Président de l’Assemblée nationale a proposé que soit mis en place un groupe de travail dit « pluraliste » et « transpartisan » sur l’avenir des institutions, afin de mener « une réflexion de fond sur l’adaptation de notre régime aux mutations politiques, économiques, sociales, culturelles et technologiques ». Ce groupe se proposait de « refaire la démocratie », ainsi qu'il a intitulé son rapport et il n'était cependant pas évoqué à ce stade que les citoyens puissent être globalement consultés à ce titre. Ce groupe de travail a ensuite fonctionné, sans que les citoyens autres que quelques invités soient sollicités pour intervenir sur le contenu des débats, en conduisant, du 27/11/2014 au 26/06/2015, quatorze réunions, puis en rédigeant un rapport et en le faisant publier par Secrétariat général de l'Assemblée nationale sur des pages publiques dédiées aux publications du groupe de travail du site de cette assemblée. Les comptes-rendus écrits de ces réunions ont été publiés sur le site du groupe de travail pour les neuf premières réunions, jusqu'à celui de la réunion du 10/05/2015.

Ce groupe de travail de l'assemblée nationale dit « sur l'avenir ses institutions », ci-après désigné par « le Groupe », a présenté son rapport au Président de la République puis ce rapport été publié le vendredi 2 octobre 2015 pour son tome 1 par le Secrétariat général de l'Assemblée nationale, le rapport complet ayant été publié quelques jours plus tard.

Le Secrétariat général de l'Assemblée nationale a conjointement soumis aux citoyens, au public et par conséquent au requérant le 2 octobre 2015 un questionnaire dont les réponses à fournir, pour pouvoir être susceptibles d'être considérées, devaient être présentées par le requérant, par le public, au plus tard le 31 octobre 2015.

 

Ce rapport, intitulé « Refaire la démocratie », avance dix-sept propositions dites « ambitieuses et concrètes » par les auteurs récapitulées en pièce 2 du présent recours, autour de cinq axes : « restaurer le lien entre les citoyens et leurs représentants », faire émerger « un citoyen responsable au cœur des institutions », disposer d'« un exécutif plus équilibré et mieux contrôlé », promouvoir « le Parlement du non-cumul », et « consolider l’État de droit ». Ces propositions ont été élaborées, précise le rapport du Groupe, à partir des réponses des membres du Groupe à un questionnaire préférentiel qui comptait 83 questions principales, 50 sous-questions et abordait l’ensemble des thèmes sur lesquels le groupe avait réfléchi.

Le Secrétariat général de l'Assemblée nationale a soumis depuis le 2 octobre 2015 aux citoyens sur le site qu'il administre (dont l'adresse est : http://www2.assemblee-nationale.fr/14/commissions-permanentes/avenir-des-institutions) le tome I du rapport et le questionnaire donné en pièce 1 de la présente requête. Il était précisé, le 2 octobre 2015 : « participez au questionnaire citoyen » et « Le tome II sera prochainement mis en ligne » ; les réponses devaient être données au plus tard le 31 octobre.

Le rapport disponible dans son intégralité contient neuf cent soixante pages dont la lecture apparaît nécessaire pour répondre de façon utile et clairvoyante à ce questionnaire.

Selon ce que précise le site que le Secrétariat général de l'Assemblée nationale administre et sur lequel cette administration demande de répondre avant le 31 octobre, c'est à présent au tour des citoyens de remplir ce questionnaire pour « dessiner leur réforme des institutions ». Il est également précisé par le Secrétariat général de l'Assemblée nationale que « cette consultation s'achèvera le 31 octobre 2015. », injonction qui fait de cet acte un acte exécutoire.

Il est possible d'accéder au questionnaire citoyen sur le site http://www.assemblee-nationale.fr/consultation_gt_instit/.


 

VALIDITÉ DE L’ARRÊTÉ ATTAQUÉ

Sur la forme : moyens de légalité externe.

1) – incompétente « ratione materiae »: la décision de soumission du questionnaire a été prise par une administration, le Secrétariat général de l'Assemblée nationale, qui n’avait pas le pouvoir de prendre la décision. Les questions posées au citoyen et le contrôle de la validité des réponses du fait que le répondant est bien citoyen français et qu'il dispose de ses droits civiques ne peuvent l'être que sous l'autorité d'une institution publique régulièrement mandatée à ce titre. Cette demande du Secrétariat général de l'Assemblée nationale adressée par l’intermédiaire du site qu'il administre aux citoyens et par conséquent au requérant outrepasse les pouvoirs et les fonctions du Secrétariat général de l'Assemblée nationale et constitue l'une des motivations du présent recours en annulation pour excès de pouvoir à l'encontre de l'acte de cette administration. En effet les réponses peuvent être données par toute personne ayant accès au réseau internet sans aucun contrôle de l'identité du répondant, toute personne peut répondre un nombre indéfini de fois, et les éventuelles réponses peuvent être provenir de personnes n'ayant pas la nationalité française.

2) – vice de forme et de procédure : la décision a été prise en méconnaissance de l’accomplissement des formalités et procédures d'identification du répondant et de procédures de consultation auxquelles était assujetti l’acte administratif de consultation des citoyens, afin de valider l'origine des réponses et leur formulation.

La procédure d'information objective du citoyen n'a pas été respectée car le Secrétariat général de l'Assemblée nationale, dans le questionnaire que cette administration soumet, ne s'est pas assuré qu'une liste exhaustive de réponses possibles était bien présentée, ou faute de le faire, n'a pas précisé la manière dont elles ont été sélectionnées, alors que le tome 1 du rapport va bien au-delà du champ des réponses proposées ; le requérant est de plus privé de la connaissance immédiate du tome 2 au moment où le questionnaire lui est soumis. Les questions limitent de plus le champ des avis à certains aspects des institutions et ne permettent d'exprimer ces avis que sous une forme très élémentaire qui porte atteinte aux intérêts du requérant en limitant de fait son pouvoir d'expression.

Nombre de questions institutionnelles abordées dans le rapport complet du Groupe échappent au requérant, comme le montrent le sommaire du rapport du Groupe et la liste des thèmes étudiés, donnés en pièce 2. On notera à ce sujet, en particulier (voir Pièce 2) la Proposition n° 14 : « Faire une place plus large aux citoyens » qui prétend s'attacher à « développer les ateliers législatifs citoyens. » (page 122, point 1 de la proposition 14) ; le Secrétariat général de l'Assemblée nationale par ce questionnaire ignore l'application de cette procédure. Le rapport propose poutant bien de « Développer les ateliers législatifs citoyens » et en décrit une fonctionnement possible : « les ateliers, organisés au niveau local, permettent de réunir citoyens, associations et professionnels, afin de leur présenter un texte, en amont de sa discussion au Parlement. Un débat est ensuite organisé, permettant au député qui en est à l’origine, d’enrichir sa réflexion. ». Le rapport ajoute : « Il est proposé d’expérimenter la généralisation de ces ateliers et leur inclusion dans la procédure législative, en amont de la discussion de la loi. ».

le Secrétariat général de l'Assemblée nationale ignore également l'application la procédure de consultation mise en place par l'Assemblée nationale lors des phases se plaçant en amont de la préparation des lois. Cette procédure de consultation formelle préalable telle que M Claude Bartolone l'avait instaurée existe pourtant bien, comme ce fut le cas pour la Consultation citoyenne de février 2015 relative à la proposition de loi n° 2512 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie présentée par MM. Alain Claeys et Jean Leonetti (voir le lien http://www2.assemblee-nationale.fr/consultations-citoyennes/droits-des-malades-et-fin-de-vie ) en février 2015. De plus, le citoyen pouvait dans ce cas déposer des commentaires ouverts sur les propositions et, selon ce qui était affirmé, ces avis devaient ensuite être soigneusement collectés. Aucun des principes de cette procédure n'a été appliqué à l'acte du Secrétariat général de l'Assemblée nationale objet du présent recours.

 

Également sur la forme, seulement 30 jours sont accordés par le Secrétariat général de l'Assemblée nationale, au maximum, pour répondre sur des sujets aussi vastes et aussi éloignés du champ simplement administratif que sont, tel que le questionnaire les énumère :

  • les modes d'élection du Président de la République et ses fonctions

  • les modes de désignation, de fonctionnement, de structure du législatif et de l’exécutif,

  • le nombre de parlementaires et leur répartition,

  • le mode de scrutin pour les députés,

  • les procédures permettant le vote de la loi (mais le citoyen requérant n'est pas consulté au sujet de distinctions nécessaires à évoquer entre les procédures relatives aux lois organiques d'une part et aux lois ordinaires d'autre part),

  • l'organisation du parlement,

  • le contrôle de l'action du Gouvernement (limité dans ce questionnaire au contrôle du Gouvernement par les parlementaires),

  • la réorganisation des assemblées et en particulier du Sénat,

  • les mandats et le statut des élus et les partis politiques (on évoque seulement les questions de financements mais aucune question relative à leurs privilèges relativement aux autres associations régulières n'est proposée, pas plus que la question des « ateliers législatifs citoyens » et des « amendements citoyens » qui sont pourtant évoqués dans le rapport) en titrant pourtant ce chapitre : « favoriser un renouveau démocratique »,

  • l'Europe (en deux questions),

  • la justice (mais le citoyen requérant n'est pas consulté sur le problème de la séparation de la justice administrative et de la justice judiciaire qui fait de la France une exception).

alors que le Groupe composé de spécialistes de ces questions y a travaillé pendant plus de 10 mois

 

Une procédure de consultation préalable pour ce qui concerne en particulier l'organisation des pouvoirs publics, comme c'est ici le cas, est également précisée par l'article 11 de la Constitution aujourd'hui en vigueur et par ses lois et décrets d'application, à savoir la nécessité pour toute proposition de réforme portant en particulier sur l'organisation des pouvoirs publics, de consulter au moins dix pour cent des électeurs, inscrits et clairement identifiés, pendant une durée de neuf mois. Les principes de cette procédure ont également été ignoré, tout comme les principes des autres procédures possibles, ce qu'aucun caractère d'urgence ne vient justifier.

 

Cette consultation par questionnaire anonyme et de courte durée par le Secrétariat général de l'Assemblée nationale présente pour ces raisons de forme les caractères d'un excès de pouvoir par défaut de compétence, non respect des procédures et défaut d'information des citoyens.


 

Les moyens de légalité externe présenté justifie le présent recours pour excès de pouvoir à l'encontre du Secrétariat général de l'Assemblée nationale .

 

Sur le fond : moyens de légalité interne

1) – le détournement de pouvoir : le Secrétariat général de l'Assemblée nationale agit en ne suivant pas l’objectif assigné à la consultation et dès lorsqu’il y a détournement de procédure.

Aucun contrôle de la qualité du répondant à ce questionnaire ni, en conséquence, du nombre de fois où un même répondant l'a rempli en envoyant ses réponses n'est effectivement prévu. De ce fait a validité juridique des réponses est invérifiable et toute analyse sur les intentions effectives des citoyens français est donc sans valeur, ce qui est contraire à l'objectif affiché par le questionnaire. Il est ainsi rendu impossible pour le requérant et pour tout citoyen de contribuer utilement à cette consultation et de connaître ni même de pouvoir disposer d'un aperçu valable sur les souhaits des citoyens, tout particulièrement en ce qui concerne les intentions du rapport en vue de « Favoriser un renouveau démocratique ». Le questionnaire vient ainsi en contradiction avec le rapport et ses propositions, propositions que ce questionnaire prétend pourtant soumettre à l'avis des citoyens.

2) – la violation de la loi : le questionnaire tel qu'il est soumis aux citoyens par le Secrétariat général de l'Assemblée nationale viole le principe général du droit présenté par la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, en particulier son article 2, faute d'organiser un accès simple aux règles de droit du fait des délais imposés, ainsi que le principe de Souveraineté tels que l'expose le préambule de la Constitution.

Cet acte présente un caractère exécutoire dans la mesure où il impose au citoyen requérant une date limite à respecter, faute de quoi il lui sera impossible de s'exprimer sur ces questions institutionnelles. Outre l'impossibilité matérielle offerte par le questionnaire de commenter les questions, il est notoirement hors de portée pour quiconque de répondre dans ce délai bref en ayant consulté l'ensemble du rapport (960 pages), les impacts de ses réponses sur les formes institutionnelles et en réfléchissant utilement aux réponses, complexes, pour lesquelles une réponse inadéquate pourrait être lourde de conséquences pour les citoyens, par conséquent pour le requérant. De plus, un tel questionnement institutionnel devrait être formulé par un pouvoir législatif qualifié et non par une administration ou par un Groupe dont plus de la moitié des membres ne sont pas des représentants mandatés par le suffrage universel. Cette action du Secrétariat général de l'Assemblée nationale a ainsi outrepassé ses pouvoirs, à savoir ses fonctions et ne respecte pas le principe de Souveraineté que la Constitution confère dans son préambule au peuple français en matière institutionnelle.

Le requérant se trouve face à une alternative qui ne lui laisse aucune liberté : ou bien il tente de répondre au risque de s'égarer compte tenu des délais imposés eut égard à la complexité du sujet, sans possibilité de construire ses réponses au-delà de la date du 31 octobre 2015 ni sans possibilité de s'exprimer convenablement, faute pour ce questionnaire de proposer des réponses sur l'ensemble des dix-sept propositions telles qu'elles sont exposées dans le rapport et faute de possibilité de présenter des commentaires, ou bien il se voit contraint, s'il prolonge sa réflexion au-delà de cette date limite imposée, de ne pouvoir exprimer son opinion sur ces sujets institutionnels majeurs, comme le reconnaissent les membres du Groupe, leur importance ayant justifié selon eux une telle entreprise de leur part.

Les publications par le Secrétariat général de l'Assemblée nationale du rapport du groupe de travail crée par le président de l'assemblée nationale, dit portant « sur l'avenir des institutions », et la soumission par cette administration au public, aux citoyens, par conséquent au requérant, du questionnaire qui s'y rapporte sous une forme et dans un délai contraints, représentent un excès de pouvoir, cet acte administratif ne respectant pas les principes constitutionnels et légaux, pour l'ensemble des raisons précisées dans l'exposé des faits. Le requérant, comme chaque citoyen, est ainsi victime de cet excès de pouvoir qui fait grief à l'expression de ses droits.

 

2 Moyens de droit :

 

2.1 Droit français

Constitution du 4 octobre 1958

Préambule, article 89 et, au Titre II : « Le Président de la République » son article 11 modifié par la LOI constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République et loi organique n°2013-1114 du 6 décembre 2013 portant application de l’article 11 de la Constitution et prévue à l’article 46-I de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008, qui a fixé l'entrée en vigueur de l'article 11 le 1er janvier 2015

Loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations

Conseil d’Etat, Assemblée, Dame Lamotte, 17 février 1950, requête n° 86949, publié au Recueil Lebon 


 

2.2 Droit européen.

 

Article 6(1) du TRAITÉ SUR L'UNION EUROPÉENNE qui stipule que :

« l'Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne du 7 décembre 2000, telle qu'adoptée le 12 décembre 2007 à Strasbourg, laquelle a la même valeur juridique que les traités ».

 

Le droit de vote et le droit de recours sont des droits fondamentaux reconnus par les pays européens :

CHARTE DES DROITS FONDAMENTAUX DE L'UNION EUROPÉENNE (2007/C 303/01) qui précise en particulier le droit de recours en cas de violation d'un droit :

(Article 47)

1. « Droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial

Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l'Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article. »

 

La limitation d'un droit fondamental, tel que le droit de vote, y est encadrée par l'Article 52 :

 

« Portée et interprétation des droits et des principes

1. Toute limitation de l'exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union ou au besoin de protection des droits et libertés d'autrui. »


 


 

3 Conclusions :


 

Par ces motifs et sous réserve de tous autres à produire, déduire ou suppléer, le requérant conclut, sous toutes réserves et notamment celle de produire un mémoire en réplique, à ce qu’il plaise au Conseil d’État

Au principal :

- Annuler l'acte administratif du Secrétariat général de l'Assemblée nationale relatif à la soumission du questionnaire qui porte sur le rapport du groupe de travail sur l'avenir des institutions, de considérer ainsi cette publication comme nulle et non avenue en raison de l'excès de pouvoir qu'elle représente et dont est victime le requérant en qualité de citoyen et d'électeur et de le retirer du site où cette administration l'a soumis aux citoyens et

Annuler l'acte administratif de ce questionnaire relatif aux résultats enregistrés suite aux réponses transmises et dont les origines sont incontrôlées.


 

Subsidiairement :

- Exiger du Secrétariat général de l'Assemblée nationale qu'il veille effectivement à préparer, si cela lui était à nouveau demandé par le Groupe, une nouvelle publication conforme à la loi et aux procédures de consultation, à la seule attention des citoyens français inscrits sur les listes électorales, en nombre au minimum en conformité avec les lois relatives à l'application de l'article 11 de la Constitution, soit au moins dix pour cent des électeurs inscrits sur les listes électorales et ceci pendant la durée prévue par ces lois, en permettant à chacun de présenter ses commentaires et ses propositions d'amendements aux propositions du rapport du groupe de travail comme par exemple le groupe de travail sur l'avenir des institutions le propose selon sa proposition n°14 du rapport grâce à « des ateliers législatifs citoyens »,

- Déclarer que le Secrétariat général de l'Assemblée nationale n’avait pas compétence pour prendre la décision de publier ce questionnaire sommant le requérant, comme tous les citoyens, d'y répondre dans une délai très réduit faute de quoi ses réponses ne seraient pas considérées, et que cette administration aurait dû se conformer aux textes légaux, en particulier à ceux relatifs à l'article 11 de la Constitution ou aux modalités définies par l'Assemblée nationale pour consulter les citoyens en amont du processus de vote des lois,

- Exiger en conséquence du Secrétariat général de l'Assemblée nationale qu'il corrige cet excès de pouvoir dans une future consultation si une telle consultation était prévue sur ce rapport en utilisant les moyens de contrôle et de consultation prévus par la loi, en particulier par l'utilisation, par exemple, du site du ministère de l'intérieur dit relatif au « référendum d'initiative partagée » en application de l'article 11, accessible sur le site https://www.referendum.interieur.gouv.fr/ , et par la validation légale des réponses, comme la loi le prévoit pour celles relatives aux consultations prévue à l'article 11 par le Conseil constitutionnel, ou bien par une consultation ouverte telle qu'elle est organisée par l'assemblée nationale en amont du vote des lois,

- Exiger du Secrétariat général de l'Assemblée nationale, afin de garantir la cohérence de l'acte administratif avec ce même rapport (page 171), de veiller à ce que ce nouveau questionnaire vienne également « proposer aux français-e-s de travailler, dans le cadre d’une assemblée constituante, à une sixième république », ce qui « serait un acte mobilisateur des valeurs de la République et d’une nouvelle citoyenneté », tout en veillant à ce que les partis politiques, pour respecter la nature globale et non partisane indispensable à la réflexion sur des institutions destinées à s'imposer à tous, ne puisent en aucun cas participer ni intervenir auprès des citoyens pour répondre à cette nouvelle publication d'un questionnaire relatif à ce rapport ni n'interviennent dans la mise en place et dans le fonctionnement d'une assemblée constituante qui pourrait en découler.

 

 

Signature du requérant

 

Inventaire des pièces jointes


 

  • Pièce 1 : Questionnaire dit « citoyen » soumis au public par le Secrétariat général de l'Assemblée nationale le 2 octobre 2015

  • Pièce 2 : COMPOSITION DU GROUPE DE TRAVAIL SUR L'AVENIR DES INSTITUTIONS, SOMMAIRE et SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS du Rapport du groupe de travail sur l'avenir des institutions intitulé « Refaire la démocratie ».


 

Pièce 1

Questionnaire dit « citoyen » soumis au public par le Secrétariat général de l'Assemblée nationale le 2 octobre 2015


 


 

Présentation sur

http://www2.assemblee-nationale.fr/14/commissions-permanentes/avenir-des-institutions :


 

Les propositions du rapport du groupe de travail sur l’avenir des institutions ont été élaborées à partir des réponses des membres du groupe à un questionnaire préférentiel.

Le questionnaire compte 83 questions principales, 50 sous-questions et aborde l’ensemble des thèmes sur lesquels le groupe a réfléchi.

C'est à présent au tour des citoyens de le remplir pour dessiner leur réforme des institutions ! Cette consultation s'achèvera le 31 octobre 2015.

Accéder au questionnaire citoyen

http://www.assemblee-nationale.fr/consultation_gt_instit/


 

Groupe de travail sur l'avenir des institutions : refaire la démocratie

Donnez votre avis sur le questionnaire du groupe de travail

Le Président de la République et le Gouvernement

1 = Pas du tout d'accord 2 = Plutôt pas d'accord 3 = Abstention 4 = Plutôt d'accord 5 = Tout à fait d'accord

    1. Faut-il revenir sur le principe de l’élection du Président de la République au suffrage universel direct ?

     

    1

    2

    3

    4

    5

     

    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    2. Faut-il revoir le rôle du Président de la République ?

     

    1

    2

    3

    4

    5

     

    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    3. Dans l’affirmative, faut-il revenir à la conception du Président-arbitre de 1958 ?

     

    1

    2

    3

    4

    5

     

    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    4. Faut-il réorienter le Président de la République vers « les enjeux du long-terme », en limitant ses pouvoirs et en le transformant en « garant des valeurs de la nation » ?

     

    1

    2

    3

    4

    5

     

    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    5. Le Président de la République doit-il conserver un « domaine réservé » en matière de politique étrangère et de défense nationale ?

     

    1

    2

    3

    4

    5

     

    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    6. Faut-il que le Président de la République soit tenu de désigner à la tête du Gouvernement celui qui a mené la campagne législative au nom du parti devenu majoritaire à l’Assemblée nationale ?

     

    1

    2

    3

    4

    5

     

    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    7. Faut-il prévoir que le Gouvernement « n’est responsable que devant le Parlement » et qu’ainsi le Président de la République ne peut exiger la démission du Premier ministre et de son gouvernement ?

     

    1

    2

    3

    4

    5

     

    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    8. Faut-il supprimer la règle de la présidence du conseil des ministres par le Président de la République et que celui-ci soit à l’avenir présidé par le Premier ministre ?

     

    1

    2

    3

    4

    5

     

    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    9. Faut-il confier le pouvoir de dissolution de l’Assemblée nationale au Premier ministre, et non plus au Président de la République ?

     

    1

    2

    3

    4

    5

     

    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    10. Faut-il, à l’inverse, supprimer le poste de Premier ministre et faire du Président de la République le chef unique de l’exécutif ?

     

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    3

    4

    5

     

    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    11. Quelle doit être la durée du mandat du Président de la République ?

    • 4 ans

    • 5 ans

    • 6 ans

    • 7 ans

    12. Le mandat du Président de la République doit-il être non-renouvelable ?

     

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    3

    4

    5

     

    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

 

Le législatif et l’exécutif

1 = Pas du tout d'accord 2 = Plutôt pas d'accord 3 = Abstention 4 = Plutôt d'accord 5 = Tout à fait d'accord

    1. Faut-il renforcer le poids du Parlement ?

     

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    3

    4

    5

     

    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    2. En cas de maintien du quinquennat, faut-il inverser le calendrier électoral afin que les élections législatives aient lieu avant l’élection présidentielle ?

     

    1

    2

    3

    4

    5

     

    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    3. Faut-il que les membres du Gouvernement soient choisis parmi les membres du Parlement afin de « faire contrepoids à l’hyperprésidence » ?

     

    1

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    3

    4

    5

     

    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    4. Faut-il rendre compatibles les fonctions de membre du Gouvernement avec l’exercice du mandat parlementaire ?

     

    1

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    4

    5

     

    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    5. Faut-il mettre en place un système inspiré des « parliamentary private secretaries » britanniques ?

     

    1

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    4

    5

     

    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    6. Faut-il supprimer la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement et le droit de dissolution ?

     

    1

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    4

    5

     

    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    7. Faut-il prévoir la possibilité pour l’Assemblée nationale de « renverser » le Président de la République ?

     

    1

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    3

    4

    5

     

    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    8. Faut-il rendre obligatoire le principe d’un vote de confiance par la majorité parlementaire lors de la formation d’un nouveau Gouvernement ?

     

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    4

    5

     

    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    9. Faut-il instaurer une responsabilité individuelle des membres du Gouvernement devant le Parlement ?

     

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    4

    5

     

    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    10. Faut-il instaurer un délai de « carence » entre l’élection du Président de la République et sa prise de fonction ?

     

    1

    2

    3

    4

    5

     

    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

 

Le nombre de parlementaires

1 = Pas du tout d'accord 2 = Plutôt pas d'accord 3 = Abstention 4 = Plutôt d'accord 5 = Tout à fait d'accord

1. Faut-il réduire le nombre de députés (actuellement 577) ?

 

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2

3

4

5

 

Pas du tout d'accord

Tout à fait d'accord

2. Dans l’affirmative, à combien leur nombre doit-il s’élever ?

    • 500

    • 450

    • 400

    • 350

    • 300

    • 250

    • 200

    • Autre :

3. Faut-il réduire également le nombre de sénateurs (actuellement 348) ?

 

1

2

3

4

5

 

Pas du tout d'accord

Tout à fait d'accord

4. Dans l’affirmative, à combien leur nombre doit-il s’élever ?

    • 300

    • 250

    • 200

    • 150

    • 100

    • Autre :

 

 

Le mode de scrutin pour les élections législatives 1 = Pas du tout d'accord 2 = Plutôt pas d'accord 3 = Abstention 4 = Plutôt d'accord 5 = Tout à fait d'accord

    1. Faut-il s’orienter vers un mode de scrutin proportionnel à l’Assemblée nationale ?

     

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    5

     

    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    Dans l'affirmative, selon quel mode ?

    Option 1 : Faut-il basculer vers un mode de scrutin à la proportionnelle intégrale (modèle israélien) ?

     

    1

    2

    3

    4

    5

     

    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    Option 2 : Faut-il adopter un mode de scrutin mixte ?

     

    1

    2

    3

    4

    5

     

    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    Option 3 : Ou faut-il seulement qu’une part restreinte de parlementaires soient élus au scrutin proportionnel ?

     

    1

    2

    3

    4

    5

     

    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    Dans l’affirmative, quel pourcentage ?

    • 25 %

    • 20 %

    • 15 %

    • 10 %

    • 5 %

    2. Faut-il prévoir une prime majoritaire ?

     

    1

    2

    3

    4

    5

     

    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    3. Faut-il prévoir la fixation d’un seuil de suffrage pour être représenté ?

     

    1

    2

    3

    4

    5

     

    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    Dans l’affirmative, quel pourcentage ?

    • 1 %

    • 3 %

    • 5 %

    • 7,5 %

    • 10 %

    4. Faut-il prévoir un mécanisme obligeant les partis politiques à indiquer, avant les élections, les coalitions auxquelles ils pourraient consentir en cas de victoire ?

     

    1

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    3

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    5

     

    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    5. Faut-il prévoir un scrutin à deux tours ?

     

    1

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    3

    4

    5

     

    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

 

Le vote de la loi

1 = Pas du tout d'accord 2 = Plutôt pas d'accord 3 = Abstention 4 = Plutôt d'accord 5 = Tout à fait d'accord

    1. Faut-il réformer en profondeur la procédure législative ?

     

    1

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    5

     

    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    2. Faut-il supprimer l’article 49, alinéa 3 de la Constitution ?

    Aux termes de l’article 49, alinéa 3 de la Constitution : « Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session. »

     

    1

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    3. Faut-il supprimer l’article 40 de la Constitution ?

    Aux termes de l’article 40 de la Constitution : «Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique.»

     

    1

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    4. Ou : faut-il permettre de compenser une hausse des charges par une hausse des recettes ?

     

    1

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    5. Faut-il limiter la procédure accélérée dans sa forme actuelle à un ou à deux textes par session ?

    Rappel : la procédure accélérée permet de réunir une commission mixte paritaire après une seule lecture devant chaque assemblée, au lieu de deux dans la procédure normale. Lorsqu’elle est mise en œuvre, le délai minimal de six semaines entre le dépôt du projet ou de la proposition et le début de son examen en séance publique par l’assemblée saisie en premier lieu - ou de quatre semaines entre sa transmission et son examen par l’assemblée qui n’a pas été saisie la première - ne s’applique pas. Ne s’applique pas non plus le délai réglementaire minimal de sept jours entre la publication du texte adopté par la commission saisie au fond et sa discussion en séance publique.

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    6. Faut-il créer, concomitamment, une nouvelle forme de procédure accélérée, dont l’usage ne serait pas contingenté, mais qui permettrait uniquement de s’affranchir de la deuxième lecture devant chaque assemblée ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    7. Faut-il appliquer la « procédure d’examen simplifiée » dans tous les domaines, alors qu’elle n’est aujourd’hui pratiquée que pour les traités et accords internationaux ?

    Rappel : lorsque la « procédure d’examen simplifiée » est mise en œuvre, ce qui suppose qu’aucune opposition ne soit exercée, il n’y a pas de discussion générale. Seuls les articles faisant l’objet d’amendements sont appelés et mis aux voix ; il n’y a pas d’intervention sur les articles, et sur chaque amendement, outre le Gouvernement, peuvent seuls intervenir l’un des auteurs, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et un orateur contre. Quand il n’y a pas d’amendements, l’ensemble du texte est immédiatement mis aux voix. L’extension de cette procédure à d’autres catégories de textes peut se faire à droit constant.

     

    1

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    8. Faut-il permettre qu’un premier débat d’orientation puisse être organisé en séance publique avant l’examen des textes de loi par les commissions ?

     

    1

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    9. Faut-il interdire au Gouvernement de pouvoir amender ses propres projets de loi ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    10. Faut-il sinon soumettre à un délai de dépôt les amendements d’origine gouvernementale, comme le sont déjà les amendements parlementaires, afin d’empêcher le dépôt d’amendements gouvernementaux de dernière minute ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    11. Faut-il mieux encadrer le droit d’amendement en séance publique, en prévoyant que puissent être déclarés irrecevables les amendements qui ont été déjà discutés en commission (modèle britannique) ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    12. Faut-il faire respecter une plus stricte séparation entre le domaine de la loi et celui du règlement, en interdisant, dans la Constitution, que figure dans un projet ou une proposition une disposition de nature règlementaire ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    13. Faut-il prévoir une procédure pour écarter des lois les dispositions non normatives ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

 

L'organisation interne du Parlement

1. Faut-il supprimer la limitation à 8 du nombre de commissions permanentes ?

 

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Pas du tout d'accord

 

 

 

 

 

Tout à fait d'accord

2. Ou Faut-il conserver une limitation du nombre des commissions permanentes, mais l’augmenter ?

 

1

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Pas du tout d'accord

 

 

 

 

 

Tout à fait d'accord

Dans l’affirmative, à combien ce nombre doit-il être fixé ?

3. Faut-il calquer l’organisation des commissions parlementaires sur celle des ministères ?

 

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Pas du tout d'accord

 

 

 

 

 

Tout à fait d'accord

4. Faut-il institutionnaliser un « contre-rapporteur » ?

Observation : sur le modèle du parlement britannique, ou du Parlement européen, dès le dépôt d’un texte, un rapporteur principal de l’opposition est nommé, et dispose de droits particuliers ; il peut s’exprimer dans les rapports écrits, et on pourrait imaginer de lui demander, de façon symétrique à ce qui se fait pour le rapporteur de la commission, son avis en séance publique.

 

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Pas du tout d'accord

 

 

 

 

 

Tout à fait d'accord

 

 

Le contrôle de l’action du Gouvernement et l’évaluation des politiques publiques

1. Faut-il systématiser le contrôle parlementaire de l’application de la loi en obligeant le Gouvernement à justifier devant les commissions parlementaires compétentes la non-publication des décrets d’application à l’expiration d’un délai de six mois ?

 

1

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Pas du tout d'accord

 

 

 

 

 

Tout à fait d'accord

2. Faut-il modifier les questions au Gouvernement en instaurant un « droit de réplique », dont pourrait user l’auteur de la question ?

 

1

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Pas du tout d'accord

 

 

 

 

 

Tout à fait d'accord

3. « Faut-il organiser tous les mois, par exemple, une séance de questions / réponses avec le Président de la République à l’Assemblée nationale », et permettre ainsi au Président de venir au Parlement ?

 

1

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5

 

Pas du tout d'accord

 

 

 

 

 

Tout à fait d'accord

 

4. Faut-il supprimer la semaine de contrôle prévue à l’article 48 de la Constitution ?

 

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5

 

Pas du tout d'accord

         

Tout à fait d'accord

Dans l’affirmative, faut-il en faire une semaine « blanche », au cours de laquelle l’Assemblée ne siégerait pas et qui permettrait aux parlementaires de se consacrer à leur circonscription ?

 

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Pas du tout d'accord

         

Tout à fait d'accord

Ou faut-il en faire une semaine réservée au travail des commissions ?

 

1

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Pas du tout d'accord

         

Tout à fait d'accord

Ou faut-il restituer cette semaine au Gouvernement, en échange d’une plus stricte limitation des journées siégées aux mardi, mercredi et jeudi ?

 

1

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5

 

Pas du tout d'accord

         

Tout à fait d'accord

Ou faut-il redistribuer la semaine de contrôle au profit de séances spécifiquement dédiées à cette activité tout au long de l’année ?

 

1

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Pas du tout d'accord

         

Tout à fait d'accord

5. Faut-il renforcer le contrôle du Parlement sur les nominations envisagées par le Président de la République ?

 

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Pas du tout d'accord

         

Tout à fait d'accord

Faut-il substituer au système actuel (majorité des 3/5 négative) une majorité simple ?

 

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Pas du tout d'accord

         

Tout à fait d'accord

Faut-il substituer au système actuel une majorité aux 3/5 positive ?

 

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Pas du tout d'accord

         

Tout à fait d'accord

 

 

Le bicamérisme

1 = Pas du tout d'accord 2 = Plutôt pas d'accord 3 = Abstention 4 = Plutôt d'accord 5 = Tout à fait d'accord

 

    1. Faut-il modifier le rôle de l’Assemblée nationale ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

 

    2. Faut-il modifier le rôle du Sénat ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    2.1. Option 1 : Faut-il fusionner le Sénat avec le Conseil économique, social et environnemental (CESE) ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    Faut-il que le Sénat s’ouvre à d’autres catégories socio-professionnelles que celles qui sont déjà représentées au CESE ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    Faut-il que le Sénat comprenne également des membres tirés au sort ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    Quelles conséquences faudrait-il en tirer en termes de pouvoirs ?

    - Un Sénat strictement consultatif ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    - Le maintien d'une compétence législative ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    - Le contrôle de l'application de la loi ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    - L'élaboration des études d'impact ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    - L'évaluation des études d'impact ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    2.2. Option 2 : Le Sénat doit-il plutôt se limiter à la représentation des collectivités territoriales ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    Avec quelles conséquences en termes de composition ?

    - Des membres de droit ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    - Des élus ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    Avec quelles conséquences en termes de pouvoirs ?

    - Suppression de tout pouvoir de blocage ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    - Pouvoir de blocage uniquement en matière constitutionnelle ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    - Pouvoir de blocage sur les seules lois relatives aux collectivités territoriales ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    - Possibilité d’adopter des amendements mais uniquement aux 3/5ème (amendements ensuite soumis au vote de l’Assemblée nationale) ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    3. Faut-il modifier le mode de scrutin actuel des élections sénatoriales ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    3.1. Option 1 : Faut-il s’orienter vers un mode de scrutin strictement proportionnel au Sénat ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    3.2. Option 2 : Faut-il modifier le corps électoral afin que les petites communes rurales ne soient pas surreprésentées ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

 

Favoriser un renouveau démocratique 1 = Pas du tout d'accord 2 = Plutôt pas d'accord 3 = Abstention 4 = Plutôt d'accord 5 = Tout à fait d'accord

    1. Représentation et mandats

    1.1. Faut-il limiter le nombre de mandats identiques successifs ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    Dans l’affirmative, à combien de mandats ?

    1.2 Faut-il introduire de nouveaux quotas sur le modèle de la loi sur la parité ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    2. Les partis politiques et le statut de l’élu

    2.1. Faut-il exiger des partis politiques qu’ils consacrent une partie des sommes publiques qu’ils perçoivent à des organismes ou des programmes de formation et d’éducation populaire ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    2.2. Faut-il permettre aux citoyens d’affecter directement une partie des dotations publiques aux partis politiques au moyen de l’impôt ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    2.3. Faut-il créer un véritable statut de l’élu, qui sécurise le parcours professionnel des élus?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    2.4. Faut-il accorder aux élus le statut de salarié protégé dont bénéficient les représentants syndicaux, afin de favoriser l’engagement politique des salariés et donc une meilleure représentation des élus issus du secteur privé ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    3. La participation des citoyens

    3.1. Faut-il rendre automatique l’inscription des citoyens sur les listes électorales ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    3.2. Faut-il rendre le vote obligatoire ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    Dans l’affirmative, faut-il prévoir une sanction ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    3.3.Faut-il comptabiliser les votes blancs dans les suffrages exprimés ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    3.4. Faut-il développer le vote électronique ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    3.5. Faut-il expérimenter le dépôt d’amendements citoyens ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    3.6. Faut-il développer les ateliers législatifs citoyens ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    4. Le référendum

    4.1. Faut-il développer l’usage du référendum en France ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    4.2. Faut-il élargir au Premier ministre la possibilité de recourir au référendum prévue par l’article 11 de la Constitution ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    4.3. Faut-il instaurer un véritable référendum d’initiative populaire, encadré par un contrôle juridictionnel ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    4.4. Faut-il exiger un quorum de participation ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    4.5. Faut-il élargir le champ actuel du référendum à toutes les matières définies par l’article 34 de la Constitution, c’est-à-dire à toutes les matières législatives ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    4.6. Faut-il instaurer une procédure de référendum révocatoire ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    5. Démocratie sociale et démocratie politique

    5.1. Faut-il adosser à la Constitution une Charte sociale et économique, sur le modèle de la Charte de l’environnement ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    5.2. Faut-il renforcer la place des partenaires sociaux dans la Constitution ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    5.3. Faut-il redéfinir la place de la démocratie sociale dans la hiérarchie des normes ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    5.4. Faut-il généraliser le système du « chèque syndical » ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    5.5. Faut-il rendre incitative l’adhésion à un syndicat (« syndicat de service ») ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    5.6. Faut-il rendre obligatoire l’adhésion à un syndicat ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

L'Europe

1 = Pas du tout d'accord 2 = Plutôt pas d'accord 3 = Abstention 4 = Plutôt d'accord 5 = Tout à fait d'accord

    1. Faut-il organiser en amont et éventuellement en aval des conseils européens des chefs d’État et de Gouvernement, une séance de questions / réponses à l’Assemblé nationale avec le Président de la République ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    2. Faut-il organiser une séance mensuelle obligatoire à l’Assemblé nationale de questions au Gouvernement consacrée aux affaires européennes ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

 

La Justice 1 = Pas du tout d'accord 2 = Plutôt pas d'accord 3 = Abstention 4 = Plutôt d'accord 5 = Tout à fait d'accord

    1. L’indépendance de la justice

    1.1. Faut-il réviser la Constitution pour consacrer la justice comme pouvoir ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    1.2. Faut-il inscrire dans la Constitution que le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    1.3. Faut-il consacrer dans la Constitution l’indépendance et l’impartialité de la Justice ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    1.4. Faut-il faire évoluer la composition du CSM pour que les magistrats redeviennent plus nombreux que les personnalités qualifiées ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    1.5. Faut-il que le CSM soit composé d’autant de magistrats que de personnalités qualifiées ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    1.6. Faut-il que les membres du CSM soient désignés à la majorité des 3/5 par les commissions des lois des deux assemblées ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    1.7. Faut-il renforcer les compétences du CSM en lui donnant le pouvoir de nommer tous les magistrats du siège ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    1.8. Faut-il que les magistrats du parquet soient nommés sur proposition du garde des Sceaux mais avec avis conforme du CSM ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    1.9. Faut-il créer un ordre des juridictions sociales à côté des juridictions judiciaires et administratives ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    1.10. Faut-il autoriser, au CSM, la publication des opinions dissidentes ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    2. Le Conseil constitutionnel

    2.1. Faut-il soumettre les nominations au Conseil constitutionnel à une approbation à la majorité simple par la commission compétente ?

     

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    Tout à fait d'accord

    2.2. Faut-il soumettre les nominations au Conseil constitutionnel à une approbation aux 3/5 des voix par la commission compétente ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    2.3. Faut-il mettre fin à la présence au Conseil des anciens Présidents de la République ?

     

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    Tout à fait d'accord

    2.4. Faut-il exiger des candidats aux fonctions de membre du Conseil constitutionnel une compétence juridique ?

     

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    Tout à fait d'accord

    2.5. Faut-il autoriser, au Conseil constitutionnel, la publication des opinions dissidentes ?

     

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    Tout à fait d'accord

    2.6. Faut-il faire du Conseil constitutionnel une « Cour constitutionnelle » ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    3. La responsabilité de l’exécutif

    3.1. Faut-il mettre un terme à l’inviolabilité dont jouit le Président de la République ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

    3.2. Faut-il supprimer la Cour de justice de la République pour les membres du Gouvernement ?

     

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    Pas du tout d'accord

    Tout à fait d'accord

 

 

Pièce n° 2


 

COMPOSITION DU GROUPE DE TRAVAIL SUR L'AVENIR DES INSTITUTIONS, SOMMAIRE et SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS du Rapport du groupe de travail sur l'avenir des institutions intitulé « Refaire la démocratie ».


 

Le Rapport dans son ensemble est présenté sur la page internet :


 

http://www2.assemblee-nationale.fr/static/14/institutions/Rapport_groupe_travail_avenir_institutions_T1.pdf

Rapport du groupe de travail sur l'avenir des institutions

Refaire la démocratie

Présenté par MM. Claude BARTOLONE et Michel WINOCK Co-Présidents

Le groupe de travail sur l’avenir des institutions est composé de :

co-présidents :

M. Claude Bartolone (président de l’Assemblée nationale);

M. Michel Winock (historien) ;

élus et personnalités qualifiées :

M. Bernard Accoyer (député de la Haute-Savoie, ancien président de l’Assemblée nationale);

Mme Marie-Louise Antoni (personnalité du monde de l’entreprise, membre du comité exécutif de Generali France en charge du projet d’entreprise);

M. Denis Baranger (professeur de droit public à l’Université Paris II Panthéon-Assas) ;

Mme Karine Berger (députée des Hautes-Alpes) ;

Mme Marie-George Buffet (députée de la Seine-Saint-Denis) ;

M. Luc Carvounas (sénateur du Val-de-Marne) ;

Mme Marie-Anne Cohendet (professeur de droit public à l'École de droit de la Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) ;

Mme Seybah Dagoma (députée de Paris) ;

Mme Cécile Duflot (députée de Paris) ;

M. Michaël Foessel (professeur de philosophie à l’école Polytechnique);

Mme Mireille Imbert-Quaretta (conseillère d’État, présidente de la commission de protection des droits de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet);

Mme Christine Lazerges (professeure émérite de droit privé et sciences criminelles de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, présidente de la commission nationale consultative des droits de l’homme) ;

M. Ferdinand Mélin-Soucramanien (professeur à l'université de Bordeaux, déontologue de l'Assemblée nationale) ;

M. Arnaud Richard (député des Yvelines) ;

M. Alain-Gérard Slama (historien, éditorialiste) ;

M. Bernard Thibault (personnalité du monde syndical, membre du conseil d’administration de l’Organisation internationale du Travail représentant les travailleurs) ;

Mme Virginie Tournay (chercheure en science-politique au CNRS (CEVIPOF), Sciences Po) ;

M. Alain Tourret (député du Calvados) ;

M. Guillaume Tusseau (professeur de droit public à Sciences Po Paris) ;

Mme Cécile Untermaier (députée de Saône-et-Loire) ;

Mme Marie-Jo Zimmermann (députée de la Moselle).

SOMMAIRE

Pages

PRÉSENTATION .......................................................................................... 11

AVANT-PROPOS DE M. CLAUDE BARTOLONE ...................................... 13

AVANT-PROPOS DE M. MICHEL WINOCK ............................................... 19

LA VE RÉPUBLIQUE, AU CŒUR DE LA CRISE ............................25

I. DES INSTITUTIONS MISES AU DÉFI PAR LA CRISE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE.................................................................................................................. 29

II. DES INSTITUTIONS ANCIENNES DANS UNE RÉPUBLIQUE ÉBRANLÉE .............................................................................................................. 31

1. La fin du progrès social ?..................................................................................................... 31

2. Indivisibilité et solidarité .................................................................................................... 33

3. Un collectif à repenser ? ..................................................................................................... 35

III. LES INSTITUTIONS FACE À UNE NOUVELLE TEMPORALITÉ ............................ 36

THÈME N° 1 : RESTAURER LE LIEN ENTRE LES CITOYENS ET LEURS REPRÉSENTANTS …................................................................................... 41

I. LA DÉMOCRATIE REPRÉSENTATIVE FACE AUX ATTENTES DES CITOYENS ….. 42

A. UN SYSTÈME AMBIGU ET PLASTIQUE ................................................................. 42

1. Démocratie et représentation ont pu être présentées comme antagonistes ......................... 42

2. Le système représentatif est en constante évolution ........................................................... 43

B. UN DÉFAUT DE REPRÉSENTATIVITÉ .................................................................... 44

1. Le contexte politique et économique rend plus difficile le fonctionnement de la démocratie représentative....................................................................................................................... 44

2. Malgré des efforts, notamment dans le domaine de la parité, la représentativité des élus demeure insatisfaisante........................................................................................................ 45

3. L’affaiblissement de la démocratie sociale renforce ce sentiment de « mal-représentation » .................................................................................................................... 48

II. PROPOSITIONS : RENFORCER LE CARACTÈRE DÉMOCRATIQUE DE LA REPRÉSENTATION.................................................................................... 50

A. FAVORISER UNE PLUS GRANDE DIVERSITÉ DU PERSONNEL POLITIQUE ............................................................................................................... 51

Proposition n° 1 : Imposer le non-cumul des mandats dans le temps ........................... 51

B. INTRODUIRE UN MODE DE SCRUTIN PROPORTIONNEL ................................... 55

Proposition n° 3 : Introduire une représentation proportionnelle à l’Assemblée nationale.................................................................................................................... 55

1. Les effets attendus du scrutin proportionnel......................................................................... 55

2. Pour l’introduction d’une représentation proportionnelle à l’Assemblée nationale .............................................................................................................................. 57

THÈME N° 2 : UN CITOYEN RESPONSABLE AU C¯UR DES INSTITUTIONS............................................................................................... 59

I. LA PARTICIPATION ÉLECTORALE EST EN CRISE, ALORS QUE D’AUTRES FORMES D’ENGAGEMENT SE DÉVELOPPENT ......................................................................... 61

A. LA PARTICIPATION POLITIQUE S’EST, DEPUIS LE XIXE SIÈCLE, CONFONDUE AVEC « L’ACTE DE VOTE » QUI EST AUJOURD’HUI EN CRISE ....................................................................................................................... 61

1. La participation politique a longtemps été limitée à la participation électorale …................ 61

a. La conception française du suffrage fait de celui-ci un droit personnel du citoyen, fondement de la démocratie représentative........................................................................................ 61

b. Cette conception limite cependant les autres formes de participation.............................. 62

2. La montée de l’abstention est perçue comme un signe de l’affaiblissement de la vie démocratique française et des institutions.............................................................................................................. 63

a. L’abstention est en forte hausse depuis les années 1970, notamment dans certaines catégories de la population ............................................................................................................... 63

b. L’abstention peut revêtir un sens politique........................................................................ 64

c. L’abstention résulte également, pour partie, de l’inadaptation des modalités d’inscription sur les listes électorales aux modes de vie contemporains .................................................... 65

3. Le vote obligatoire en débat.................................................................................................... 66

B. D’AUTRES FORMES DE PARTICIPATION TÉMOIGNENT D’UNE RÉELLE VITALITÉ DÉMOCRATIQUE........................................................................................................ 67

1. Même en marge des institutions, le citoyen reste au cœur de la vie publique......................... 67

2. Les institutions tendent également à ouvrir la prise de décision publique à la participation citoyenne ................................................................................................................................ 68

3. Dans certains domaines, notamment l’environnement, de nouveaux modes de

participation, mais aussi de représentation, doivent être développés..................................... 69

II. PROPOSITIONS : PERFECTIONNER L’OUTIL RÉFÉRENDAIRE ET RÉVISER LES PROCÉDURES D’INSCRIPTION SUR LES LISTES ÉLECTORALES........................... 70

Proposition n° 4 : Élargir le champ du référendum et instaurer un véritable référendum d’initiative populaire..................................................................................................... 70

1. Élargir le champ du référendum ............................................................................................. 71

2. Créer un véritable referendum d’initiative populaire.............................................................. 71 Proposition n° 5 : Revoir les procédures d’inscription sur les listes électorales …........... 73

THÈME N° 3 : UN EXÉCUTIF PLUS ÉQUILIBRÉ ET MIEUX CONTRÔLÉ ................................................................................................. 75

I. L’ACCENTUATION DES DÉSÉQUILIBRES INITIAUX DE LA VE RÉPUBLIQUE REND NÉCESSAIRE UNE RÉFORME D'AMPLEUR …..........................….................................77

A. LA PRIMAUTÉ DU CHEF DE L’ÈTAT S’EST MUÉE, DANS LA PRATIQUE, EN UNE TOUTE-PUISSANCE......................................................................................................... 77

1. Les pouvoirs du Président de la République empiètent sur ceux du Premier ministre.................................................................................................................................. 77

2. Le Président de la République n’est pas responsable politiquement ..................................... 78

3. L’articulation des institutions européennes et françaises impose de repenser le

rôle et la responsabilité du Président de la République......................................................... 79

B. LES TENTATIVES DE RÉÉQUILIBRAGE DES POUVOIRS AU SEIN DE L’EXÈCUTIF ONT, PARADOXALEMENT, ACCENTUÉ CES DÉRIVES ........................................ 79

1. L’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral ont renforcé l’emprise du Président de la République sur le Gouvernement et la

majorité parlementaire ......................................................................................................... 79

2. Malgré la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, le Président de la République demeure un acteur politique et institutionnel largement irresponsable .............................................. 80

II. PROPOSITIONS : VERS UN NOUVEAU RÔLE ET UNE NOUVELLE DURÉE DE MANDAT POUR LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE …........................................... 81

Proposition n° 6 : Redéfinir le rôle du Président de la République .................................. 81

1. Maintenir l’élection au suffrage universel direct ................................................................... 81

2. Moderniser le rôle d’arbitre ................................................................................................... 82 Proposition n° 7 : Réinventer le septennat ....................................................................... 83

1. Vers un mandat de sept ans non renouvelable ....................................................................... 83

2. Pour une inversion du calendrier électoral, en cas de maintien du quinquennat …............... 84

Proposition n° 8 : Renforcer la responsabilité de l’exécutif et améliorer son contrôle sur les questions européennes .............................................................................................. 85

THÈME N° 4 : LE PARLEMENT DU NON-CUMUL........................................ 87

I. LA REVALORISATION DU PARLEMENT EST AU CŒUR DES RÉFORMES VISANT AU RÉÉQUILIBRAGE DES INSTITUTIONS ................................. 90

A. L’ENJEU DE LA REVALORISATION DU PARLEMENT SE HEURTE À DES ATTENTES PARADOXALES......................................................................................................... 90

1. Le temps législatif n’est pas le temps médiatique ................................................................ 90

2. L’ « inflation législative », source d’insécurité juridique, alimente la défiance des citoyens ................................................................................................................................ 91

B. DES RÉFORMES SUCCESSIVES ONT DÉJÀ DOTÉ LE PARLEMENT DE NOMBREUX OUTILS....................................................................................................................... 94

  1. Les réformes ont cherché à améliorer le fonctionnement du Parlement …............... 94

  2. Des outils nombreux, mais sans doute insuffisamment utilisés, sont désormais à la disposition des parlementaires................................................................................................... 97

C. CERTAINES RÉFORMES CONSTITUTIONNELLES ONT EU POUR CONSÉQUENCE, PARFOIS INDIRECTE, D’AFFAIBLIR LE PARLEMENT ............................................................................................................... 98

1. La mise en œuvre du quinquennat .......................................................................................... 98

2. La session unique..................................................................................................................... 98

3. Le partage de l’ordre du jour .................................................................................................. 99

II. PROPOSITIONS : FONDER LE PARLEMENT DU NON-CUMUL ................................. 101

Proposition n° 9 : Réduire le nombre de députés (à 400) et de sénateurs (à 200) afin de renforcer leur poids dans les institutions ................................................................. 101

Proposition n° 10 : Rénover le bicamérisme................................................................. 102

Proposition n° 11 : Libérer le Parlement de ses carcans .............................................. 105

1. Supprimer la limitation du nombre de commissions permanentes ...................................... 105

2. Libérer le droit d’amendement dans le domaine financier ................................................... 106

3. Interdire au Gouvernement d’amender ses projets de loi ou, a minima, soumettre ses amendements à un délai de dépôt.......................................................................................... 106

Proposition n° 12 : Améliorer la fabrique de la loi ............................................................ 107

1. Limiter la procédure accélérée dans sa forme actuelle à un ou deux textes par

session et instaurer une nouvelle forme de procédure accélérée dont l’usage ne

serait pas contingenté ................................................................................................................ 107

2. Respecter une plus stricte séparation entre le domaine de la loi et celui du règlement et prévoir une procédure pour écarter des lois les dispositions non normatives.............................................................................................................................. 108

3. Rénover la procédure de discussion des textes....................................................................... 108

Proposition n° 13 : Améliorer les instruments de contrôle et les droits de l’opposition .................................................................................................................. 110

1. Supprimer la semaine de contrôle pour en faire une semaine réservée aux travaux des commissions........................................................................................................................... 110

2. Instituer un contre-rapporteur d’opposition ........................................................................... 110

3. Instaurer un « droit de réplique », dont pourrait user l’auteur d’une question au Gouvernement ....................................................................................................................... 111

4. Renforcer le contrôle sur les nominations envisagées par le Président de la République en substituant au système actuel une majorité positive des 3/5.................................................. 111

5. Obliger le Gouvernement à justifier devant les commissions parlementaires compétentes la non-publication des décrets d’application à l’expiration d’un délai de six mois....................112

Proposition n° 14 : Faire une place plus large aux citoyens et aux questions européennes ............................................................................................................... 112

1. Développer les ateliers législatifs citoyens ............................................................................ 112

2. Expérimenter le dépôt d’amendements citoyens ................................................................... 112 3. Faire entrer plus largement l’Europe au sein du Parlement.................................................... 114


 

THÈME N° 5 : CONSOLIDER L’ÉTAT DE DROIT ........................................ 117

I. INVESTIE D’ATTENTES CROISSANTES DE LA PART DES CITOYENS, LA JUSTICE FAIT PARADOXALEMENT L’OBJET DE NOMBREUSES CRITIQUES................................................................................................ 118

A. ATTRIBUT ESSENTIEL DE L’ÈTAT, LA JUSTICE PEINE À AFFIRMER SON INDÉPENDANCE ...................................................................................................... 118

1. Le juge a longtemps été cantonné à un rôle de « bouche » de la loi..................................... 118

2. L’indépendance de la justice, inachevée, doit être consolidée ............................................. 119

B. LA JUSTICE FAIT AUJOURD’HUI L’OBJET DE FORTES ATTENTES ET DE VIVES CRITIQUES ............................................................................................................... 122

1. La « judiciarisation » de la société est à l’œuvre .................................................................. 122

2. La justice suscite cependant méfiance et critiques ............................................................... 123

II. PROPOSITIONS : RENFORCER LES JUSTICES JUDICIAIRE, SOCIALE ET CONSTITUTIONNELLE ................................................................................................. 125

Proposition n° 15 : Renforcer l’indépendance de la justice.............................................. 125

1. Consacrer l’indépendance et l’impartialité du « pouvoir » judiciaire dans le titre VIII de la Constitution........................................................................................................................... 125

2. Réformer le Parquet pour accroître son indépendance. ........................................................ 125

3. Faire du Conseil supérieur de la magistrature le garant de l’indépendance de la justice ................................................................................................................................... 126

Proposition n° 16 : Étudier la proposition tendant à la création d’un véritable ordre des juridictions sociales .................................................................................................... 128

Proposition n° 17 : Moderniser le Conseil constitutionnel................................................ 128

1. Renouveler sa composition et son mode de nomination........................................................ 129

2. Réformer son fonctionnement................................................................................................ 130

SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS ................................................................ 133

CONTRIBUTIONS DES MEMBRES DU GROUPE DE TRAVAIL.................. 139

QUESTIONNAIRE .......................................................................................... 205

RÉSULTATS AGRÉGÉS DES RÉPONSES AU QUESTIONNAIRE.............. 225

COMPTES RENDUS DES RÉUNIONS........................................................... 231

Réunion constitutive du groupe de travail le jeudi 27 novembre 2014 ............................................. 231

Réunion sur le thème : « Une crise de la République ? », le vendredi 19 décembre 2014 …............. 271

Audition de Mme Laurence Parisot, vice-présidente de l’Institut français d’opinion publique et ancienne présidente du Mouvement des entreprises de France, et de M. Jean Pisani-Ferry, commissaire général de France Stratégie, sur le thème de la globalisation, le vendredi 16 janvier 2015............................. 311

Audition de MM. Yves Bertoncini, directeur de l’Institut Jacques Delors, Jean-Louis Bourlanges, essayiste et ancien député européen, et Jean Quatremer, journaliste, sur le thème de l’Europe le vendredi 16 janvier 2015..................................................................................................................................... 331

Audition de M. Denis Giraux, maître de conférences à l’Université Paris II, et de Mme Laurence Morel, maître de conférences à l’Université Lille II, sur le thème du référendum, le vendredi 30 janvier 2015 ….............................................................................................................................................353

Audition de Mme Dominique Schnapper, directrice d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, et de M. Henri Verdier, directeur d’Etalab, sur le thème des nouvelles voies de la démocratie, le vendredi 30 janvierr 2015 .. …................................................................................383

Audition de M. Pierre Cahuc, professeur à l’École polytechnique, sur le thème de la démocratie sociale, le jeudi 5 février 2015 .................................................................................................................... 401

Audition de M. Bruno Latour, professeur à Sciences Po, sur le thème de la démocratie sociale, le jeudi 5 février 2015 ................................................................................................................................. 411

Audition de M. Benoît Hartmann, porte-parole de France Nature Environnement, sur le thème de la démocratie environnementale, le jeudi 5 février 2015.................................................................. 425

Audition de M. Guillaume Liegey, dirigeant de la startup en stratégie électorale « Liegey Muller Pons », et de M. Frèdèric Sawicki, professeur à l’Université Paris I, sur le thème des partis politiques, le vendredi 13 février 2015 …............................................................................................................ 441

Audition de M. Philippe Doucet, député du Val-d’Oise, sur le thème de l’élu, le vendredi 13 février 2015 ......................................................................................................................................................... 479

Audition de M. Bastien François, professeur l’Université Paris I, sur le thème de la dyarchie de l’exécutif, le vendredi 13 mars 2015 …......................................................................................... 491

Audition de M. Olivier Beaud, professeur à l’Université Paris II, et de Mme Marie-Claire Ponthoreau, professeure à l’Université Bordeaux IV, sur le thème de la responsabilité de l’exécutif, le vendredi 13 mars 2015. ...................................................................................................................................... 513

Audition de M. Jean-Emmanuel Ray, professeur à l’Université Paris I, sur le thème de la démocratie sociale, le vendredi 27 mars 2015.................................................................................................. 531

Point d’étape sur l’avancée des travaux du groupe de travail, le vendredi 27 mars 2015................... 543

Audition de M. Jean-Claude Casanova, président de la Fondation nationale des sciences politiques, sur les modes de scrutin, le vendredi 10 avril 2015 ............................................................................ 571

Audition de Mme Géraldine Muhlmann, professeure à l’Université Paris II, journaliste, sur le thème du temps politique, le vendredi 10 avril 2015 .................................................................................... 593

Audition de M. Jean-Noël Jeanneney, historien et ancien ministre, sur le bicamérisme, le vendredi 17 avril 2015 ........................................................................................................................................ 615

Audition de M. Olivier Rozenberg, professeur associé à Sciences Po, sur le thème de l’opposition, et de M. Armel Le Divellec, professeur à l’Université Paris II, sur le thème du renforcement du Parlement, le vendredi 7 mai 2015. .................................................................................................................. 651

Audition de M. Régis Juanico, député de la Loire, et de Mme Laure de La Raudière, députée d’Eure-et-Loir, sur la simplification législative, le vendredi 7 mai 2015. ...................................................... 669

Audition de Mme Céline Vintzel, maître de conférences à l’Université de Reims Champagne-Ardenne, sur le renforcement du Parlement, le vendredi 22 mai 2015............................................................ 695

Tour de table consacré à la question de la représentation, le vendredi 22 mai 2015............................ 715

Audition de M. Bernard Manin, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, sur le thème de la représentation, le vendredi 29 mai 2015. .................................................................... 737

Audition de M. Pascal Jan, professeur à l’Institut d’études politiques de Bordeaux, sur le thème du bicamérisme, le vendredi 29 mai 2015. .............................................................................................. 761

Audition de M. Pierre Joxe, Premier président honoraire de la Cour des comptes, membre honoraire du Parlement, sur le thème de la justice, le vendredi 12 juin 2015 . ….....................................................779

Audition de M. Denis Salas, magistrat, sur le thème de la Justice, le vendredi 12 juin 2015.............. 801

Réunion consacrée à la préparation du rapport, le vendredi 26 juin 2015.......................................... 823

Réunion consacrée à la présentation du projet de rapport, le vendredi 25 septembre 2015 …........... 865

Réunion consacrée à l’examen du rapport, le vendredi 2 octobre 2015 ............................................. 885

LISTE DES AUDITIONS, OUVERTES À LA PRESSE, ORGANISÉES PAR LE GROUPE DE TRAVAIL................................................................................... 911

CONTRIBUTIONS DES PERSONNES AUDITIONNÉES............................... 913

 

SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS

RESTAURER LE LIEN ENTRE LES CITOYENS ET LEURS REPRÉSENTANTS

Proposition n° 1 – Imposer le non-cumul des mandats dans le temps.

- Limiter à trois le nombre de mandats identiques successifs.

Proposition n° 2 – Mettre en place un véritable statut de l’élu.

Proposition n° 3 – Introduire une représentation proportionnelle à l’Assemblée nationale.

UN CITOYEN RESPONSABLE AU CŒUR

DES INSTITUTIONS

Proposition n° 4 – Élargir le champ du référendum et instaurer un véritable référendum d’initiative populaire.

-Élargir le champ du référendum prévu au premier alinéa de l’article 11 de la Constitution à l’ensemble des matières énumérées à l’article 34 de la Constitution.

-Créer un véritable référendum d’initiative populaire encadré par un contrôle juridictionnel et assorti d’un quorum.

Proposition n° 5 – Revoir les procédures d’inscription sur les listes électorales.

UN EXÉCUTIF PLUS ÉQUILIBRÉ ET MIEUX CONTRÔLÉ

Proposition n° 6 – Redéfinir le rôle du Président de la République.

-Maintenir l’élection au suffrage universel direct.

-Moderniser le rôle d’arbitre du Président de la République en réorientant son action vers les enjeux de long terme.

Proposition n° 7 – Réinventer le septennat.

-Instaurer un mandat de sept ans non-renouvelable.

-En cas de non-rétablissement du septennat, procéder, a minima, à l’inversion du calendrier électoral afin que les élections législatives aient lieu avant l’Élection présidentielle.

Proposition n° 8 – Renforcer la responsabilité de l’exécutif et mieux le contrôler sur les questions européennes.

-Rendre obligatoire le principe d’un vote d’investiture par l’Assemblée nationale lors de la formation d’un nouveau Gouvernement.

-Instaurer un débat à l’Assemblée nationale, avec le Président de la République, en amont des Conseils européens.

LE PARLEMENT DU NON-CUMUL

Proposition n° 9 : Réduire le nombre de députés (à 400) et de sénateurs (à 200) afin de renforcer leur poids dans les institutions.

Proposition n° 10 : Rénover le bicamérisme.

-Fusionner le Sénat et le Conseil économique, social et environnemental (CESE), en créant éventuellement une assemblée parlementaire à deux collèges, pour mieux représenter les forces actives du pays.

-Le Sénat conserverait une compétence législative, mais son action serait davantage orientée vers l’évaluation et le contrôle. Plus étroitement assisté par la Cour des comptes, il deviendrait un véritable « pôle de contrôle parlementaire ».

-Tout pouvoir de blocage en matière constitutionnelle serait retiré au Sénat.

-L’échelon d’élection des sénateurs serait régionalisé.

-À défaut, limiter les compétences du Sénat aux questions relatives aux collectivités territoriales et faire du CESE la chambre du débat participatif.

Proposition n° 11 : Libérer le Parlement de ses carcans.

-Supprimer la limitation du nombre de commissions.

-Libérer le droit d’amendement dans le domaine financier en abrogeant l’article 40 de la Constitution.

-Interdire au Gouvernement d’amender ses projets de loi ou, a minima, soumettre ses amendements à un délai de dépôt.

Proposition n° 12 : Améliorer la fabrique de la loi.

-Limiter la procédure accélérée dans sa forme actuelle à un ou deux textes par session et instaurer une nouvelle forme de procédure accélérée dont l’usage ne serait pas contingenté.

-Respecter une plus stricte séparation entre le domaine de la loi et celui du règlement et prévoir une procédure pour écarter des lois les dispositions non normatives.

-Rénover la procédure de discussion des textes. - Rénover la procédure d’examen des amendements.

Proposition n° 13 : Améliorer les instruments de contrôle et les droits de l’opposition.

-Supprimer la semaine de contrôle pour en faire une semaine réservée aux travaux des commissions.

-Instituer un contre-rapporteur de l’opposition.

-Instaurer un « droit de réplique », dont pourrait user l’auteur d’une question au Gouvernement.

-Renforcer le contrôle sur les nominations envisagées par le Président de la République en substituant au système actuel une majorité positive des 3/5.

-Obliger le Gouvernement à justifier devant les commissions parlementaires compétentes la non-publication des décrets d’application à l’expiration d’un délai de six mois.

Proposition n° 14 : Faire une place plus large aux citoyens et aux questions européennes.

-Développer les ateliers législatifs citoyens.

-Expérimenter le dépôt d’amendements citoyens.

-Faire entrer plus largement l’Europe au sein du Parlement en créant une commission des affaires européennes de plein exercice et en consacrant aux affaires européennes une séance mensuelle de questions au Gouvernement.

CONSOLIDER L’ÉTAT DE DROIT

Proposition n° 15 : Renforcer l’indépendance de la justice.

-Consacrer dans le titre VIII de la Constitution l’existence non d’une « autorité » judiciaire, mais d’un « pouvoir » judiciaire.

-Consacrer l’indépendance et l’impartialité de la justice dans le titre VIII de la Constitution en faisant du Conseil supérieur de la magistrature le garant de cette indépendance en lieu et place du Président de la République.

-Accroître l’indépendance du parquet en rompant le lien de subordination hiérarchique qui le soumet au garde des Sceaux et en conditionnant les nominations qu’il propose à un avis conforme et non plus simple du Conseil supérieur de la magistrature.

-Réviser la composition du Conseil supérieur de la magistrature afin qu’il compte autant de magistrats que de personnalités qualifiées.

-Réviser le mode de désignation du Conseil supérieur de la magistrature en conditionnant la nomination des personnalités qualifiées à l’obtention d’une majorité positive des 3/5 dans les commissions compétentes de chacune des deux assemblées.

-Étendre les pouvoirs de nomination du Conseil supérieur de la magistrature à l’ensemble des magistrats du siège et lui confier des pouvoirs d’inspection.

-Permettre la publication, au sein du Conseil supérieur de la magistrature, des opinions dissidentes.

Proposition n° 16 : Étudier la proposition tendant à la création d’un véritable ordre des juridictions sociales.

Proposition n° 17 : Moderniser le Conseil constitutionnel.

-Conditionner la nomination des membres du Conseil constitutionnel à l’obtention d’une majorité positive des 3/5 dans chacune des commissions parlementaires compétentes.

-Mettre un terme à la présence de droit, au sein du Conseil constitutionnel, des anciens Présidents de la République.

-Prendre acte de l’évolution du rôle du Conseil constitutionnel en modifiant sa dénomination et en consacrant ainsi l’existence, en France, d’une véritable « Cour constitutionnelle ».

-Permettre la publication d’opinions dissidentes dans le cadre des travaux du Conseil constitutionnel.

******


Voici les membres de ce groupe, dont la procédure de désignation n'est pas explicitée, alors que l'enjeu démocratique est immense et concernera tous les citoyens pour de très nombreuses années : il s'agit en effet d'étudier et de proposer de mettre en place un nouvelle Constitution, selon un processus qui reste à éclaicir (article 11 ou 89, autre?).

Ce projet de l'Assemblée nationale ira-t—il jusqu'à son terme, après publication de rapport, ou ne s'agit-il, encore une fois, que d'une opération de communication préélectorale? Nous ne voulons pas croire cette dernière hypothèse, mais il est absolument indispensable que les citoyens, profondément concenés, y soient associés d'emblée pour garantir la crédibilité de ce groupe.
Tous les citoyens sont cependant invités à y “contribuer”, et peuvent envoyer leurs travaux et commentaires à lvitry@assemblee-nationale.fr . Ces travaux devraient, en principe, être annexés au rapport final.

S'ils le souhaitent, les citoyens et les associations volontaires pour contribuer aux travaux verront  leurs noms ajoutés à la liste de cet embryon de conseil des sages crée par M Bartolone .
Le contenu du site 
http://collectifconstituant.fr.gd , qui rassemble les travaux constitutionnels des citoyens, évalue le contexte et propose un premirr cadre de projet Constitutionnel.
Il est donc transmis ce jour, ainsi que les commentaires sur les deux premières réunions du groupe de travail de l'Assemblée nationale, car ces comptes-rendus nous posent question.

 

Résumé de la décision de M le Président de l'Assemblée Nationale et des députés prise le 1er octobre 2015.

 

Les textes en noir sont ceux qui sont repris sur le site de l'Assemblée Nationale.

À l’ouverture de la session parlementaire 2014-2015, le Président de l’Assemblée nationale a proposé que soit mis en place un groupe de travail pluraliste sur l’avenir des institutions, afin de mener une réflexion de fond sur l’adaptation de notre régime aux mutations politiques, économiques, sociales, culturelles et technologiques. “

Nous, les citoyens, n'avions semble-t-il pas été consultés pour la constitution de ce groupe, dont les conclusions nous concerneront pourtant tous, et vont engager notre vie dans notre pays pour des dizaines d'années. Nous demandons donc à nos représentants de nous consulter et de considérer nos propositions, car nous n'imaginons pas que ce soit une opération de communication préparatoire aux prochaines élections. Nous espérons que le rapport du groupe ne sera pas dévoyé par le pouvoir et que nos demandes de modernisation de nos institutions seront prises en compte.

Organisation du travail du groupe.
« Les réunions du groupe de travail débuteront le jeudi 27 novembre et s’achèveront à la fin du mois de juin.
Les auditions seront ouvertes à la presse et au public. Elles donneront lieu à une retransmission télévisée et seront accessibles sur le site Internet de l’Assemblée nationale.

Les onze réunions programmées de 9 à 13 h entre le 19 décembre 2014 et le 29 mai 2015 seront ouvertes à la presse et au public. »

La réunion d'ouverture du 27 novembre, dont le compte-rendu est joint ci-après, se tenait à huis-clos, c'est bien regrettable pour les citoyens ! Chaque membre du groupe s'est exprimé et leur discours est édifiant sur la façon dont ils considèrent les citoyens. Les commentaires de ces discours introductifs sont présentés en violet, couleur symbolique de l'esprit que les citoyens peuvent espérer insuffler au sein de ce groupe qui s'impose à nous, par leurs contributions.

Les deux réunions des 12 et 26 juin permettront un échange de vues sur le rapport.”

Les dates des prochaines réunions initialement pévues étaient les suivantes (v vendredi , j jeudi):

v 16/01, v 30/01, j 5/02, v 13/02, v 13/03, v 27/03, v 10/04, v 17/04, j 7/05, v 29/05 et deux séances de synthèse : v 12/06 et v 26/06.

Le groupe doit rendre son rapport en octobre 2015. Il sera indispensable de veiller à ce que ce rapport soit soumis aux avis des citoyens est qu'il les intègre avant d'être publié comme définitif. Faute de quoi ce rapport pourrait être considéré comme incostitutionel, donc nul.

Lien vers Les membres du groupe de travail


 Sommaire


Séance du 27/11/2014 : installation du groupe, commentaires
Séance du 19/12/2014 Réunion sur le thème : « Une crise de la République ? », commentaires
Séance du 16 janvier 2015, commentaires
Séance du 26 juin2015 : lettre au groupe de travail exigeant que la souveraineté des citoyens en matière de Constitution soit respectée

 


 

Comptes-rendus des travaux du Groupe commentés

Groupe de travail sur l’avenir des institutions

Jeudi 27 novembre 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 1

Présidence de M. Claude Bartolone et de M. Michel Winock

Co-présidé par le Président de l'Assemblée nationale, M. Claude BARTOLONE, et une personnalité qualifiée, M. Michel WINOCK, historien, le groupe de travail sur l'avenir des institutions compte 11 parlementaires et 12 “personnalités qualifiées”.

La séance, ouverte à la presse, débute à neuf heures trente.

1 M. le président Claude Bartolone. Je suis très heureux de pouvoir procéder aujourd’hui à l’installation de notre groupe de travail sur l’avenir des institutions, aux côtés de Michel Winock. En notre nom à tous deux, je salue les membres ici présents et les remercie sincèrement d’avoir bien voulu participer à cette aventure. Tant les parlementaires – députés et sénateur – que les personnalités qualifiées qui ont accepté de venir travailler au sein de cette mission, et ce à titre bénévole.

De la même manière, je tiens à vous remercier, cher Michel Winock, d’avoir accepté de coprésider avec moi cette mission, vous qui n’avez cessé, à travers vos ouvrages et vos enseignements, d’éclairer notre présent à la lumière du passé. Un passé qui, en matière d’institutions, nous invite à beaucoup d’humilité.

En 1793, les constituants de la Ière République proclamèrent à l’article 28 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dans sa version de l’époque : « Un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures. » Force est de constater que notre pays a suivi ce principe à la lettre. La France a ainsi connu près d’une quinzaine de constitutions – au sens large que peut recouvrir ce terme –, une monarchie constitutionnelle, deux empires, cinq républiques… Tant et si bien qu’il est légitime de se demander si, en vérité, changer nos institutions n’est pas un tropisme français face à l’adversité. Mais vous reviendrez sans doute, cher Michel Winock, sur cette « exception française ».
On peut s'interroger sur la participation réelle du peuple à ces changements, qui leur ont plutôt étaient pour la plupart imposés par les gens de pouvoir et les partis politiques. Dire que notre pays a suivi ce principe à la lettre est donc hardi, voire erroné. De plus la Constitution actuelle date de 1958 et 22 des 24 modifications ont été adoptés sans consultation des citoyens! Elle est de plus devenue onsolète, voire inapplicable sur bien des points (voir la pages sur les "Nouvellles Constitutions".

Pour ma part, je voudrais vous dire pourquoi cette réflexion sur l’avenir de nos institutions m’apparaît indispensable et pour quels motifs j’ai souhaité la création de ce groupe de travail.

Bien évidemment, j’entends ceux qui nous expliquent que l’urgence est économique et que la question des institutions serait, en vérité, secondaire. J’entends ceux qui soutiennent que le problème ne relève pas des institutions mais du comportement des hommes et des femmes politiques. J’entends ceux qui affirment que la Constitution de la Ve République garantit la stabilité de notre pays et que, par conséquent, toute révision constitutionnelle serait dans le contexte actuel une prise de risque majeure.

J’entends, mais je ne partage pas totalement leur avis. Que les dérives d’une minorité aient contribué à ronger la confiance entre les citoyens et leurs élus, qui peut le nier ? Que, plus généralement, les hommes politiques aient leur part de responsabilité dans la situation sociale et économique dans laquelle se trouve notre pays, qui peut le nier ? Mais qui peut nier également que les comportements et les actions politiques sont pour une part déterminés par les institutions et par les règles que nous fixons ?
C'est bien là le problème : "les règles que nous fixons", mais qui est ce "nous" ? Ce ne sont manifestement pas les citoyens, mais bien les élus et leurs partis, qui n'échappent pas à la tentation de protéger leurs pouvoirs et leurs privilèges en s'obstinant à écrire les règles qui les concernent, Et il ne s'agit pas d'une "minorité" mais bien de l'ensemble des partis. C'est être aveugle que de ne pas reconnaître que ce sont les partis politiques qui ont contribué, par leur main mise sur le pouvoir, à détruire la confiance des citoyens. Nous voulons une nouvelle Constitution, mais nous voulons absolument participer à son élaboration!

De la même manière, s’il s’agit d’affirmer que le fait de réviser la Constitution n’est pas un acte anodin, qu’une révision de notre norme suprême doit avoir été mûrement réfléchie, j’en suis le premier convaincu. Que la Ve République ait réussi à apporter de la stabilité à notre pays, qu’elle ait su surmonter toutes les crises depuis 1958, j’en suis conscient. Mais qu’elle soit restée la même depuis sa naissance, je ne le crois pas. Doit-on rappeler que notre Constitution a connu vingt-quatre révisions ?

Et s’il s’agit d’envisager le risque que présenterait une réforme constitutionnelle insuffisamment pensée, alors il conviendrait d’abord d’évoquer certaines des dernières révisions constitutionnelles. Je ne suis pas sûr, par exemple, que toutes les conséquences politiques du quinquennat et de l’inversion du calendrier électoral aient été véritablement anticipées. L’erreur selon moi est que, bien souvent, nous avons cédé à des modes ou procédé à des modifications par petites touches, sans jamais engager une véritable réflexion sur ce que nous attendions de nos institutions.
Sur ces questions, on peut s'interroger sur les réelles motivations qui ont présidé à la rédaction du nouvel Article 11, considéré comme inapplicable tant il pose de barrières à son application. Il ne s'agit pas, loin s'en faut, d'une "petite touche". Nous demandons que cet article soit mis en œuvre par le Parlement, en prenant en compte les propositions constitutionnelles des citoyens.

Enfin, s’agissant de l’urgence économique, il est évident que la situation préoccupante dans laquelle se trouvent bon nombre de nos concitoyens doit être la priorité. Mais cela n’exclut nullement de s’interroger sur nos institutions, bien au contraire. Car il ne peut y avoir de réponses que collectives aux problèmes que traverse notre pays. Or, un projet collectif nécessite nécessairement de disposer d’une démocratie qui fonctionne et à laquelle participent véritablement ses citoyens.
Cette belle profession de foi est déjà mise à mal avec les modalités de mise en place du groupe de travail, qui met en quelque sorte "la charrue avant les bœufs", en ne commençant pas à prendre tout d'abord en compte les attentes et les demandes des citoyens. Comme il est dit ci-après, les citoyens, une fois encore, ne sont pas écoutés ni consultés a priori pour la préparation d'une réforme constitutionnelle.

Aujourd’hui, le fonctionnement de nos institutions est mis en cause sur deux points essentiels. Les Françaises et les Français se sentent, tout d’abord, insuffisamment écoutés, reconnus et représentés. Ce n’est d’ailleurs pas spécifique à notre pays. La question se pose dans un grand nombre de démocraties représentatives, qui voient la défiance s’accroître et le fossé entre les élus et les électeurs se creuser chaque jour un peu plus.

Beaucoup de nos compatriotes doutent ensuite de la capacité de la politique à pouvoir changer le cours des choses. Beaucoup pensent que le cours de l’histoire serait désormais entre les mains de la mondialisation, de l’économie, de l’Europe et du marché, que le peuple français ne serait plus maître de son avenir.

Voilà deux questions essentielles sur lesquelles nous devrons nous pencher. Comment nos institutions peuvent-elles – car elles le doivent – contribuer à rétablir le lien de confiance entre les élus et leurs électeurs ? Comment faire en sorte que le peuple français ait à nouveau le sentiment d’être maître de son destin ? L’une des clefs réside sans doute dans notre capacité à remettre le citoyen au cœur des institutions, à lui rendre le pouvoir qui est le sien, lui qui s’estime trop souvent dépossédé et, par voie de conséquence, incapable de s’inscrire dans un projet commun.
Très bien, mais qu'en est-il pour ce travail constitutionnel : nulle consultation préalable, nous sommes effectivement, ici, dépossédés du pouvoir qui est le notre! Comment poser un principe évident et, immédiatement, le fouler aux pieds!

Voilà quelques-unes des réflexions qui m’ont conduit à créer ce groupe de travail en tout point exceptionnel. Exceptionnel parce que, pour la première fois sous la Ve République, l’avenir de nos institutions est pensé non dans le cadre d’une commission ou d’un comité créés par l’exécutif, mais dans celui d’un groupe de travail de l’Assemblée nationale, placé sous le regard des citoyens. Exceptionnel, parce que ce groupe de travail n’est pas uniquement composé de spécialistes et de techniciens, comme cela a toujours été le cas depuis 1958, mais plus largement de femmes et d’hommes politiques, de juristes, d’universitaires, d’intellectuels, d’acteurs de terrain.
Nous ne sommes pas intéressés pour avoir un groupe de travail "placé sous le regard des citoyens". C'est sans aucun doute passionnant, mais ce que nous voulons, encore une fois,c'est participer et contribuer à ces travaux. Cette manière d'accorder avec condescendance un "droit de regarder" pourrait être considéré comme une forme de mépris des citoyens.

Car notre objectif ambitieux n’est pas simplement de proposer une révision constitutionnelle, mais d’identifier ce que devraient être selon nous les institutions françaises au xxie siècle, dans un pays qui a connu depuis 1958 de profondes mutations, que ce soit la mondialisation, la montée en puissance de l’Union européenne, la décentralisation, l’émergence d’enjeux de long terme, la contraction du temps médiatique, les nouvelles revendications des individus ou encore la place accrue prise par les experts dans l’espace public.
Ce n'est pas "selon le groupe de travail" que pourront être prises en compte 'les nouvelles revendications des individus", mais bien en les invitant à participer!

Le constat sera à mon sens tout aussi important que les propositions que nous formulerons. Sur ce point, il n’est d’ailleurs pas nécessaire de nous livrer à un inventaire à la Prévert, mais plutôt d’identifier quelques mesures phares de nature à changer véritablement le cours des choses.

J’aimerais également vous dire dans quel état d’esprit j’aborde cette mission. Nous sommes beaucoup ici à avoir d’ores et déjà formulé des propositions. Nous les évoquerons, bien évidemment. Mais, si nous voulons que nos travaux débouchent véritablement sur quelque chose, nous devrons être capables de nous mettre d’accord sur quelques principes, et chacun devra aborder nos débats moins avec l’idée de défendre ses positions que de faire émerger des propositions communes. Je le dis ici, je veillerai à respecter moi-même ce principe. Car qu’on se le dise : cette mission ne poursuit aucun plan caché. Elle ne répond à aucun agenda. Le rapport qu’elle remettra, et dont nous serons avec Michel Winock les rapporteurs, n’aura pour objet que d’éclairer le débat, qui in fine devra être tranché par les Françaises et les Français – peut-être, qui sait, lors des prochaines élections présidentielles ?
Ces principes, nous, les citoyens, forts des expériences et des échecs passés, nous y avons aussi travaillé.  Les travaux de multiples associations et de groupes de citoyens sont présentés sur ce site, à la page http://collectifconstituant.fr.gd/Le-Projet-Constituant.htm .

J’aimerais, pour conclure, vous dire combien cette réunion a pour moi valeur de symbole. Nous vous proposons de nous attarder, dans le cadre de nos débats, sur la question du « Parlement du non-cumul ». La suppression du cumul des mandats, qui entrera en vigueur en 2017, nous invite en effet à réfléchir sur ce que devra être, demain, un parlementaire. Un parlementaire encore plus actif qu’aujourd’hui, certes, mais pour poursuivre quelles missions et quels objectifs ? Pour ma part, je suis convaincu qu’une partie des réponses à la crise démocratique que traverse notre pays se trouve ici, au Parlement. Une chose est sûre : pendant des décennies le Parlement a attendu d’être revalorisé, comme si cela devait nécessairement provenir d’une décision extérieure. Avec ce groupe de travail, il a l’occasion de prouver qu’il est peut-être le plus à même de penser son avenir.

2 M. le président Michel Winock. Nous en avons tous conscience : un malaise général hante notre vie publique. Il a pris la forme d’un écart profond entre la classe politique et les citoyens, comme plusieurs signes l’attestent : le niveau record de l’abstention aux dernières élections, la montée en puissance du populisme, le rejet des partis politiques de gouvernement. Le problème est double : il s’agit d’une perte de confiance de la part des citoyens en ceux qui les gouvernent mais aussi du problème de la représentativité des électeurs, qui se reconnaissent de moins en moins dans leurs mandataires.

Loin de moi l’idée qu’une nouvelle réforme de la Constitution, si profonde soit-elle, puisse être une panacée. Du moins peut-on se demander si certains aspects de notre Constitution ne contribuent pas à la désaffection des citoyens ; et si, inversement, certaines réformes tendant vers plus de démocratie ne seraient pas souhaitables, afin de combler le fossé entre les Français et ceux qui les gouvernent.
Analyse clairvoyante, comment ne pas reconnaître cet éloignement des citoyens face à l'évidence. Mais il est inquiétant de noter que ce ne seraient que certains aspects de notre Constitution!
Non, c'est une refonte complète qui est absolument nécessaire. Et ce sont les citoyens qui doivent contribuer à la proposer, évidemment, faute de quoi le constat de la désaffection des citoyens perdurera
!

En introduction à nos débats, je vous propose de retracer à grands traits notre histoire constitutionnelle, avant d’en venir à la Ve République.

La Révolution a liquidé la vieille société fondée sur les privilèges, inauguré une ère nouvelle avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et instauré de manière définitive l’égalité civile. Mais elle a échoué dans sa volonté de donner aux Français un régime constitutionnel stable, et cet échec va peser lourd sur toute la suite de l’histoire républicaine. Relevons au passage cette différence entre la France, l’Angleterre et les États-Unis. La Glorieuse Révolution de 1688 établit en Grande-Bretagne un régime de monarchie constitutionnelle, qui évoluera dans le sens démocratique mais dont le cadre ne changera pas. La Révolution américaine aboutit à la Constitution de 1787 qui, quels que soient les amendements qui l’ont modifiée, reste la base de la vie politique des États-Unis. En revanche, la Révolution française, en raison des profondes divisions du pays, n’a jamais pu stabiliser un régime politique – monarchique ou républicain – ni en 1791, ni en 1793, ni en 1795, la décennie révolutionnaire s’achevant par le coup d’État de Napoléon Bonaparte. De 1791 à 1958, la France a connu quinze constitutions successives. Cette instabilité est une des marques originales de notre histoire ; ce n’est pas la plus exemplaire.

La révolution de 1848, qui ouvre un nouveau cycle républicain, a inventé le Président de la République. L’Assemblée constituante, composée en majorité de républicains modérés, confia la préparation du projet constitutionnel à une commission de dix-huit membres, dont le plus distingué était certainement Alexis de Tocqueville, l’auteur de La Démocratie en Amérique. Ladite commission, en abordant le chapitre du pouvoir exécutif, parle, chose étonnante, d’une seule voix : « On aura peine à croire, écrit Tocqueville dans ses Souvenirs, qu’un sujet si immense, si difficile, si nouveau, n’y fournit la matière d’aucun débat général, ni même d’aucune discussion fort approfondie. On était unanime pour vouloir confier le pouvoir exécutif à un seul homme. » L’un des membres de la Commission, Dupin aîné, propose alors qu’il porte le titre de Président de la République, ce qui fut adopté !

Le projet constitutionnel – celui d’une assemblée législative unique et d’un président de la République élu au suffrage universel masculin – est mis à la discussion par la Constituante en octobre. Là, point d’unanimité : le modèle de la Convention reste prégnant dans bien des esprits ; la gauche, sans désavouer le choix d’un président, veut que celui-ci n’émane que de l’Assemblée unique et soit soumis à celle-ci ; Jules Grévy, quant à lui, l’assimile à un simple président du Conseil, révocable.

L’extrême gauche est cependant très minoritaire. Tocqueville, au nom de la Commission, défend la thèse de la « division des pouvoirs » et l’autonomie du Président. Un gouvernement d’assemblée unique, plaide-t-il, qui possède la plénitude des pouvoirs législatifs, mais encore la plénitude du pouvoir exécutif, serait « un gouvernement tracassier, tyrannique, un gouvernement changeant, violent, irréfléchi, étourdi, sans tradition, sans sagesse… » L’équilibre ne peut être réalisé que par l’élection du Président par les citoyens. Ce n’est nullement un retour à la monarchie : « La République, pour un grand nombre de Français, diffère de la monarchie en ceci que, dans l’une, le pouvoir exécutif est nommé par les citoyens, tandis que, dans l’autre, il tire son droit de Dieu ou de sa naissance. »

Pour quelles raisons l’Assemblée a-t-elle suivi la Commission, favorable à un Président de la République élu au suffrage universel – un suffrage universel ne s’appliquant en réalité qu’au premier tour, l’Assemblée votant, en cas de second tour, parmi les cinq candidats arrivés en tête –, à la fois chef d’État et chef de gouvernement ? La première raison tient au refus du retour à un régime de type conventionnel – celui que défend l’extrême gauche –, derrière lequel se profilait le souvenir de la Terreur. En second lieu, l’élaboration de la Constitution s’est faite dans un climat d’extrême tension sociale et politique. L’Assemblée, le 15 mai, avait été envahie par des manifestants qu’emmenaient Blanqui et Barbès. En juin, l’abolition des Ateliers nationaux avait provoqué une insurrection terrible, la guerre civile à Paris et une répression impitoyable. Le pouvoir était alors passé de la Commission exécutive à une sorte de dictature romaine, dont le général Cavaignac fut chargé. En octobre, l’état de siège était encore maintenu. Les Constituants ont donc voulu donner à la République une autorité capable de maintenir l’ordre et, à cet effet, il importait aux yeux de beaucoup de personnifier cette autorité étatique. Enfin, et peut-être surtout, le modèle américain, inventeur de la présidence de la République, avait inspiré les Constituants, comme l’attestent les nombreuses références à « l’Amérique » au cours des discussions.

Finalement, la Constitution du 4 novembre 1848, qui est adoptée par 739 voix contre 30, attribue au Président de la République, élu pour quatre ans au suffrage universel et non immédiatement rééligible, de vastes pouvoirs : il a le droit de faire présenter des projets de loi à l’Assemblée par les ministres ; il dispose de la force armée ; il a le droit de grâce – qu’il exerce après l’avis du Conseil d’État ; il promulgue les lois ; il nomme et révoque les ministres… En revanche, il ne dispose pas du droit de dissolution : selon l’article 68, « toute mesure par laquelle le Président de la République dissout l’Assemblée nationale, la proroge ou met obstacle à l’exercice de son mandat, est un crime de haute trahison. Par ce seul fait, le président est déchu de ses fonctions ; les citoyens sont tenus de lui refuser obéissance ; le pouvoir exécutif passe de plein droit à l’Assemblée nationale ».

Ce régime cependant est mal défini : régime présidentiel ou régime parlementaire ? Dans un premier temps, il a l’allure d’un régime parlementaire : Louis-Napoléon Bonaparte, élu Président en décembre 1848, fait appel, pour former le gouvernement, à Odilon Barrot, chef nominal du ministère, président du Conseil sans le titre : l’Élysée et l’Assemblée sont en harmonie. Mais, en octobre 1849, à la suite d’un désaccord de politique étrangère – au sujet du pape –, le Président demande aux ministres leur démission, alors qu’ils n’étaient pas mis en minorité par l’Assemblée. Louis-Napoléon Bonaparte entend cumuler désormais la fonction de chef d’État responsable et de chef de gouvernement, – un gouvernement qu’il compose d’hommes nouveaux pris en dehors de la majorité.

Destinée à assurer l’équilibre des pouvoirs, la Constitution en organisait surtout la séparation étroite, sans aucun organisme d’arbitrage entre l’exécutif et le législatif, et alors que le Président n’avait pas le droit de dissolution. Les conflits entre le Président et l’Assemblée deviennent fréquents et parfois profonds. Ainsi, en mai 1850, l’Assemblée conservatrice est-elle à l’origine d’une loi qui restreint le suffrage universel, contre l’avis de Louis-Napoléon Bonaparte. La même année, le Président destitue le général Changarnier, gouverneur antibonapartiste de la place de Paris, au scandale de la majorité. L’Assemblée refuse sa confiance au ministère, qui démissionne, mais n’ose attaquer le Président.

On sait que Louis-Napoléon Bonaparte, élu en décembre 1848, voulut se maintenir à la tête de l’État au-delà de son mandat de quatre ans ; qu’il échoua à convaincre les trois quarts requis de l’Assemblée pour la révision constitutionnelle nécessaire ; que, pour parvenir à ses fins, il fit le coup d’État du 2 décembre 1851 et, un an plus tard, rétablit l’Empire. Ainsi, l’élection d’un Président au suffrage universel avait été le tremplin du retour à la dictature bonapartiste. Les républicains s’en souviendront.

Les débuts de la IIIe République sont singuliers, puisque, née de la défaite militaire de Napoléon III et de la journée révolutionnaire du 4 septembre 1870, elle est remise en cause par une majorité monarchiste issue des élections du 8 février 1871 à l’Assemblée nationale. Thiers est alors élu « Chef de l’Exécutif », avant de devenir, par la loi Rivet du 31 août 1871, « Président de la République », responsable devant l’Assemblée. Pour la majorité, il ne s’agit que d’une transition, en attendant la restauration monarchique. Thiers, jouant son propre jeu et devenu favorable à une « république conservatrice », est renversé et bientôt remplacé par le maréchal Mac-Mahon. C’est toujours une période d’attente pour les monarchistes. Cependant, lorsqu’il finit par s’avérer en 1873 que, en raison de l’intransigeance du prétendant, le comte de Chambord, la restauration est remise aux calendes grecques, la majorité de l’Assemblée vote la loi du septennat – « Le Pouvoir exécutif est confié pour sept ans au maréchal de Mac-Mahon » –, nouvelle mesure pensée comme provisoire, mais qui deviendra, en fait, un article constitutionnel jusqu’en 2000.

En 1875, le rapprochement du centre droit – les orléanistes désabusés – et de la gauche – les républicains modérés – permet le vote des lois constitutionnelles. Dans l’esprit des orléanistes, celles-ci ne doivent pas hypothéquer la possibilité d’une restauration, mais la force des choses les amène bientôt à reconnaître la République – de façon subreptice, peut-on dire. Le tournant est pris, en effet, à la suite de l’amendement Wallon – ancien monarchiste rallié à la République –, voté à une voix de majorité, le 30 janvier 1875, et selon lequel : « Le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages par le Sénat et la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale. » Ce titre de Président de la République avait été attribué personnellement, à titre individuel, d’abord à Thiers, puis à Mac-Mahon ; cette fois, l’impersonnalité de la fonction est reconnue et, partant, la forme du régime : puisqu’il y a un Président de la République, il faut bien qu’il y ait une République ! Tel est le paradoxe de cet amendement Wallon : c’est au moyen de l’institution présidentielle, dont les républicains, échaudés par le 2 décembre, n’étaient pas vraiment partisans, que la République, cessant d’être un régime provisoire, devenait le régime officiel des Français.

Tout n’était pas dit pour autant. La loi du 25 février 1875 relative à l’organisation des pouvoirs publics définissait les larges pouvoirs du Président. Élu et rééligible par le Sénat et la Chambre des députés, il avait l’initiative des lois, « concurremment avec les membres des deux assemblées » ; il détenait le droit de grâce ; il disposait de la force armée ; il nommait à tous les emplois civils et militaires ; il avait le droit de dissoudre la Chambre, sur l’avis conforme du Sénat. C’était là des pouvoirs considérables, que les républicains modérés avaient acceptés pour faire accoucher d’une République une assemblée en majorité monarchiste.

Les élections législatives de 1876 ayant donné la majorité aux députés républicains, la France fait l’expérience de ce qu’on appellera plus tard la cohabitation. Se pose alors la question : qui, du Président ou de la Chambre, aura la prééminence du pouvoir ? La réponse est donnée par la crise du 16 mai 1877, déclenchée par Mac-Mahon qui, en désaccord avec le président du Conseil Jules Simon, force celui-ci à la démission, pour le remplacer par un des siens, le duc de Broglie. Ce nouveau gouvernement minoritaire étant intenable, Mac-Mahon dissout la Chambre. Les élections qui suivent sont décisives. Les républicains l’emportent, Mac-Mahon doit se soumettre. Et, lorsque ce dernier finit par démissionner en 1879, la fonction présidentielle achève de se transformer. Sans que rien ait été changé à la lettre des lois constitutionnelles, les pouvoirs du président de la République sont, dans les faits, sensiblement amenuisés. Des juristes parleront de la « Constitution Grévy », du nom du successeur de Mac-Mahon, qui redonne la pleine suprématie des pouvoirs au Parlement et affaiblit du coup les siens.

Cet épisode, resté dans l’histoire sous le nom de « crise du 16 mai », a été déterminant. Une révision de fait avait eu lieu : la lecture parlementaire des lois de 1875 l’emportait. De ce jour, le Parlement devenait tout-puissant, et sans contrepartie. Un républicain en a vu le danger : Jules Ferry, qui passe à juste titre pour l’un des fondateurs de la IIIe République, mais qui n’en a pas moins défendu l’équilibre des pouvoirs contre l’avis majoritaire des républicains. À ses yeux, cet équilibre exigeait le droit de dissolution pour le Président de la République. Dès 1877, il en affirmait le principe qui restera sa conviction : « C’est un droit nécessaire, c’est la régulation du régime constitutionnel, c’est le moyen de résoudre les conflits insolubles, qui peuvent se prolonger indéfiniment aux États-Unis pendant des années, mais qui ne peuvent se prolonger chez nous sans paralyser la vie nationale. La dissolution, c’est la seule forme sérieuse, efficace, pratique de l’appel au peuple. […] Ôter au Président de la République le droit de dissolution, c’est le reléguer au rang d’une institution nominale ou décorative. J’aime mieux ceux qui le suppriment tout à fait.»

Conformément à la tradition de gauche hostile au pouvoir personnel, la IIIe République, tout en gardant la fonction présidentielle, la vidait de sa substance originelle. Désormais, le Président désignerait le chef du gouvernement en tenant compte de la majorité de la Chambre des députés ; il se priverait de l’initiative des lois, qui revenait au Gouvernement et au Parlement, devant lequel celui-ci était responsable. Plus jamais, jusqu’à la fin de la IIIe République, il n’userait de son droit de dissolution. Le pouvoir politique était passé, définitivement, de l’Élysée au palais Bourbon – la Chambre des députés fut transférée de Versailles à Paris par la loi du 21 juin 1879.

Le régime parlementaire se substituait au régime semi-présidentiel antérieur. L’interprétation a minima de la présidence par Jules Grévy fut imitée par ses successeurs et, lorsque en 1924 le Président de la République Alexandre Millerand manifesta des velléités d’initiative, il fut acculé à la démission par la majorité parlementaire. La République avait toujours un président, mais il était interdit de gouvernement. On parla alors d’un « président soliveau ». La formule était exagérée, car il avait encore des pouvoirs réels, notamment celui de désigner les chefs de gouvernement. Comme il n’existait pas de parti dominant, il pouvait choisir les présidents du Conseil à sa guise, pourvu que ceux-ci aient l’approbation d’une majorité. Il avait surtout le pouvoir d’écarter les candidats qui ne lui plaisaient pas – c’est ainsi que Georges Clemenceau dut attendre d’avoir soixante-cinq ans pour devenir président du Conseil.

Les crises de la IIIe République et son instabilité endémique furent mises au compte, par nombre de réformateurs, des faiblesses de l’exécutif, que d’aucuns proposèrent de renforcer, et notamment en restituant au Président des pouvoirs que la pratique parlementaire lui avait confisqués. Malgré une agitation récurrente qui allait en ce sens, les manifestations des ligues et la journée du 6 février 1934, ils échouèrent dans cette volonté de réforme, tant les députés entendaient conserver leur pouvoir.

On peut dire aussi que l’instabilité de la IIIe République provient tout autant, et peut-être plus encore, de la faiblesse même du Parlement, en apparence tout-puissant. En raison du multipartisme et de l’indiscipline des élus, une majorité durable était rare. Ce ne sont plus les institutions qui sont en cause, mais les mœurs politiques.

La question devait de nouveau se poser après la Seconde Guerre mondiale, lorsque les Français élirent une assemblée constituante pour fonder la IVe République. Le chef du Gouvernement provisoire, Charles de Gaulle, était désireux de restaurer un exécutif fort, dont le Président de la République serait la clef de voûte. Mais de Gaulle se heurtait à une majorité composée de socialistes et de communistes, qui entendaient bien, dans la tradition révolutionnaire, confier la réalité du pouvoir à une assemblée unique. De Gaulle donna alors sa démission en janvier 1946 : « Le régime exclusif des partis a reparu. Je le réprouve. Mais, à moins d’établir par la force une dictature, dont je ne veux pas, et qui, sans doute, tournerait mal, je n’ai pas les moyens d’empêcher cette expérience. Il faut donc me retirer. »

Le premier projet constitutionnel, qui limitait considérablement les pouvoirs du Président de la République, élu par l’Assemblée nationale, fut cependant rejeté par le référendum du 5 mai 1946. Le Général entreprit de défendre ses idées, qu’il exposa, notamment, le 16 juin à Bayeux. Peine perdue ! Le second projet constitutionnel, adopté le 13 octobre, rejetait la prépondérance de l’exécutif, attribuait au président du Conseil et aux membres du Parlement – le bicaméralisme était restauré – l’exclusivité de l’initiative des lois. Le droit de dissolution revenait au Conseil des ministres, après avis du président de l’Assemblée – et à la condition que deux cabinets aient été renversés dans les dix-huit mois précédents, à la majorité absolue. Si le Président désignait le président du Conseil, celui-ci n’entrait en exercice que s’il était investi à la majorité par l’Assemblée nationale. De janvier 1947 à décembre 1958, en douze ans, la IVe République compta ainsi vingt-deux gouvernements ; moyenne de durée : environ six mois.

La IVe République, qui n’avait été approuvée que par une minorité des électeurs inscrits lors du référendum d’octobre, fonctionnait mal : elle était un régime d’assemblée, mais d’une assemblée privée de majorité stable. Il fallut, en décembre 1953, six jours de débats et treize tours de scrutin pour élire René Coty, un républicain modéré, comme successeur du socialiste Vincent Auriol à l’Élysée. En 1958, l’insurrection à Alger des Français d’Algérie, soutenus par l’armée, eut raison en moins de trois semaines d’un régime politique déliquescent. La chance fut enfin donnée au général de Gaulle de proposer la Constitution de ses vœux aux Français, qui la ratifièrent par référendum le 28 septembre 1958 par 80 % des voix. La Ve République, rompant avec les deux précédentes et tournant le dos à la « tradition républicaine » qui remontait à la Révolution, adoptait la prépondérance de l’exécutif, dans la personne du Président de la République, élu par un suffrage élargi – en attendant de l’être au suffrage universel, à la suite de la révision constitutionnelle de 1962.

Lors de la discussion du projet constitutionnel, des leaders de la IVe République devenus ministres du général de Gaulle, Pierre Pflimlin et Guy Mollet, insistèrent sur le rôle d’ « arbitre » qui était conféré au chef de l’État. Mais, dans l’esprit du Général, le futur Président de la République ne pouvait pas être réduit à cette neutralité. Un de ses conseillers, Raymond Janot, qui joua un rôle important aux côtés de Michel Debré dans la rédaction du projet constitutionnel, traduisait dans une note sa conviction : « Un Président de la République arbitre est un personnage qui ne prend jamais parti sur les grands problèmes, qui ne prononce que des phrases très générales et dont l’autorité morale est d’autant moins contestée qu’elle ne s’exerce pratiquement pas. C’est bien évidemment à ce genre d’arbitre que pensaient MM. Guy Mollet et Pierre Pflimlin. Il va de soi qu’une telle conception n’a aucun sens aujourd’hui. » Plus habile tacticien, de Gaulle accepta le mot d’« arbitre », de même qu’il garantit que le Président de la République, qui avait nommé le chef du gouvernement, ne pourrait mettre fin personnellement aux fonctions de celui-ci. Il n’en sera rien dans la pratique : de Charles de Gaulle à nos jours, le vrai chef de gouvernement a été – sauf dans les phases de cohabitation – le Président de la République en exercice. La coutume, autrement dit, l’a emporté sur le texte constitutionnel. Un surcroît de puissance était du reste attribué par l’article 16 au Président, qui pouvait, en cas de crise grave, saisir des pouvoirs exceptionnels. Enfin, l’élection du Président au suffrage universel, décidée et ratifiée en 1962, achevait de construire ce qu’on appelle la « monarchie républicaine » ou la « monarchie élective » de la France.
Pourquoi omettre qu'après avoir été plusieurs fois reporté, un référendum sur la régionalisation et la réforme du Sénat est organisé le 27 avril 1969 par le général de Gaulle. Mais l'opposition appelle à voter non, et son ancien Premier ministre Georges Pompidou, candidat potentiel en cas de départ du président, réduit l'importance de cette réforme, pourtant nécessaire pour que les excès de la Constitution soit corrigés une fois la France "remise sur les rails". Les opposants et son ancien ministre des Finances, Valéry Giscard d'Estaing attisent la « peur du vide » chez les électeurs. Seule l'UDR fait campagne pour le oui. Le débat se porte ainsi très rapidement sur le maintien ou non du président au pouvoir, au lieu de se concentrer sur les intérêts réels de la réforme. Ce sont bien ici les parlementaires qui ont fait échouer cette réforme! Il convient de le signaler.

Ce régime est unique en Europe, même si le renforcement de l’exécutif est observable dans la plupart des démocraties occidentales. Si quelques pays ont un Président de la République élu au suffrage universel – l’Irlande, la Pologne, le Portugal, la Finlande, entre autres –, aucun de ces présidents ne dispose d’autant de pouvoir qu’en France. Pour expliquer le cas français, on peut mentionner d’abord les causes conjoncturelles : c’est la guerre d’Algérie, où s’embourbe le régime parlementaire, qui décide le remplacement de celui-ci. La Constitution de 1958 dote le chef de l’État d’une autorité incontestable – notamment l’article 16 – qui lui permet de mettre un terme au conflit algérien. Un demi-siècle plus tard, nous serions encore tributaires d’un événement : le coup de force du 13 mai 1958. On peut dire autrement que la Ve République est la fille du FLN.

Il y a, à mon sens, une cause plus profonde, qui remonte à la chute de la monarchie. Depuis la Révolution, la France a balancé entre deux types de régime : tantôt un régime d’assemblée – celui des assemblées révolutionnaires, celui de la IIIe et de la IVe République –, tantôt un régime de pouvoir personnel – celui des Bonaparte et celui de la Ve République. Un véritable régime parlementaire n’a pu s’enraciner en France. On en a vu l’ébauche sous la monarchie de Juillet ; on en a connu l’esquisse à la fin du Second Empire : ces deux régimes ont été, chacun pour des raisons particulières, balayés. Ni la IIIe ni la IVe Républiques n’ont été de vrais régimes parlementaires. Certes, dans les deux cas, le chef du gouvernement était responsable devant le pouvoir législatif, ce qui est le propre d’un régime parlementaire. Mais on n’a jamais vu sous ces républiques ce que l’on observe au Royaume-Uni ou en Espagne aujourd’hui, à savoir l’alternance au pouvoir de majorités stables, qui caractérise aussi le système parlementaire. Celui-ci ne fonctionne qu’en raison d’une certaine polarisation : deux partis principaux ou deux coalitions durables, qui ont vocation à gouverner. La vie politique française est caractérisée par le multipartisme, la division extrême des opinions, autant de tendances centrifuges héritées d’une histoire mouvementée. Aucun parti, de gauche comme de droite, sous la IIIe ou la IVe République, n’a été assez fort pour constituer une majorité de législature. La représentation courante d’un pays qui serait divisé entre la gauche et la droite apparaît comme un mythe ; la réalité s’apparente plutôt à une marqueterie de tendances, d’opinions, de partis, d’associations, de groupes et de groupuscules aux couleurs les plus variées, dont l’irradiation flatte notre goût de la politique mais n’avantage pas le bon fonctionnement d’un régime parlementaire. Au fond, l’individualisme collectif, que notait déjà Tocqueville à la veille de la Révolution, s’est accommodé d’un pouvoir exécutif fort : le régime parlementaire, lui, exige trop de discipline et de compromis.

Enfin, l’inaptitude – historiquement acquise – des Français au système parlementaire a eu pour effet un rejet intermittent de la politique. On votait sous la IIIe et la IVe République en ignorant qui gouvernerait le pays, tant le multipartisme rendait hasardeuses les combinaisons préalables à la formation d’un gouvernement. L’élection du Président au suffrage universel direct est populaire par sa simplicité : le citoyen choisit le chef de l’État entre les deux candidats restés en lice au tour décisif. D’où résulte sa popularité.

Paradoxalement, c’est le général de Gaulle, adversaire du clivage gauche-droite, qui a créé une certaine forme de bipartisme, le bipartisme du second tour de l’élection présidentielle. Un bipartisme qui s’est renforcé avec François Mitterrand et sa stratégie d’union de la gauche, qui a habitué les socialistes à refuser l’alliance avec le centre, comme l’avait souhaité Gaston Defferre et comme cela se pratiquait sous la IVe République. Majorité et opposition sont devenues rigides, la première ayant pour rôle d’appuyer la politique du Président, la seconde prenant le contre-pied quasi-systématique de cette politique. Cette polarisation, alimentée par le système électoral majoritaire, contraste vivement avec les vrais débats des précédentes républiques et contribue à l’abaissement de l’Assemblée aux yeux du public. Nous sommes donc face à un dilemme : d’un côté, l’élection présidentielle au suffrage universel a les faveurs des électeurs, et la puissance de l’exécutif corrige les tares du régime d’assemblée ; d’un autre côté, cette élection, devenue le moment-clé de la vie politique, a figé celle-ci dans le déséquilibre des pouvoirs.

Si j’avais à défendre la Constitution de la Ve République, je le ferais d’abord en la comparant aux constitutions qui l’ont précédée. Il est manifeste qu’auprès des défauts et des impuissances de la IIIe et de la IVe République, elle a fait preuve d’une solidité et d’une efficacité qu’aucun régime politique n’avait eu dans l’histoire française depuis la Révolution. Elle a permis aux gouvernements successifs de gouverner. Née dans des circonstances dramatiques – la guerre d’Algérie –, elle a permis à notre pays d’assumer la décolonisation, d’affronter les impératifs de la modernisation et d’entreprendre de grandes réformes sociales et sociétales. La victoire de la gauche en 1981 lui a conféré une dimension démocratique par la possibilité de l’alternance pacifique, un des fondements de la démocratie parlementaire ; elle a revivifié la société politique, et la cohabitation, malgré ses tares, a permis un certain rééquilibrage des institutions. Le tournant de 1983, mettant fin au projet de rupture avec le capitalisme, a favorisé l’apaisement de la vie politique. Malgré l’excès de pouvoirs détenus par le Président de la République, qui cumule ordinairement la fonction de chef d’État et de chef de gouvernement, la Ve République est restée un régime parlementaire : ce sont les élections législatives, c’est la majorité de l’Assemblée qui fondent en définitive le pouvoir du Président. Sans cette majorité, ses pouvoirs sont sensiblement limités, comme l’ont montré les phases de cohabitation. Un certain nombre de révisions, notamment celles de 1995 et de 2008, ont redonné une certaine vigueur aux assemblées législatives et corrigé les excès de la primauté présidentielle.
Le monde a changé, certes la Constitution fut solide, bien qu'amputée de sa plus importante réforme en 1969, mais elle est devenue inadaptée à toute forme de gouvernement participatif et à la mondialisation, Et surtout, elle ignore largement  les citoyens, qui ne participent, et de moins en moins, que lors d’élections pour des personnalités qui leur sont imposées par les partis. Ce défaut institutionnel est fortement ancré dans la culture des partis. Les conditions de mise en place de ce groupe et le peu de cas qui est fait des citoyens à ce sujet en est encore une preuve.

Malgré cela, nos institutions ne répondent plus exactement à l’attente des citoyens. La Constitution a été le fruit d’une période dramatique, à un moment où la France était au bord de la guerre civile. Elle fut approuvée par l’immense majorité du corps électoral, lassée d’une République irrésolue, divisée, incapable de faire face au terrible problème algérien. C’était il y a cinquante-six ans. Les temps ont changé, la demande est nouvelle.

Si j’avais à résumer ma critique du régime, j’emprunterais un concept à Georges Burdeau, celui de « démocratie gouvernée », qu’il oppose à la « démocratie gouvernante ». Le peuple souverain est consulté au suffrage universel par des élections libres, réglementées, épisodiques, mais sans pouvoir participer aux décisions de pouvoir. Une vaste étendue sépare les citoyens de leurs mandataires, où se projettent toutes les protestations, toutes les frustrations, toutes les colères. Certes, ce n’est pas nouveau, mais ce qui l’est, ce sont les nouvelles exigences d’une société qui a profondément changé depuis un demi-siècle, qui est beaucoup plus instruite et qui dispose de surcroît de moyens techniques d’information et d’expression sans précédent. Les élus, les gouvernants, les parlementaires et les ministres apparaissent de plus en plus comme une oligarchie qui se perpétue par endogamie : énarques, anciens élèves des grandes écoles, anciens assistants parlementairesLes chiffres parlent d’eux-mêmes : aujourd’hui l’Assemblée compte 2 % de députés issus des classes populaires, employés et ouvriers. Dans la première législature, qui a suivi la Libération, on en comptait plus de 18 %. Vraie ou fausse, cette représentation d’une classe politique fermée de fait, d’une élite qui ignore les conditions de vie du plus grand nombre, est désormais devenue un lieu commun.
Pourrons-nous, peuple souverain, très rarement consulté au suffrage universel par des élections libres, réglementées, épisodiques, mais qui ne sont ensuite pas respectés par les parlementaires (cf la "Consultation sur la Constitution européenne) et effectivement sans pouvoir participer aux décisions de pouvoir. Le pourrons-nous, avec ce groupe?

Il apparaît donc que le souci premier des politiques est de parer à ce risque de sécession entre le peuple et ses élites gouvernantes, dont l’abstentionnisme est le manifeste silencieux et dont le populisme sonore se nourrit. Redonner au peuple la parole, c’est le but d’une démocratie participative. Par quels moyens ? Ce sera à notre mission de les proposer. Préserver la faculté d’action d’un système politique qui a fait ses preuves et, en même temps, revitaliser la participation démocratique des citoyens : c’est, me semble-t-il, une nécessité et une urgence.

M. le président Claude Bartolone. Je remercie, en votre nom à tous, Michel Winock pour cette présentation historique particulièrement éclairante. Plus que d’une présentation, il s’est agi d’une véritable fresque, qui m’amène, une fois encore, à remarquer que la politique n’est pas faite par des machines, mais bien par des hommes. On a vu les raisons qui, individuellement et collectivement, ont conduit à proposer des formes d’organisation de nos institutions qui pèsent encore très lourd aujourd’hui – ainsi, lorsque l’on se rappelle de quelle manière le septennat a été accepté ou que l’on se remémore les raisons pour lesquelles le Président de la République n’a pas le droit de venir devant l’Assemblée nationale, on mesure à quel point, parfois, ce sont des comportements personnels qui sont à l’origine de « fondamentaux » de notre Constitution.

Avant de procéder à un premier tour de table, je dirai un mot de la méthode de travail que Michel Winock et moi-même vous proposons.

En plus de notre rencontre d’aujourd’hui, onze réunions sont d’ores et déjà programmées entre le 19 décembre et le 29 mai. Il s’agit le plus souvent de vendredis et nous nous réunirons de neuf heures à treize heures. Deux autres réunions sont prévues, les 12 et 26 juin, pour harmoniser nos points de vue et débattre de propositions dans la perspective de la présentation du rapport final. S’il s’avère nécessaire d’ajouter une ou deux séances, nous vous proposerons, en cours de route, de nouvelles dates.

Un thème sera associé à chaque réunion. Une liste de thèmes vous a été transmise. Ainsi, le 19 décembre, nous nous interrogerons sur la crise de la République et la difficulté à faire émerger un projet collectif. Nous aborderons, dans ce cadre, les grandes transformations survenues au cours des vingt dernières années, ainsi que les fractures qui traversent aujourd’hui notre pays. Il n’y aura pas d’audition dans le cadre de cette réunion du 19 décembre, l’idée étant plutôt de poursuivre le tour de table qui aura lieu aujourd’hui et de nous interroger sur les problèmes essentiels qui se posent dans notre démocratie et auxquels notre commission devra tenter de répondre.

Dans le cadre des séances ultérieures, nous traiterons de la mondialisation, de l’Europe, du rôle des citoyens, de la démocratie sociale et environnementale, des élus et des partis politiques, du pouvoir exécutif, des modes de scrutin, du Parlement, bien sûr, auquel trois réunions seront consacrées, de la justice enfin. Toutes ces réunions donneront lieu à deux auditions thématiques d’une ou plusieurs personnes. Avant chacune de ces auditions, vous recevrez un document qui pourra servir de « fil rouge » pour la discussion ainsi qu’une note de cadrage. À l'issue des auditions, il y aura, lors de chaque séance, un échange entre nous.

Vous pouvez également nous transmettre le nom de personnes susceptibles de nous adresser une contribution écrite.

Nos réunions, ouvertes à la presse et au public, donneront lieu à un compte rendu et à une retransmission en direct sur le canal interne de l’Assemblée et sur La Chaîne Parlementaire (LCP). Une page est d’ores et déjà ouverte sur le site internet, qui comprend la liste des membres du groupe de travail ainsi que leur photographie et l’agenda des réunions, lesquelles pourront être visionnées en différé.

Mme Cécile Untermaier. Je vous remercie très chaleureusement, monsieur le président, d’avoir institué ce groupe de travail sur un thème qui m’intéresse tout particulièrement depuis le début de la législature. J’avais participé, déjà, à la mission sur la simplification législative que vous aviez mise en place et qui nous a permis de réfléchir de manière approfondie sur les modalités de « fabrication » de la loi en France et au sein des autres États européens.
Notez, Madame, que ce groupe de travail sur ce thème institutionnel nous intéresse et nous concerne également tout particulièrement, mais que prévoit le groupe pour donner la parole aux citoyens.

Le présent groupe de travail ouvre un champ d’investigation d’une tout autre dimension et je remercie le président de l’Assemblée de me faire l’honneur d’y participer. Je dis tout mon plaisir de travailler avec les membres éminents qui la composent ainsi qu’avec mes chers collègues.

J’ai été sous-préfète, juge administratif et je suis désormais députée. J’ai donc exercé des fonctions au sein des trois pouvoirs de nos institutions. Pour ce qui concerne le dernier en date, qui m’intéresse au plus haut point, il est vrai que je suis une députée quelque peu candide. Je ferai par conséquent part de la réflexion « fraîche » que j’ai pu nourrir, et de ma surprise en découvrant le fonctionnement de l’Assemblée.

J’adhère totalement aux constats que vous avez formulés et aux orientations que vous souhaitez prendre. En tant que députée, il m’apparaît nécessaire de réfléchir aux institutions en vue de les aménager voire de les réformer en profondeur. Reste que, comme vous l’avez rappelé, messieurs les présidents, c’est bien l’homme qui se trouve au cœur des institutions, la question centrale étant par conséquent la manière dont travaillent les élus.
Il conviendrait de dire " la manière dont travaillent les élus avec les citoyens", car ils sont bien leurs représentants.

En 2012, nous avons lancé une réforme importante qui aura des effets sur nos institutions, à savoir le non-cumul des mandats – question qui doit être au cœur de nos travaux. Une fois qu’elle sera en vigueur, le travail du député sera nécessairement différent et ses relations avec les citoyens changeront.

J’ai beaucoup d’espoir. Nous avons une lourde responsabilité : il ne s’agit pas d’ajouter un rapport aux précédents mais bien d’engager le dialogue avec les citoyens qui attendent beaucoup de nous, de cette mission.

Mme Marie-George Buffet. Merci, monsieur le président, d’avoir pris l’initiative de ce groupe de travail. J’ai beaucoup apprécié la fresque que nous a brossée Michel Winock sur l’histoire de nos institutions.

Est-il important de nous pencher sur les institutions alors que nous connaissons une crise économique et sociale mondiale ? Je pense que c’est le cœur du sujet : nous ne pourrons pas surmonter cette crise si nous ne surmontons pas la crise démocratique à laquelle nous sommes confrontés et si nous ne faisons pas de nos compatriotes des citoyennes et des citoyens, les actrices et les acteurs des solutions à mettre en œuvre. Il faut redonner toute sa place au peuple souverain si nous voulons surmonter les autres crises.
Certes, mais déjà, avec ce groupe de travail, quelle place le peuple a-t-il? Beaux discours, mais personne n'est plus dupe!

Au-delà de la question des institutions, c’est celle des conditions du débat démocratique qui est posée, donc celle des partis, de leurs missions, de leur fonctionnement, mais également celle des conditions du débat pluraliste. Nous devrons donc nous pencher sur l’information, sur tout ce qui permet aux citoyens et aux citoyennes de maîtriser les enjeux et d’appréhender différemment les décisions politiques puisqu’ils comprendront mieux les solutions entre lesquelles choisir.

D’une certaine manière, et je vais employer un mot un peu fort pour mieux me faire comprendre, nos compatriotes se sentent « éjectés » du champ politique. On a l’impression que le débat politique n’est plus qu’un débat économique, que les idées et les valeurs sont reléguées à l’arrière-plan. Et puisqu’il n’est plus question que de « contraintes économiques », ce n’est plus qu’une affaire d’experts. Dans quelle mesure, par conséquent, le simple citoyen et la simple citoyenne peuvent-ils débattre de ces questions aux mains d’experts qui remplissent les plateaux de télévisions, remplaçant de fait les politiques ?
Il suffit, Madame, de les impliquer à toute occasion, et la présent initiative a encore manqué le but que vous semblez promouvoir!

Comment faire en sorte que les citoyens rentrent dans le champ politique ? Procéder par petites touches ne suffira pas ; nous devrons sans doute adopter une démarche constituante, c’est-à-dire de construction d’institutions correspondant aux besoins d’une population qui peut disposer, à travers son éducation et les moyens d’information, de toute une série d’éléments pour faire son choix.
C'est exactement ce que nous proposons, et que nous avons déjà engagé ; oui Madame, les citoyens sont souvent au moins aussi éduqués et intègres que certains élus, et ils savent proposer des solutions sans doute aussi intelligentes que certains parlementaires. Mais encore faut-il les entendre et considérer leurs propositions. Ce groupe de travail l'aurait-il oublié?

En ce qui concerne la méthode, parmi les thèmes prévus, la démocratie partagée, l’intervention citoyenne, n’a peut-être pas toute sa place. L'avons-nous ici!
Vous avez évoqué, monsieur Winock, la Constitution de 1793. J’ai pris plaisir à relire, dernièrement, ce texte très beau.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Merci, monsieur le président Bartolone, d’avoir créé ce groupe de travail, très important pour moi. Il est en effet nécessaire de mener une réflexion sur les institutions dans la mesure où nous vivons une crise démocratique. Nous sommes tous conscients, et vous l’avez évoqué, monsieur le président Winock, que les citoyens ne s’expriment plus, ne votent plus. Il est donc urgent de faire un point d’étape sur les institutions de la Ve République – et j’ai beaucoup apprécié, à cet égard, votre fresque historique. On doit certes tenir compte de l’aspect législatif et des aspirations de la société civile mais également, toujours, de la dimension historique. C’est sur ce point que le présent groupe de travail promet d’être si enrichissant : sa réflexion ne fait pas l’économie du passé.

Les institutions de la Ve République ont été solides parce que, comme vous l’avez très justement souligné, monsieur Winock, elles sont parvenues à passer le cap du septennat, celui du quinquennat, celui de l’alternance de 1981. Un socle existe mais il est nécessaire, urgent, de mener une réflexion sur les institutions elles-mêmes et sur la manière dont elles sont perçues par la population. Si nous n’avons pas forcément besoin d’une réforme constitutionnelle, ni même d’une nouvelle République, il y a sans doute quelques corrections à apporter. Il s’agit de savoir comment intégrer dans la loi la réflexion de nos concitoyens et la nôtre.
Mais aussi dans les travaux de ce groupe, est-ce fait?

Notre travail a un caractère urgent, je l’ai dit, car tout va vite : nous passons d’un thème à l’autre et la réflexion manque. Or si nous ne menons pas avec intelligence cette réflexion en prenant en compte la perspective historique, nous allons, pour ainsi dire, louper une marche et nous ne serons pas à même de répondre aux attentes de nos concitoyens sur le plan économique comme sur le plan social. Souhaitons donc que ce groupe de travail apporte un souffle nouveau à notre Ve République.
Chez les citoyens, soyez-en assurée Madame, la réflexion ne manque pas, Ce site le montre ainsi que tous les groupes qui se sont engagés dans ces travaux : ne les oubliez pas.

M. Alain-Gérard Slama. Je remercie vivement Michel Winock pour son récit historique d’une clarté lumineuse – or plus le terrain est éclairé, plus on en voit les écueils.

Je souhaite mettre l’accent sur plusieurs points fondamentaux.

Sans aucun doute les institutions de 1958-1962 sont-elles l’enfant de la crise algérienne, mais elles sont aussi l’enfant du discours de Bayeux et d’une réflexion sur les dysfonctionnements des IIIe et IVe Républiques. Si la question du déséquilibre des pouvoirs entre, d’une part, le Président de la République et le Parlement et entre, d’autre part, les institutions politiques et la société civile, est très importante, il ne faut pas négliger la question du dysfonctionnement des pouvoirs et de la mauvaise application de la règle du jeu.

Ainsi, sous la IIIe République, les majorités gouvernementales n’ont presque jamais correspondu aux majorités électorales. Au bout de très peu de temps, les remaniements entre les forces partisanes allaient tout à fait à rebours de la majorité telle qu’exprimée par le vote. Entre 1924 et 1926, entre 1932 et 1934, entre 1936 et 1938, à chaque fois la majorité élue a été remise en question par les manipulations des partis. Ce fut l’une des raisons fondamentales de la politique menée par le général de Gaulle visant à remettre un peu de cohésion et de cohérence dans la politique gouvernementale.

Aujourd’hui, l’un des griefs du peuple à l’encontre des pouvoirs est le fait que la majorité électorale, à supposer qu’elle existe – il faudra revenir sur ce point –, ne correspond jamais à la pratique gouvernementale.

Sous la IVe République, le mauvais fonctionnement des institutions tenait au fait que les gouvernements ne tombaient jamais selon la règle qui voulait qu’une majorité qualifiée vote contre le président du conseil. Il suffisait qu’il eût contre lui une majorité relative et il tombait. Ainsi s’explique l’instabilité de cette République. C’est si vrai qu’Edgar Faure, à la fin de 1955, quand pour la première fois, d’ailleurs à la suite d’une maladresse dans le décompte des votes, deux gouvernements étaient tombés en moins de dix-huit mois, n’a pas pu faire autrement que de dissoudre, à moins de revivre la crise du 16 mai. Il a dissous et ce fut l’arrivée du poujadisme.

Il faut donc faire attention au respect par les pouvoirs de la règle du jeu. C’est un premier point fondamental.

La question, ensuite, n’est pas seulement celle de la force des pouvoirs, celle de leur déconnection du peuple. Nous vivons une contradiction qu’il nous faudra aborder : d’une part, les citoyens sont attachés aux institutions de la Ve République – vous avez dit vous-même, monsieur Bartolone, que la mobilisation des citoyens doit passer par le canal des institutions –, et, d’autre part il y a de plus en plus d’objets dont seule la société civile peut se saisir. Aussi, plutôt que de conclure de manière un peu défaitiste à la nécessité d’affaiblir le pouvoir ou en tout cas d’introduire davantage de participation dans le champ décisionnel lui-même, il faudra dresser l’inventaire de ce qui doit continuer de relever du pouvoir et de ce qui relève de plus en plus des compétences de la société civile. Cela rejoint la question de la tyrannie de l’économisme. On le voit avec la réforme territoriale : c’est très bien de donner des pouvoirs aux territoires, encore faut-il qu’ils aient les moyens de les exercer.

Pour finir, je me rappelle une formule de François Mitterrand qui évoquait « la force injuste de la loi ». Non : il faut parler de la force non légitime de certaines lois injustes. À ne s’en tenir qu’à la formule mitterrandienne, les Français finissent par comprendre que la loi est injuste en soi – on le voit bien dans les débats soulevés par les écologistes. Il faut affronter la question de la montée du droit dans notre société. Un État de droit est un État soumis lui aussi au droit, certes, mais le doyen Carbonnier estimait qu’un État de droit était également un État qui joue avec le droit, ce qui peut devenir dangereux.

M. Ferdinand Mélin-Soucramanien. Je viens ici sans préjugés même si, comme chacun d’entre nous, j’ai des préférences que je tairai même si elles sont connues.

J’ai en revanche deux convictions.

Je suis persuadé que la question posée est la bonne, que le moment est le bon et que l’institution choisie est la bonne. Voilà qui dévoile quelque peu mes préférences pour le régime parlementaire…
Mais ce qui n'est pas bon, c'est d'avoir oublié les citoyens dans le lancement de ces travaux.

La seconde conviction dont je souhaite vous faire part concerne l’idée selon laquelle les Français ne s’intéresseraient plus à la question constitutionnelle, à leur bréviaire républicain. Or ce type d’affirmation traduit à mes yeux une forme de mépris du peuple. Les Français, au contraire, ont une passion constitutionnelle très vive et ils en ont fait la preuve au long de l’histoire : comme vous l’avez rappelé, monsieur le président Winock, la France a connu une quinzaine de constitutions – ils les aiment tellement qu’ils en changent fréquemment. Ils en ont fait encore la preuve récemment avec le référendum de 2005 sur le traité constitutionnel européen. On peut tirer les conclusions que l’on veut du rejet du texte ; reste qu’à cette occasion les Français ont montré leur attachement à la Constitution nationale et au pacte républicain.

Pour le reste, je suis ici dans un état d’esprit ouvert, autant que l’est le champ de la réflexion. Il faut en effet se défier des préjugés. Les travaux de cette commission vont peut-être faire ressurgir les débats sur la Ve République : faut-il la maintenir inchangée, faut-il une Ve République bis, une VIe République ? Je ne me prononcerai pas sur cette question. On sait que l’institution du régime de la Ve République a sans doute, à un moment donné, sauvé la République – c’est en tout cas certain au regard de la crise algérienne – ; or on peut aujourd’hui se poser la question de savoir si ces mêmes institutions ne sont pas en train de faire dériver la République voire de la faire sombrer. J’espère avoir la réponse à cette question au mois de juin grâce à nos travaux, dont je me réjouis, messieurs les présidents, que vous les ayez placés à un niveau très élevé et qu’il faut maintenir afin précisément de ne pas mépriser les citoyens qui en attendent beaucoup.a
Nous avons réfléchi à cette question : la réponse est simple, oui il faut changer complètement de Constitution;

Mme Karine Berger. Merci, monsieur Winock, pour cet exposé brillant et pour votre esprit critique.

Vous avez affirmé, que la simplicité finissait toujours par l’emporter dans les choix institutionnels ou politiques. Vous avez choisi l’exemple du parlementarisme, bien trop lourd en matière de compromis pour être préféré à une bonne version présidentielle des institutions. Ce message est décisif. La crise des institutions reflète la crise de l’identité du pays et de la façon dont il est représenté dans l’imaginaire collectif. Nous vivons un moment étonnant où l’on ne sait plus très bien « ce qui fait société ». La IIIe République, et probablement, aussi, la IVe, avaient mis la République au cœur du pacte social et national. La République a permis de surmonter plusieurs crises identitaires très difficiles de notre histoire, vous l’avez rappelé. En matière de représentation collective, les institutions remplissent-elles encore leur rôle ? Ainsi, qui, aujourd’hui, sait ce qu’est un préfet et quel est son pouvoir dans un département ou dans un territoire ? La manière dont les institutions appréhendent la question du territoire et de l’identité pourrait être un élément de réflexion de notre deuxième séance.

Deuxième point : vous avez affirmé que la Ve République était devenue mature au moment où, en 1983, la majorité d’alors a accepté d’abandonner l’idée de rupture avec le capitalisme. Vous comprenez que la députée de gauche que je suis s’est aussitôt interrogée sur le fait de savoir s’il fallait absolument rompre avec une doctrine économique pour être en conformité avec les institutions de la République. À vos yeux, la question économique se situe donc au même rang que la question institutionnelle. Or, Marie-George Buffet l’a évoqué, nous n’avons pas inscrit à notre ordre du jour la question de savoir si, définitivement, le monde économique l’aurait emporté dans l’organisation même de la société et des institutions. Personnellement je ne le crois pas.

Troisièmement, j’ai été étonnée de l’absence, dans votre réflexion, du juge constitutionnel dont la place croissante, surtout depuis 1974, a totalement modifié l’équilibre de nos institutions. Nous sommes un certain nombre ici à nous être fait taper violemment sur les doigts par le Conseil constitutionnel ces deux dernières années. Ainsi nous sommes-nous rendu compte que la place prise par le juge constitutionnel dans les institutions bouleversait totalement la façon dont la politique et le pouvoir s’organisaient. Je souhaite que nous abordions cette question.
Ce sont les citoyens qui doivent juger, avec un "conseil de sages", de l'opportunité des changements constitutionnels, en aucun cas des juges, ni des élus.

Enfin, sans forcément donner raison à Balzac, l’absence de réflexion sur le rôle des médias dans l’organisation de nos institutions est regrettable. Il faudra absolument intégrer dans notre travail le poids, le contre-pouvoir ou, pire, le pouvoir de certains médias dans les évolutions actuelles.

Mme Seybah Dagoma. À mon tour je vous remercie, monsieur le président, pour avoir mis en place ce groupe de travail. La question des institutions est en effet fondamentale. Je vous remercie pour le caractère novateur de ce groupe : il est bon qu’il émane du pouvoir législatif et la diversité des profils des participants laisse présager des débats très intéressants. Je partage en tous points votre constat sur la défiance des citoyens à l’encontre de leurs élus et je remercie M. Winock pour son exposé particulièrement éclairant.

Vous avez affirmé que les citoyens se sentaient dépossédés et qu’il était urgent de revitaliser la participation démocratique. À ce titre, j’ai trouvé l’expérience irlandaise très intéressante. Lorsqu’il s’est agi de réformer la Constitution, le gouvernement irlandais a mis en place, en décembre 2012, une convention composée à la fois de membres de partis politiques et d’un panel de citoyens. Un nombre de thèmes de travail a alors été fixé. Nous pourrions pour notre part associer les citoyens non dans le cadre d’un panel mais via Internet. Il faudrait en effet leur permettre d’apporter des contributions sur les sujets que nous avons retenus.
C'est exactement ce que nous demandons.

La liste de ces sujets me paraît très complète, mais nous pourrions en ajouter un : le temps. Les choses vont de plus en plus vite. Avec Internet, avec Facebook, les citoyens sont de plus en plus sensibles à ce que nous faisons. On peut relever par ailleurs une contradiction entre la durée de notre mandat, cinq ans, et le temps long dans lequel doivent s’inscrire nos décisions.

M. Michaël Foessel. Merci, monsieur le président, non pour m’avoir invité – seul l’avenir dira si c’était une bonne idée –, mais pour avoir mêlé à ce débat, outre des élus, des personnalités de la société civile qui, pour certaines, comme moi, ne sont pas des spécialistes du droit.

Comme Mme Dagoma, je souhaite en premier lieu aborder la question du temps. Le titre que vous avez donné à ce groupe de travail m’a intéressé : « L’avenir des institutions ». Il amène à réfléchir sur le temps des institutions, le temps politique, au moment où l’accélération, à la suite de progrès techniques – si tant est qu’il s’agisse de progrès –, rend le discours politique et la temporalité politique beaucoup plus complexes qu’auparavant. Ce qu’on appelle la crise des institutions – à tort ou à raison car le terme de « crise » est si souvent utilisé qu’il peut se révéler quelque peu égarant – et la difficulté de la représentation sont aussi liées, je le crois, à l’oubli de ce qu’est une durée politique, de ce qu’est la maturation de la décision politique, qui n’est précisément pas la durée médiatique ou la durée économique.

J’insisterai sur le rôle politique des institutions. On a tendance à penser que la finalité des institutions est la stabilité politique ou la stabilité de l’État, surtout en période de crise économique voire, M. Winock l’a très bien rappelé, au moment des guerres. Or cette exigence de stabilité au nom de laquelle on légitime les institutions en place doit être nuancée. Un principe énoncé par Rousseau fonde en effet le principe démocratique ou le principe républicain : ce que le peuple a fait, il peut le défaire. C’est ainsi qu’il ne faut pas préjuger de la capacité du peuple à vouloir transformer les institutions de fond en comble s’il s’empare de la question institutionnelle – ce qu’il faut souhaiter –, à un moment où il se sent dépossédé de la capacité d’agir de manière souveraine. Autrement dit, et il me semble que c’est l’élément le plus important à rappeler à ce stade de notre discussion, en deçà de l’institué, en deçà de la Constitution, du pouvoir constitué, il y a l’instituant, le constituant, à savoir la capacité des citoyens de s’emparer de la question du pouvoir non pas seulement pour le partager, non pas seulement pour l’exercer, mais pour poser la question de savoir ce qu’est le pouvoir, comment il s’exerce et quelle est sa capacité à agir sur le quotidien des individus.

Pour conclure, je rejoindrai Mme Buffet pour considérer que l’on s’égarerait en pensant que la question des institutions est seconde et qu’on ne peut tenter de repolitiser le débat politique – ou les citoyens – autrement qu’en parlant d’économie et de social. C’est en effet par les institutions – qui ne doivent pas être entendues comme un simple partage du pouvoir mais doivent faire l’objet d’une réflexion sur ce qu’est le pouvoir dans un monde où il semble être de plus en plus évanescent, voire invisible – que l’on peut espérer que les citoyens, à condition de les associer le plus largement possible –, ce qui n’implique pas nécessairement une constituante, mais qui implique en tout cas leur participation –, se retrouveront dans un jeu auquel, il faut bien le dire, ils sont une majorité à ne plus croire. Et l’un des moyens fondamentaux pour que les citoyens s’intéressent à nouveau à un jeu auquel ils ne croient plus, c’est de leur donner la possibilité d’en récrire au moins partiellement les règles.
Non Monsieur, si nous semblons "ne pas y croire", c'est simplement que nous avons été oubliés! Ce jugement est méprisant. Et bien sûr, une assemblée constituante s'impose, elle doit même être intégrée au futures institutions. Mais condescendrez vous à prendre connaissance de ce que les citoyens ont exprimé et qui est repris sur ce site ?

M. Bernard Thibault. Merci pour ces propos éclairants sur notre histoire, monsieur Winock. En aparté, avant de nous retrouver ici, je faisais remarquer, en comparant les CV des uns et des autres, que je n’étais pour ma part ni élu, ni historien, ni spécialiste de nos institutions, et que ma formation initiale et mes compétences se limitaient à la mécanique générale… L’avenir nous dira si la mécanique peut servir le « Meccano » institutionnel ; j’essaierai en tout cas d’apporter ma modeste contribution à cet ample défi.

J’insisterai sur les facteurs qui contribuent à l’affaiblissement de notre démocratie représentative – je pense que nous pourrons unanimement nous retrouver au moins sur ce constat. Ces facteurs sont multiples et certains reviennent peut-être aux citoyens eux-mêmes, encore qu’il soit dangereux de les considérer comme seuls responsables de cette situation. Les pratiques des partis politiques ont à l’évidence leur part, en effet, et d’autres causes sont à rechercher dans nos institutions, ce qui ne signifie pas pour autant qu’il faille faire table rase du passé, si je peux me permettre cette référence… Il ne faut pas sous-estimer non plus le fait que certains mécanismes ne répondent plus aux aspirations de la société. Les réponses sont sans doute beaucoup plus longues et plus complexes à imaginer que ne le laisse imaginer l’énoncé des problèmes. Reste que la création de ce groupe de travail est tout à fait salutaire : elle permet d’ouvrir la discussion, de permettre l’échange, la contradiction.
Les réponses "complexes", nous avons commencé a y travailler. Considérez en particulier la question des partis politiques, exposée sur ce site:oui, ils sont responsables , pour s'être accaparé des pouvoirs qui n'ont pas respecté la Constitution.

Les citoyens s’expriment, et il faut savoir interpréter le silence et l’abstention, qui sont une forme d’expression. J’ai été particulièrement marqué par un fait démocratique important, déjà évoqué : le référendum de 2005, l’un des grands moments de débat démocratique au cours de la période récente. Le peuple a alors exprimé une opinion, mais dont on n’a pas tiré les conclusions. Une grande majorité de nos concitoyens ont fini par juger ce référendum inutile, puisqu’on a ensuite pris des décisions contraires aux résultats du vote. Je pense qu’il s’agit d’une séquence politique lourde de notre vie démocratique.

Je me félicite d’ailleurs qu’il soit prévu de réfléchir sur la capacité de nos institutions à s’insérer dans un contexte international, sujet complexe qui préoccupe les citoyens. Il s’agit en effet de ne pas nous isoler nous-mêmes.

Pour finir, chacun comprendra que mon expérience et ma sensibilité me conduisent à me préoccuper également de la démocratie sociale. Je me réjouis qu’il soit prévu d’y consacrer un morceau de séance. On a trop tendance à opposer démocratie politique et démocratie sociale alors que cette dernière fait partie de la démocratie en général. Or la démocratie sociale s’appauvrit elle aussi. J’espère, donc, que nous suggérerons des pistes pour la renforcer.

M. Denis Baranger. Je vous remercie très chaleureusement de l’honneur que vous m’avez fait, messieurs les présidents, en me conviant à ce groupe de travail.

Il est très important que cette réflexion sur les institutions se tienne à l’Assemblée nationale. Certains juristes américains emploient parfois le terme de departmentalism – généralement traduit par « départementalisme ». Si la République américaine repose comme la nôtre sur trois piliers – un pouvoir exécutif, un pouvoir législatif, un pouvoir judiciaire avec la Cour suprême –, chacun de ces trois pouvoirs, selon cette conception, doit disposer du droit égal d’avoir son interprétation de la Constitution – j’allais dire : sa vision des institutions. Il est donc particulièrement important qu’une vision des institutions naisse et se développe au sein de l’Assemblée nationale, et je vous suis très reconnaissant d’avoir invité pour cela des personnalités très diverses. En général, les universitaires viennent pour observer et comprendre ce qui se passe à l’Assemblée – ce qui a été mon cas auparavant –, et je suis très heureux de passer du statut d’observateur à celui de modeste participant à une discussion collective.

Par le passé, les assemblées ont été porteuses d’une vision de la Constitution. Ce fut profondément vrai sous les IIIe et IVe Républiques, un peu moins, peut-être, dans les débuts de la Ve République. Nous avons hérité cette habitude d’un système dans lequel l’interprétation de la Constitution relevait du Président de la République à cause de l’article 5 de la Constitution et, après 1971, à cause de la transformation du rôle du juge constitutionnel. Cette interprétation provenait en effet en grande partie de la rue de Montpensier et nous avons fait confiance à ce juge qui a réalisé un très bon travail, travail qui n’est toutefois probablement pas suffisant. Or, j’y insiste, la pluralité des points de vue sur la Constitution, la pluralité des idées – et des lieux où elles sont émises – sur notre système institutionnel est une condition de survie pour notre démocratie.

Que doit-on attendre des institutions ? Deux éléments. Dans une démocratie représentative, on attend d’abord qu’elles relaient la parole et la pensée des citoyens ; on attend que la démocratie soit vraiment, et au sens noble du terme, une démocratie d’opinion. Or nous sommes presque, aujourd’hui, dans une situation où l’opinion prévaut sur la démocratie, où certaines modalités d’expression de l’opinion, comme les réseaux sociaux ou la télévision, finissent par empêcher la démocratie d’être vivante, gouvernée autant que gouvernante, pour reprendre la formule de Burdeau que citait Michel Winock. On ne peut plus échapper à ces modalités d’expression politique qui peuvent presque dissoudre la politique, réduire la place du politique dans nos sociétés.
Mais c'est exactement ce que nous attendons : redonner la souveraineté aux citoyens, et pas seulement, comme beaucoup le croient, par le suffrage dit "universel". Et il ne s'agit pas de "dissoudre" la politique, elle restera omniprésente. Mais l'initiative citoyenne doit être réellement rendue possible, à tous les niveaux.

Ensuite, nous devons attendre des institutions d’être gouvernés efficacement, ce qui n’est pas si évident : la République américaine est en train de vivre une profonde crise constitutionnelle parce qu’il y a un tel conflit entre le Congrès et le Président qu’on ne parvient tout simplement pas à faire de lois. On ne parle pas de cohabitation mais de gouvernement divisé. Nous devons éviter une telle situation. Du reste, nous avons la possibilité d’y échapper parce que nous sommes en régime parlementaire, et s’il est vrai, sous certains aspects, que nous vivons une crise de régime, il faut également admettre que le régime conserve les ressources nécessaires pour fonctionner. Ainsi, quand un gouvernement est obligé de prendre en compte la pluralité de sa majorité, de prendre acte qu’y existent des points de vue différents, il ne s’agit pas, pour mon esprit de juriste – je ne porte là aucun jugement politique –, d’un dysfonctionnement : c’est le régime parlementaire lui-même. Plus qu’une crise de régime, nous vivons la crise d’une certaine conception du régime, celle de 1958 qui veut une majorité parfaitement stable : on parle ainsi de « fait majoritaire », de « majorité présidentielle ». Il faut donc tenir compte du fait que le régime porte en lui la possibilité d’évoluer.

Cette analyse n’interdit cependant pas tout changement et nous sommes ici pour réfléchir aux transformations possibles. Je dirai simplement que changer la Constitution, ce n’est pas nécessairement la réviser. Il faudra certes probablement continuer de la réviser, ponctuellement, avec discernement, mais la Constitution change elle-même, et nous avons tous le pouvoir de la changer simplement en y réfléchissant.
Oui, et quand vous dites "tous", je ne doute pas que vous pensez aux citoyens et non pas seulement aux élus et aux partis! Nous sommes heureux de vous dire que nous avons, nous aussi, réfléchi!

Certains juristes américains parlent de Constitution vivante. Je pense vraiment qu’un système né en 1787 – en 1958 pour nous – peut évoluer sans qu’on le révise formellement. Le lieu commun énoncé par le général de Gaulle est vrai : une Constitution, c’est un esprit, des institutions, une pratique. Il est parfois difficile de changer les institutions, mais on peut réfléchir à l’esprit et le faire évoluer.

Cela ne tient pas seulement aux textes, cela ne se décrète pas, cela ne tient pas à la jurisprudence constitutionnelle, aussi bonne et aussi utile soit-elle. Au fond, ce que voit le juriste de droit constitutionnel, c’est qu’on nous parle beaucoup de jurisprudence, de droits fondamentaux, ce qui est certes impératif dans une démocratie comme la nôtre, mais qu’on ne parle pas tant que cela des institutions. Il y a eu une sorte de préemption de la réflexion sur les institutions, réflexion nécessaire dans un régime représentatif et démocratique, au profit de la seule question, aussi importante soit-elle, je n’en disconviens pas, des droits de l’homme, des droits fondamentaux. Viendra cependant un jour où, si nous n’avons pas une démocratie vivante, une Constitution vivante, nous n’aurons plus de droits fondamentaux non plus. La crise viendra de notre oubli de la politique et des institutions.

Au fond, si des parlementaires, des citoyens, des intellectuels, si la totalité des Français ne se saisissent pas des institutions, ne rendent pas à nouveau vivante la Constitution, elle sera éternellement malade, elle ne mourra peut-être pas mais sera moribonde et à ce moment-là nous vivrons une vraie crise de régime parce qu’un régime, c’est la vie civique avant tout, pas seulement les articles d’une Constitution.

Je répète donc être très heureux que ce groupe de travail soit l’occasion pour nous d’entamer cette tâche très noble.

Mme Cécile Duflot. Il est particulièrement intéressant de traiter de l’avenir des institutions au Parlement, au sein d’un groupe de travail qui réunit aussi bien des élus que des experts et des personnalités ayant des expériences et des pratiques diverses.

La question du temps du mandat, comparé au temps long nécessaire à la mise en œuvre de certaines politiques, est souvent évoquée. Si le Parlement a pu voter des dispositions engageant des politiques de long terme, visant par exemple à lutter contre la crise écologique, je relève que ces mesures ont été, la plupart du temps, censurées par le Conseil constitutionnel au nom de l’égalité, notamment devant l’impôt, ce qui empêche d’organiser des systèmes différenciés. On le voit, certaines questions constitutionnelles ne concernent pas l’organisation des institutions, mais plutôt leur capacité à répondre aux enjeux auxquels elles sont confrontées.

Nous devons travailler en prenant garde aux a priori, nombreux dès lors qu’il s’agit des institutions. Comme le rappelait le professeur Mélin-Soucramanien, il est par exemple de bon ton de supposer que « les gens ne s’intéressent pas aux questions constitutionnelles ». Quant à la phrase « La Ve République est solide », il faudrait être sourd pour ne pas l’avoir entendu cent fois. « Le scrutin proportionnel, c’est le retour à la IVe » est une autre antienne. La IVe République est devenue pour l’immense majorité d’entre nous, qui ne l’avons même pas connue, une abomination qui disqualifie tout ce qu’elle touche. On entend souvent dire, enfin, qu’il est possible de faire évoluer le système à la marge, mais qu’il ne saurait être question aujourd’hui de convoquer une Constituante. Les propos introductifs de M. Winock étaient à cet égard passionnants, car ils montraient que ce qui avait pu paraître particulièrement stable dans l’histoire pouvait se transformer radicalement et très rapidement, par exemple lors d’une révolution.

Peut-être nous faut-il mettre en cause notre incapacité à faire évoluer progressivement le système sans qu’il soit besoin de changer brutalement de République. Au sein de mon mouvement politique, la question s’est posée au sujet de la VIe République. Elle est devenue un objectif positif alors même le débat sur son contenu n’était pas lancé, et qu’elle peut être à la fois tout et son contraire. Il existe une sorte de fétichisme du chiffre : le désir pour la VIe République est aussi irrationnel que le rejet de la IVe.
C'est la raison pour laquelle, Madame, nous souhaitons une Assemblée Constituante "permanente", composée de citoyens sans autre mandat. Ainsi les citoyens parviendrons à faire évoluer la Constitution sans qu'il soit besoin d'une révolution.

Aujourd’hui, le peuple souverain vit l’épuisement d’un système présidentiel de plus en plus concentré depuis 1958. L’actuel Président de la République et le précédent ont, certes, des caractères, des convictions et des modes de communication opposés, mais ils rencontrent la même difficulté. En effet, le Président de la République n’est plus seulement celui qui maîtrise le système et exerce le pouvoir ; il en est aussi une victime. Et il ne peut à aucun moment s’en extraire puisque tout renvoie en permanence à sa décision, à son expression, et à sa personne même. Il est tout autant responsable de la situation qu’il en est l’otage.

Je m’étonne que nous n’ayons pas encore évoqué l’Union européenne. Peut-être s’agit-il de l’un des impensés de l’avenir de nos institutions. Leur histoire s’est déroulée dans l’espace politique bien défini d’un État-nation entretenant des relations, d’ailleurs le plus souvent conflictuelles, avec ses voisins. Aujourd’hui, nous évoluons dans un périmètre géographique totalement transformé où l’Union pèse malgré l’imperfection de son organisation et de ses institutions. Réalité ou fantasme, l’idée que les institutions nationales n’ont pas toute compétence pour organiser l’avenir du pays est répandue. Nous devons réfléchir à l’amélioration de l’articulation entre institutions européennes et françaises.

Alors que la France a décidé de rendre incompatible le mandat de député ou de sénateur avec celui de parlementaire européen, ces élus européens n’ont que peu de reconnaissance dans la vie politique et institutionnelle nationale et sont, par exemple, très rarement entendus à l’Assemblée. À l’inverse, mis à part quelques cas exceptionnels, les élus nationaux sont totalement exclus des débats européens.

J’en viens à la question de la perméabilité entre mandat local et mandat national. Si certains élus indiquent sur leur papier à lettres qu’ils sont « député de la Nation », sans faire aucune référence à leur circonscription d’élection, il faut bien constater que l’affaiblissement de fait de la fonction amène les parlementaires à se replier sur des enjeux locaux. Il est indéniable que la politique menée aujourd’hui n’est pas en cohérence avec la majorité élue à l’Assemblée – ce qui peut faire dire que « la Ve République est solide », puisqu’elle fonctionne malgré tout, même si je ne suis pas certaine qu’elle fonctionne bien. Les parlementaires savent que, pour certaines grandes orientations, ils ne pèsent pas sur les choix de l’exécutif, qu’ils ne peuvent qu’amender à la marge ou accepter tels quels pour ne pas « affaiblir le Président de la République » – l’expression est désormais entrée dans le discours. L’élu devient alors le porte-parole de son territoire, et il en vient même à négocier sa voix et sa participation à la majorité, moins au nom d’une adhésion aux orientations choisies par le Gouvernement que pour obtenir des contreparties diverses qui bénéficient à son territoire, mais aussi à lui-même dans l’hypothèse de sa candidature à une réélection. J’ai conscience que mes propos ne sont pas « politiquement corrects », mais si nous voulons avancer, nous devons avoir un certain recul sur notre propre rôle. Le non-cumul des mandats ne constituera pas un remède définitif à ce repli local – même s’il est vrai que ce dernier phénomène prend des proportions bien plus importantes dès lors que le parlementaire est aussi élu local. Je puis témoigner que l’élaboration du volet urbanisme de la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi « ALUR », peut être lue au travers du prisme du mandat local d’un certain nombre de parlementaires.

Nous pouvons toujours répéter que la « Ve est solide » et que nos institutions peuvent tout supporter, mais l’histoire nous apprend qu’à la veille d’un grand basculement institutionnel ou politique les acteurs qui se trouvent au cœur du système sont souvent ceux qui y sont le moins préparés et qui voient le moins venir le changement. Nous pouvons toujours discuter confortablement installés au sein de ce groupe de travail ; nous pourrions tous être subitement emportés par un mouvement qui a déjà donné quinze Constitutions à notre pays depuis 1791. Au cœur du système, nous ne sommes pas forcément les plus lucides pour le faire évoluer ; cela ne fait qu’accroître notre responsabilité.

M. Arnaud Richard. Je prends part à nos travaux à la fois comme simple citoyen et comme praticien. J’ai en effet eu la chance de me trouver au cœur de l’exécutif durant sept ans passés au cabinet d’un ministre vibrionnant, qui a commencé à l’avant-dernière place d’un gouvernement, comme ministre délégué à la ville, pour finir numéro deux d’un autre, en tant que ministre d'État, ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables. Nous avons accompli de belles choses au sein nos institutions.

Certains se demandent si la Constitution ou nos institutions sont aujourd’hui remises en cause. Pour ma part, je ne vois pas les choses ainsi. La Ve République, c’est un esprit et une pratique. M. Baranger a raison : ce ne sont pas tant les institutions qui vont mal que la manière dont nous les utilisons. Notre incapacité à trouver une bonne méthode de réforme met nos compatriotes en colère. Nous avons des difficultés à entendre la société et à faire vivre la démocratie sociale en reconnaissant le pouvoir intermédiaire des syndicats. À mon sens, le paritarisme est extrêmement malade dans notre pays. C’est la raison pour laquelle j’ai travaillé, en 2011, au sein de la commission d’enquête sur les mécanismes de financement des organisations syndicales d'employeurs et de salariés, dont le rapporteur était Nicolas Perruchot. Malheureusement, le rapport de cette commission d’enquête a été rejeté et n’a pas été publié : c’est un « loupé » au même titre, monsieur Thibault, que le référendum de 2005…
Cette incapacité des élus, d'où vient-elle, sinon des institutions elles-mêmes et de la rigidité de la Constitution, qui ignore la participation de citoyens!

Il existe en France une vraie demande d’État, à condition que l’État fasse correctement ce qu’il doit faire. Aujourd’hui, il se contente d’imposer des contraintes, de demander des efforts, et d’engager nos compatriotes sur la voie des sacrifices. Peut-être Mme Duflot a-t-elle raison : peut-être sommes-nous au bord du précipice. Pour ma part, je ne le crois pas. Je suis convaincu que nos institutions sont solides et que la difficulté actuelle réside dans l’exercice du pouvoir et dans la méthode utilisée pour réformer.

Aujourd’hui, les gouvernements modifient l’organisation de l’État au gré d’une forme de marketing politique. Des administrations centrales sont ballottées d’un ministère à l’autre : l’emploi est tantôt à Bercy, tantôt aux affaires sociales, le commerce extérieur est tantôt aux affaires étrangères, tantôt à Bercy. Dans l’exercice du pouvoir, le diable est dans ce genre de détail. Je me souviens d’avoir vu un ministre du logement errer dans Paris durant trois ou quatre mois sans locaux. C’est la réalité au XXIe siècle en France !

Certains sujets méritent assurément que nous y consacrions une réflexion approfondie : le cumul des mandats – quel sera, demain, le profil du parlementaire non cumulant ? –, la distance de nos compatriotes avec les institutions et les représentants, les médias, le temps, la nécessité de renforcer ou pas l’exécutif… Sur ce dernier sujet, j’estime que le pouvoir « extraordinaire » historiquement détenu par le Président de la République n’est pas la véritable question qui nous est posée. L’enjeu réside plutôt dans la capacité de ce dernier à exercer son pouvoir, ce qui nous ramène à la question de la méthode. En tout état de cause, pour avancer en la matière, il faut que les lois votées s’appliquent, ce qui n’est pas toujours le cas – je pense par exemple aux dispositions sur les « chibanis », sujet qui avait pourtant donné lieu, en 2013, à des propositions, votées à l’unanimité de tous les groupes, d’une mission d’information de l’Assemblée sur les immigrés âgés.

La question du rapport à l’État local et celle des collectivités locales constituent également des sujets majeurs.

M. Alain Tourret. En nous invitant à réfléchir sur la République au moment opportun, cher Claude Bartolone, vous avez pris une excellente initiative. La République, ce sont des institutions et une éthique.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’éthique en a récemment pris un sacré coup. Si elle ne se renforce pas, la République sera en danger.

Si l’on interrogeait les Français, ils seraient sans doute quasiment unanimes pour estimer qu’il existe une certaine usure des institutions. En fait, le système ne fonctionne pas trop mal, et il ne lui manque que de s’inscrire dans un processus de modernisation permanente. Je constate que le Congrès ne s’est pas réuni depuis longtemps : la droite parlementaire s’oppose systématiquement à cette voie d’évolution constitutionnelle, ce qui empêche de poser des questions importantes comme celle du vote des étrangers, pourtant à la base de la constitution du corps de la République.

Pour le radical que je suis, la démocratie ne peut-être que représentative. Le pouvoir législatif doit exercer sur l’exécutif un contrôle beaucoup plus fort qu’aujourd’hui. Pour ce faire, je souhaite notamment que la Cour des comptes dépende totalement du Parlement et devienne son bras armé contre l’administration, sur le modèle du National Audit Office britannique. Il est temps de rétablir un équilibre, qui n’existe plus depuis longtemps, entre législatif et exécutif.

La démocratie représentative ne peut se passer d’une réflexion sur le référendum, auquel je suis totalement opposé personnellement. Les députés et les sénateurs représentent la démocratie et la République ; créer, avec le référendum, une nouvelle source de droit est à mon sens à la fois totalement contraire aux règles de la démocratie, et extraordinairement dangereux. Les arguments de Bernard Thibault concernant le référendum de 2005 vont dans mon sens, et je rappelle le mot de « forfaiture » employé par Gaston Monnerville en 1962. Cette époque est peut-être révolue, mais je ne suis pas loin de penser comme lui.
Opposé au référendum, diable, même s'il devenait comme nous le souhaitons d'initiative citoyenne! Citoyens, circulez, il n' y a rien à voir! L'oligarchie a la peau dure, mais nous ne désespérons pas de nous en débarrasser.

Nous n’avons aujourd’hui aucune véritable réflexion sur l’intégration de la République et de l’Europe. Certes, la République est indivisible, mais peut-elle se moderniser et avancer vers un certain fédéralisme européen ? Les radicaux sont des fédéralistes européens qui ont toujours pensé que l’Europe avait été construite dans le mauvais sens : il aurait fallu transférer progressivement tout le système régalien et permettre ainsi la modernisation de la Constitution. Tôt ou tard, si nous ne donnons à l’Europe la possibilité de vivre, elle s’éteindra, et la République en prendra un sacré coup.

Mme Marie-Louise Antoni. Je crois que je représente ici le monde de l’entreprise. C’est une lourde responsabilité, car il s’agit d’un monde complexe. À vrai dire, je peux surtout parler modestement au nom de l’entreprise privée, voire de l’entreprise étrangère en France. Vingt ans passés dans la presse économique, puis vingt ans consacrés à l’entreprise m’autorisent à témoigner de ce que pense ce monde, un peu comme M. Bernard Thibault peut témoigner de ce que pense le monde salarié.

Le monde de l’entreprise est très pragmatique et il éprouve du respect pour les institutions. L’entreprise fait assez confiance aux institutions : elle considère que chacun doit faire son travail. Vos interventions successives prouvent d’ailleurs votre grande compétence ; elles me rendent assez sereine sur ce qui pourra être décidé ici.

Ce respect s’accompagne cependant aujourd’hui d’une sorte de crainte des conséquences qu’auront, sur le quotidien de l’entreprise, les décisions que vous prenez.

Le problème de la représentation doit aussi être posé. La faible représentation des classes dites populaires a été évoquée. À mon sens, il sera nécessaire que l’entreprise, qui est l’un des vecteurs essentiels du travail et de la création de richesse, soit aussi représentée.

Mme Christine Lazerges. C’est la première fois que je participe à un groupe de travail dont la composition est aussi diverse ; cela suffit à provoquer l’enthousiasme.

Monsieur Winock, vous avez conclu votre propos liminaire en évoquant « le risque de sécession entre le peuple et ses élites gouvernantes ». Je crains que nous n’en soyons plus au stade du risque et que cette sécession soit déjà quasiment acquise. La rupture est en quelque sorte consommée, et une partie du peuple français a « lâché » la question des institutions. C’est que sa déception est immense à l’égard de ceux qui le représentent, souvent à tort, terriblement à tort ! Il n’en reste pas moins que les médias renvoient une image du législatif, de l’exécutif ou de l’autorité judiciaire trop proche du fait divers. La gestion du pays ne les intéresse que sous cet angle ou sous celui des questions économiques. Le débat économique occulte d’ailleurs largement le débat sur les valeurs qui se limite éventuellement au questionnement de l’éthique individuelle de tel ou tel responsable politique.

Il me semble utile que nous débattions, lors de notre réunion du 19 décembre, de divers sujets essentiels, comme la crise de la démocratisation de l’enseignement. Quantité de jeunes n’ont effectivement aucune idée de ce qu’est un préfet, pas plus qu’ils ne savent ce qu’est une région, un département ou le pouvoir législatif. Peut-être l’Assemblée nationale ne s’est-elle pas assez interrogée sur les efforts pédagogiques qui doivent être les siens pour partager la charge de la transmission avec les enseignants dans les écoles, les lycées et les universités ? Le déficit en matière de culture générale institutionnelle explique en partie la désaffection pour le politique. Je pense aussi aux questions d’éthique qui jouent un grand rôle dans cette désaffection qu’il faut bien interroger avant de se consacrer à la reconstruction de nos institutions.

En travaillant récemment sur la part du législateur dans la fabrication de la loi, j’ai constaté qu’elle diminuait au fil du temps. Peut-être un consensus se dessine-t-il déjà parmi nous sur le fait que le pouvoir législatif devrait retrouver une place qu’il n’a plus. Un exemple m’a frappé : au début de l’année, la majorité parlementaire a saisi elle-même le Conseil constitutionnel du projet de loi relatif à la géolocalisation. Le législateur est-il si peu sûr de son travail qu’il doive s’en remettre au Conseil constitutionnel ? Évidemment, il s’agissait de purger la nouvelle loi d’éventuelles questions prioritaires de constitutionnalité, mais il est tout de même étrange que législateur se soumette d’entrée au juge constitutionnel, sans doute parce qu’il a travaillé trop rapidement et que la fabrication de la loi est enserrée dans des délais trop brefs. Pour redonner tout son poids au pouvoir législatif, nous ne pourrons pas nous passer d’un véritable travail sur cette fabrication. Il a déjà été entrepris, notamment par le président Bartolone, mais il n’est jamais terminé.

M. Luc Carvounas. Nous ne sommes ni au début ni à la fin d’une législature : c’est le moment propice pour la tenue d’un débat serein. Nous nous réunissons dans un format qui me paraît extrêmement bien pensé, car il rassemble tout « ce qui fait société et sens » dans notre République. Monsieur Thibault, nous avons évidemment besoin de votre expertise. Les élus ne peuvent pas se passer des acteurs et des spécialistes de la démocratie sociale. Ils ne peuvent se passer de confronter leurs réflexions et leurs expériences à celles des acteurs économiques et des universitaires réunis au sein de notre groupe de travail.

La Constitution de la Ve République a certes été révisée vingt-quatre fois entre 1960 et 2008, mais ces évolutions, souvent sous influence partisane ou populaire, ont rarement été les fruits d’une réflexion et d’une pensée globale. Hier, le quinquennat a probablement été adopté sans que l’on ait mesuré ses conséquences sur nos institutions. Demain, si nous ne préparons pas correctement la mise en œuvre, en 2017, des lois relatives au cumul des mandats, elles risquent de ne pas produire les effets attendus.

Si nous voulons intéresser nos concitoyens à la vie politique, il faut veiller à ce que la représentation nationale, qui compte moins de mille parlementaires, soit vraiment à l’image de la nation. La question des femmes est souvent posée à juste titre, mais qu’en est-il des jeunes, des Français issus de l’immigration ? Si nous voulons que nos concitoyens participent davantage aux élections, nous devons agir pour que nos assemblées, à commencer par les conseils municipaux, représentent la société française. Pour ce faire, après avoir donné plus de pouvoirs aux territoires, il ne faut pas oublier de donner un statut aux élus, y compris aux élus locaux. Il faut faciliter l’accès aux fonctions électives de représentants du monde rural et du monde de l’entreprise. En la matière, les textes que nous adoptons doivent être appliqués, j’y reviens. Nous avons voté l’obtention de crédits d’heures pour les élus, mais elles sont souvent refusées par les patrons sur le terrain. L’engagement dans la vie politique fait peur aux jeunes auxquels on ne donne pas les moyens d’exercer leur mandat. Les élus sont en grand nombre aujourd’hui des membres des professions libérales, des retraités, des enseignants – parce que, dans certaines conditions, ces derniers peuvent travailler à mi-temps pour leur mandat, et être payés à plein temps –, et c’est tant mieux, mais il faut sérieusement réfléchir à la représentativité et aux rapports entre élus locaux et élus nationaux – les premiers étant sans doute appelés à devenir demain des sortes de lobbyistes auprès des seconds.
Beaucoup de "il faut", de bonnes intentions, mais regardez ce qui est proposé sur ce site, si vous voulez transformer les "il faut" en actions, dans une nouvelle Constitution.

Le rôle des lobbies devra d’ailleurs être clarifié au sein du Parlement. La question de la démocratie participative pourra aussi être posée sachant toutefois que le rendez-vous démocratique majeur, le premier débat participatif, reste l’élection, projets contre projets. Aux élus d’animer ensuite la vie politique qu’elle soit locale ou nationale – à ce niveau, je pense aux référendums sur des grandes questions, qui à mon sens ne déposséderaient ni le législatif ni l’exécutif. N’oublions pas que, si nos concitoyens ont des droits, ils ont aussi des devoirs à l’égard de la démocratie française à l’heure où les populismes progressent.
Projets contre projets, c'est un leurre, tant que les élus n'ont pas de mandat impératif!

J’estime que pour la mise en œuvre des politiques publiques choisies sur un projet présidentiel pour la durée du quinquennat, il faut poser la question d’un spoil system à la française applicable à la haute administration. Il faut aller jusqu’au bout du processus d’un choix démocratique qui concerne les citoyens, les élus et l’administration.

Mme Mireille Imbert-Quaretta. Sans doute mon parcours est-il plus intéressant pour notre groupe de travail que mes qualités de juriste, car il s’en trouve parmi vous de bien plus éminents que moi. J’ai été durant plus de vingt ans juge judiciaire avant d’appartenir durant près de dix ans à la haute fonction publique qu’évoquait mon prédécesseur, et je suis aujourd’hui membre d’autorités administratives indépendantes, ce qui me permet de poser la question de l’indépendance et de la légitimité du contrôle de façon générale.

Pendant quatorze ans, j’ai par ailleurs été membre du Conseil d’État qui conseille le Gouvernement, mais également le Parlement depuis 2008. Cela me permet d’entendre les remarques émises par Mme Lazerges sur la qualité de la loi, et de lui dire que son exemple concernant la loi relative à la géolocalisation trouve sans doute une sorte de réponse dans les échanges entre le Conseil d’État, en amont de la loi, et le Conseil constitutionnel, en aval.

Parmi les vingt-quatre révisions de notre Constitution, celle relative à la parité est particulièrement chère à mon cœur. J’ai eu l’honneur d’assister Mme Élisabeth Guigou, alors garde des sceaux, lorsqu’elle présentait cette réforme au Parlement. La reconnaissance de la moitié du ciel par nos institutions était attendue. Nous n’en sommes toutefois qu’au tout début. Si nous voulons replacer les citoyens au cœur des institutions, nous devons faire en sorte que les femmes soient présentes partout, en toute égalité. Les résistances sont énormes, nous l’avons constaté lorsqu’il s’est agi d’appliquer la parité aux conseils généraux. La réforme de 1999, dont nous n’avons pas vraiment mesuré les conséquences, est peut-être moins spectaculaire que d’autres, mais ses effets souterrains sont bien réels et son impact est fondamental.

M. Bernard Accoyer. Monsieur le président de l’Assemblée nationale, je vous remercie tout d’abord de cette initiative utile, qui apparaît d’autant plus opportune dans la période que nous vivons. La perte de confiance que nos compatriotes éprouvent envers les élus – davantage d’ailleurs qu’envers les institutions –, le divorce qui marque leurs relations avec les « politiques », les pouvoirs et la haute administration nous interpellent. La diversité relative qui caractérise notre groupe de travail sera à même de nous aider à apporter un éclairage nouveau sur ce phénomène.

Je partirai d’un postulat qui n’est pas forcément partagé : selon moi, les institutions de la VRépublique fonctionnent bien, notamment sur le plan démocratique. On ne peut que s’en persuader en tournant nos regards vers l’évolution politique de notre pays depuis cent cinquante ans, telle que l’a retracée Michel Winock dans son exposé liminaire.
Les institutions de la VRépublique fonctionnent bien, notamment sur le plan démocratique. On croit rêver, vous n'avez donc rien entendu de la façon dont notre démocratie se délite, avec l'abstention massive en particulier et la perte de confiance des citoyens. Vous êtes dans votre bulle, vous ne pensez qu'à la démocratie qui vous permet d'être indéfiniment réélu. C'est grave.

Nos concitoyens peuvent choisir directement leurs dirigeants, ce qui autorise des alternances parfaitement démocratiques.
Non, les candidats sont imposés par les partis, qui s'approprient les médias et qui se sont attribués des facilités exorbitantes de financement, avec les dérives que nous connaissons, jusqu'à la corruption. Non, les citoyens ne peuvent pas choisir, et c'est pourquoi ils ne votent plus!
Ces mêmes dirigeants disposent de prérogatives importante;s et du temps nécessaire pour mettre en œuvre leur programme, ce qui apporte cette stabilité gouvernementale qui a tant manqué aux III
e et IVRépubliques marquées par la souveraineté parlementaire – souvenons-nous des abominables conséquences que cela a eu pour notre pays et peut-être même pour la paix du monde. De Gaulle l’a dit lui-même. Je ne le citerai pas car, en vous écoutant, monsieur Winock, j’avais l’impression d’entendre le Général, notamment certains passages de ses Mémoires d’espoir, dont vous vous êtes peut-être inspiré puisque cela ne peut être l’inverse…

Notre pays traverse une crise : crise économique et sociale, personne ne peut le nier, mais aussi crise de démoralisation de nos compatriotes, crise morale engendrée par la succession de pitoyables affaires politico-financières. Pourquoi considérer qu’elle est liée au fonctionnement de nos institutions ? Cela n’a rien d’évident pour moi.

Nous devons donc nous interroger sur les causes de cette crise, réflexion qui constitue l’une des raisons d’être de notre groupe de travail.
Vos interrogations sont bien étranges, c'est un déni des faits. Et nous ne comptons donc pour rien, quel mépris.

Trois points me paraissent ici importants ne sont pas importants à souligner.

Premièrement, les hommes, les femmes politiques et les partis auxquels ils appartiennent sont en responsabilité : ils sont donc responsables.
Responsables de quoi, leurs mandats ne sont pas impératifs, et ils se jugent eux-mêmes, comment cette responsabilité est-elle alors jugée?

Deuxièmement, modifier les règles du jeu ne doit pas être exclu, mais n’empêche pas d’analyser la responsabilité des élus et des partis et le poids de la suradministration dont souffre notre pays. Pourquoi change-t-on si souvent les règles constitutionnelles ? Pourquoi change-t-on si souvent de mode de scrutin ? Nous détenons en ce domaine un record qui aurait pu nous être épargné si les constituants de 1958 avaient décidé d’inscrire dans la Constitution la nature du mode de scrutin, du moins pour les élections législatives.

Troisièmement, nous devons nous livrer à une analyse critique de l’usage que font de nos institutions les élus, qui arrivent au Parlement sans formation et sans connaissances institutionnelles ou économiques, à une analyse critique de l’activité des partis, à une analyse critique du fonctionnement de nos administrations, à une analyse critique des réformes souvent conduites sous le coup de l’émotion, improvisées dans l’urgence au gré des circonstances politiques. Le quinquennat n’est-il pas né d’une question posée au Gouvernement dans notre hémicycle un mercredi après-midi par un ancien Président de la République, qui n’était pas mécontent de faire ce coup au Président de la République en fonction, sous le regard amusé d’un président de parti approbateur et en présence d’un Premier ministre qui avait bien des raisons de rentrer dans le jeu ? On connaît les profondes modifications que cette réforme a entraînées dans le fonctionnement de nos institutions.

On peut toujours chercher à consolider nos institutions. Le président Hollande a disposé dans les deux assemblées d’une majorité qui aurait pu lui permettre de faire adopter dans les mêmes termes un projet de loi constitutionnelle en vue d’une réforme ; ce n’est plus le cas aujourd’hui. Il n’est pas inintéressant – je le dis à l’intention de mon collègue Alain Tourret – de rappeler que la dernière réforme constitutionnelle, en 2008, a été acquise grâce à ses amis politiques, qui ont bien voulu sortir du clivage droite-gauche pour permettre son adoption à deux voix près. Comme quoi, il faut en matière d’institutions savoir dépasser les oppositions traditionnelles. Et je me réjouis de constater que, ce matin, nous avons été nombreux à le faire.

Quelques sujets me paraissent essentiels à notre réflexion, au premier rang desquels le quinquennat. C’est probablement sur cette question que nous pourrions travailler le plus efficacement car je pense qu’elle peut susciter un consensus, à de rares exceptions près.

Ensuite, nous devrions dresser le bilan de la révision de 2008, à laquelle j’ai été personnellement associé : elle comporte de très bonnes choses, d’autres qui le sont moins.

L’inflation législative est un mal profond dont souffre notre Parlement, qui se montre insuffisant dans sa mission, pourtant constitutionnelle, d’évaluation et de contrôle des politiques publiques. Monsieur le président de l’Assemblée nationale, je sais votre attachement à cette tâche, dans la droite ligne de celui que j’ai manifesté lorsque j’occupais les mêmes fonctions que vous. Nous n’en ferons jamais assez en ce domaine, surtout si cela peut juguler la frénésie législative provoquée par le souci existentiel de tout parlementaire, dont je suis, de déposer des propositions de loi et des amendements, qui sont autant de contraintes pesant sur les citoyens et les entreprises.

Il importera encore de se demander comment améliorer l’articulation entre notre parlement et les institutions européennes, compte tenu du poids prédominant du droit européen sur notre droit national.

Enfin, j’appelle votre attention sur la question déterminante de la représentativité. J’entends parler des critères d’état civil, d’âge, d’origine, mais, à mon sens, il faut d’abord constater le divorce entre la composition de notre assemblée et la société : sur 577 députés, seuls quelques-uns sont ouvriers ou agriculteurs, soixante seulement sont des cadres ou des employés du secteur privé, 250 sont agents du secteur public contre 9 % en Grande-Bretagne. À cela s’ajoute la professionnalisation des mandats locaux et nationaux qui aggrave encore ce divorce, qui compte parmi les causes de la montée de l’abstention et du vote protestataire.

Je m’interroge, messieurs les présidents, sur les thématiques retenues pour nos travaux : la démocratie sociale, la démocratie environnementale, la démocratie sanitaire. N’y a-t-il donc pas une seule démocratie ? Pourquoi vouloir la découper ainsi ? Je vous invite à lire les travaux de Dominique Schnapper sur cette dérive que j’estime dangereuse pour une bonne prise en compte de l’intérêt général.

Ne devons-nous pas aussi prêter attention aux instances qui existent déjà et dont le potentiel mérite d’être développé. Je pense à l’Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), magnifique organisme dont la raison d’être est de lutter contre ce mal terrible dont souffre notre pays : la diminution de la place qu’occupe la science dont nos institutions, dans la haute administration, dans notre culture, dans les médias. Cette rétraction dramatique ouvre le champ aux passions, à l’émotion et à des décisions privées de fondement rationnel, ce que l’on ne peut que déplorer au pays de la philosophie des Lumières.

Pour finir, je forme le vœu que ce groupe de travail nous rassemble dans notre volonté de renforcer nos institutions au service de l’intérêt général, au service de la démocratie qui, pour moi, vous l’aurez compris, ne saurait être tronçonnée de quelque façon que ce soit.

Mme Virginie Tournay. Messieurs les présidents, sachez que je suis très honorée de participer à cet exercice démocratique, qui allie dimension expérimentale et dimension prospective. Si je suis chercheuse en sciences politiques au CNRS, ma formation initiale est la biologie cellulaire, et ce que j’ai gardé de mon immersion passée dans l’univers des sciences du vivant est une grande sensibilité aux enjeux de la démocratie technique.

L’avenir de nos institutions recouvre un vaste champ et j’aimerais m’attarder sur deux réflexions en particulier.

La confiance dans les institutions, thème souvent évoqué, suppose selon moi l’analyse de la confiance que chacun individuellement nous plaçons dans les institutions, d’où la nécessité d’adopter une approche ascendante, dite bottom up. Il est important de nous intéresser aux médiateurs de cette confiance dans sa dimension la plus concrète, autrement dit à la façon dont l’institution est vécue par les citoyens dans leur vie quotidienne, à travers leurs contacts avec l’administration, à travers les outils techniques, à travers la société de l’information.
Que faites-vous à ce titre dans ce groupe de travail?

De plus, cette vision du « bottom-up » pour qualifier la position des citoyens est archaïque : il n'y a pas de « France d'en bas ». Ce sont bien les citoyens qui sont souverains, qui désignent leurs élus (certes avec les difficultés que nous avons notées), qui les financent, et qui peuvent les éliminer. Tant que cette vision de la démocratie perdurera chez les élus, il sera impossible de réformer nos institutions.


À cet égard, il me paraîtrait bon de nous attarder sur la façon dont les médias structurent la perception des institutions. Ne perdons pas de vue que lorsque l’on parle de crise des institutions et de leur nécessaire adaptation, on parle avant tout de la modification d’une réalité perçue, comme l’a souligné Marie-Jo Zimmermann. Que le phénomène puisse s’analyser en termes de baisse de confiance ou d’augmentation de la défiance, c’est avant tout le citoyen dans ce qu’il ressent à travers sa relation immédiate avec l’institution qui en est à l’origine.

Deuxièmement, on a tendance à considérer que l’augmentation de la défiance témoigne d’une crise des institutions. Mais n’est-ce pas aussi le phénomène même de la défiance qui doit être analysé ? Cette problématique se pose très régulièrement dans les institutions scientifiques et les comités d’expertise. Quand faut-il mettre le citoyen au cœur de la démocratie scientifique et technique ?

S’agissant des préoccupations liées à la qualité de l’eau ou aux risques d’exposition à l’amiante, qui nous concernent tous, il paraît hors de question de tenir les citoyens à l’écart des réflexions. Mais qu’en est-il des sujets où l’incertitude prédomine ? Pensons au procès de L’Aquila, en Italie, ouvert à la suite d’une plainte déposée par un comité de citoyens à l’encontre de sismologues pour avoir sous-évalué les risques sismiques alors qu’aucune prévision certaine n’était possible.

En matière d’ingénierie participative, il me paraît important de distinguer, d’une part, les contextes d’incertitude et, d’autre part, ce qui relève de la quantification effective des risques ou des questions de société – nous pouvons saluer sur ce point l’initiative du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé, qui a créé une conférence de citoyens destinée à recueillir les opinions autour de la fin de vie. Cette problématique de l’incertitude est omniprésente dans les débats relatifs à la science et à la technologie. Pour des questions à fort degré d’incertitude, l’impératif démocratique s’impose-t-il inconditionnellement ? Je ne sais pas. Ce que je peux dire, c’est qu’il existe très clairement une situation de défiance à l’égard de l’autorité sociale de la science, renvoyant dans certains cas à un déficit d’information et de culture scientifique.
Cette conférence des citoyens se doit également d'être créée pour recueillir les opinions autour de l'organisation du "vivre ensemble". Comment imaginer un contrat social qui serait imposé "d'en haut" par un petit groupe "d'experts" alors qu'il concerne par définition l'ensemble des citoyens. Ce groupe de travail aurait-il omis ce "détail"?

Par ailleurs, doit-on oui ou non donner une place aux citoyens dans les affaires scientifiques ?

Historiquement, les non-experts ont toujours participé à la recherche : pensons au rôle des amateurs dans la consolidation de la botanique ou de l’astronomie ; pensons encore aux formes d’activisme médical qui ont conduit à la reconnaissance de maladies rares comme le SIDA au début des années quatre-vingt.

Le problème aujourd’hui, c’est que nous sommes en face d’une pluralité d’économies de la connaissance qui supposent différents formats de gouvernance. Chaque cas appelle une réflexion différente sur la place toujours variable à donner aux citoyens. Étudier les institutions de la connaissance est un bon laboratoire pour analyser les différentes formes sociales de l’ingénierie participative. Cela suppose d’établir une distinction entre les sujets relevant de la « République des sciences », à laisser entre les mains des experts, les sujets permettant d’inclure les membres de la société civile, et les sujets relevant du pouvoir politique. Or cette distinction ne se fait pas aisément. Il existe une tendance à englober sous une même terminologie des questions renvoyant à des risques quantifiables sur lesquels les experts s’accordent et d’autres où il n’est pas possible de trancher. À cet égard, l’expression de « choix scientifiques et technologiques » recouvre une très grande variété de formats institutionnels et d’impératifs démocratiques.

Ce sont ces contextes à haut degré d’incertitude qui m’intéressent. Doit-on constituer un impératif démocratique pour l’indécidable ? Pour tenter de répondre à cette question, il me paraît intéressant d’interroger les médiations politiques de la science et de la culture à travers ce travail prospectif sur les institutions qui s’ouvre à nous.

M. le président Michel Winock. Ce premier tour de table est déjà très fructueux, et la grande richesse des problématiques auxquelles nous devrons répondre rend à mes yeux passionnant l’avenir de ce groupe de travail.

J’aimerais revenir sur un point particulier. Karine Berger, d’une manière un peu ironique, a évoqué mes propos sur le tournant de 1983. Entendons-nous bien : je ne prenais parti ni pour ni contre la rupture avec le capitalisme, je faisais seulement une remarque objective. L’historien qui s’occupe des institutions ne peut mettre entre parenthèses les conflits idéologiques : une société démocratique est par nature pluraliste et conflictuelle. Notre histoire a été ainsi jalonnée par les conflits idéologiques, certains plus profonds que d’autres.

Sous la IIIRépublique, c’est le problème de l’Église catholique qui a joué un rôle majeur. Le choix, heureux à mes yeux, de la laïcité a eu pour conséquence de mettre une forte minorité de citoyens hors course puisque durant toute cette période, aucun Gouvernement n’a été dirigé par un catholique revendiquant son catholicisme. Cela a contribué à l’instabilité du régime, toute véritable alternance ayant été empêchée.

La IVRépublique, elle, a été marquée par la décolonisation et la Guerre froide.

Avec la VRépublique, le conflit s’est cristallisé autour du problème économico-social. Il opposait une majorité favorable au système libéral et une opposition, appelée à devenir majorité en 1981, qui voulait, depuis le congrès d’Épinay, une autre société et d’autres institutions – souvenez-vous du Coup d’État permanent de François Mitterrand. Jusqu’au début des années quatre-vingt, une incertitude a ainsi plané sur l’avenir de la VRépublique. 1983 a constitué un tournant : sans le dire, la majorité a renoncé à son programme initial et il s’est peu à peu constitué une forme de consensus sur la renonciation de la gauche et de l’extrême gauche à l’idéal et au projet révolutionnaire. La gauche est alors entrée dans une autre ère, que l’on nomme parfois « social-démocrate » – le mot n’est pas juste mais peu importe. L’enjeu économico-social ne divisait plus : un certain consensus s’est installé autour d’un régime de capitalisme contrôlé, régulé par la réforme. C’est ce cadre qui prévaut encore aujourd’hui, qu’on le veuille ou non.

Derrière les institutions, il y a toujours l’histoire, le rapport des classes, les conflits idéologiques, qui sont autant de dimensions à prendre en compte dans la problématique de notre groupe de travail.

Bref, l’exercice auquel nous nous livrons me paraît plus aisé aujourd’hui que s’il avait eu lieu, disons, en 1956.

Mme Marie-Anne Cohendet. Je vous remercie, à nouveau, pour avoir convoqué, vous, représentants du Parlement, cette assemblée très diverse. Il me semble important de souligner que, pour une fois, ce n’est pas l’exécutif qui est à l’initiative d’un groupe de réflexion de ce type.

Cette première réunion nous a donné une idée de la richesse et de la variété des interventions. Pour ma part, je ne suis pas tout à fait convaincue que nos institutions fonctionnent bien. J’observe en effet une concentration des pouvoirs, en fait et non en droit, depuis fort longtemps, dans les mains du Président de la République, orientation qui ne me semble pas conforme aux principes démocratiques.

Nous évoquions tout à l’heure l’enseignement. Je dois dire que j’ai été stupéfaite d’entendre mes enfants me dire que leurs professeurs de lycée leur apprenaient que, sous la VRépublique, tout le pouvoir appartenait au chef de l’État, et que c’était normal puisque c’était lui le chef. Sommes-nous dans une démocratie ou dans une dictature ?

Il existe une dissociation entre la légitimité, la responsabilité et le pouvoir : le pouvoir vient-il du peuple ? Le peuple peut-il contrôler le pouvoir ? Les pouvoirs sont-ils équilibrés ? En outre, la dissociation joue entre les pouvoirs comme à l’intérieur des pouvoirs.

Nous avons un Président de la République qui est très puissant dans les faits, et qui n’est pas contrôlé. Nous avons un Président de la République qui s’est octroyé le droit de révoquer le Gouvernement, mais qui ne peut être contrôlé par le Gouvernement. Nous avons un Président de la République qui a le droit de dissoudre l’Assemblée, mais que l’Assemblée ne peut renvoyer.

Les déséquilibres des pouvoirs se manifestent également par rapport aux institutions européennes, sur lesquelles nous devrons revenir.

Il faut partir de ces diagnostics tout en prenant en compte notre histoire, comme nous y invite avec raison Michel Winock.

En 1848, lors du débat sur l’élection directe du Président de la République à l’Assemblée constituante, Félix Pyat avait lancé cette mise en garde : « Le suffrage universel est un sacre bien autrement divin que l’huile de Reims et le sang de Saint-Louis. Il ne faut pas tenter Dieu, encore moins l’homme. Le Président pourra dire à l’Assemblée : “Vous n’êtes que les neuf centièmes du peuple. Je suis à moi seul le peuple tout entier”. On croit entendre parler certains de nos présidents de la République ! L’avertissement était clair, pourtant nous n’en avons pas encore tiré tous les enseignements.

Au cours de notre histoire, nous n’avons jamais été capables d’associer légitimité, responsabilité et pouvoir. Nous avons eu un Parlement qui se transformait en assemblée de marionnettes affolées car la menace de la dissolution ne pesait pas sur lui. Il faut bien voir que le vice fondamental des IIIe et IVRépubliques ne trouve pas son origine dans la toute-puissance des assemblées mais dans des abus de pouvoir présidentiels : abus de pouvoir de Mac-Mahon dans son bras de fer avec l’Assemblée, abus de pouvoir de Jules Grévy qui, non content de saborder l’institution présidentielle avec la suppression du droit de dissolution, a continué de refuser de nommer comme président du Conseil le leader de l’Assemblée. C’est ainsi qu’il n’y a jamais pu y avoir un chef de gouvernement qui soit à la fois choisi par la majorité parlementaire, contrôlé par elle, et puissant. L’instabilité a caractérisé les IIIe et IVe Républiques.

Sous la VRépublique, la confiscation par le Président de la République des pouvoirs des autres institutions, et donc la négation du pouvoir fondamental du Parlement de contrôler l’exécutif, a abouti à des déséquilibres. Ce sont ces déséquilibres que nous devons prendre en compte si nous voulons parvenir à un fonctionnement plus satisfaisant de nos institutions.
Comment peut-on oublier de considérer que la souveraineté appartient au peuple, certes par la voie de ses représentants, mais sous réserve que ces représentants les représentent vraiment. Nous avons vu que ce n'était plus le cas, avec le déséquilibre de la représentation sociale et l'abstentionnisme, avec la main mise des partis sur les candidatures, etc. Et par la voie du référendum, mais cette représentation est tombée en désuétude et dévoyée, avec le référendum sur l'Europe, que le Parlement a méprisé. C'est cette souveraineté qu'il convient de remettre en pratique, mais la réticence culturelle des partis (il suffit de noter ce que ce texte dit) est un obstacle. Saura-t-on le franchir?

La crise à laquelle nous assistons est une crise d’usure de la Ve République. Les vices de la pratique institutionnelle sont parvenus à leur point ultime. Sous la précédente présidence, l’ultra-présidentialisation du pouvoir a posé de réels problèmes. L’actuel président, très discrédité, continue de diriger les institutions. Comment voulez-vous que les Français adhèrent à un système dans lequel un pouvoir ressenti comme n’étant plus légitime dirige encore ? Cela mérite réflexion.

Si nous tournons nos regards vers l’extérieur, nous voyons que la moitié des pays de l’Union européenne élisent leur président directement. Mis à part Chypre qui a un régime présidentiel, ce sont tous des régimes parlementaires – autrement dit : où le Gouvernement est responsable devant le Parlement. Et dans ces pays, c’est le Gouvernement qui dirige la politique nationale. Pourquoi ? Pour une raison extrêmement importante : le Gouvernement est légitimé par la majorité car le calendrier électoral est l’inverse du nôtre et les citoyens élisent d’abord une majorité qui se choisit ensuite un chef ; par ailleurs, le Gouvernement peut gouverner car il est contrôlable. Ainsi quand un gouvernement gouverne d’une manière jugée non satisfaisante par le peuple, il est renversé. En France, quand le Président gouverne d’une manière qui est jugée non satisfaisante par le peuple, il peut rester en place pendant cinq ans !

Nous avons beaucoup d’autres questions à évoquer, notamment celle de la composition du Conseil constitutionnel et celle plus large de la représentativité des élus. Je me réjouis que, pour y répondre, il y ait tant de diversité de points de vue au sein de notre groupe de travail.

M. le président Claude Bartolone. Dès sa première réunion, notre groupe de travail vient de justifier sa composition très diversifiée. La présence d’un philosophe est apparue indispensable, car beaucoup d’interventions ont relevé davantage d’une réflexion sur l’existence même que sur nos institutions.
Certes, les experts convoqués à ce groupe ne manquent pas de qualités, mais en quoi sont-ils légitimes aux yeux des citoyens, qui découvrent ce groupe, et qui n'ont pas été considérés dans sa formation ni dans ses objectifs, avec encore une fois la présence des oligarques qui sont pourtant comme il a été dit plus haut, discrédités!

Dans la perspective de cette réunion, j’ai pu constater, me tournant vers l’histoire de nos institutions, à quel point nous avons vécu sur des certitudes. Nous portons dans nos gènes Bonaparte, qui avait la certitude de pouvoir enraciner le code civil et dessiner les frontières. Autre certitude, moins lointaine, celle du Conseil national de la Résistance : on ne se rend pas assez compte de ce qu’a pu représenter cet acte incroyable, au début de la Guerre froide et de la division en bloc, de déclarer que la France allait avoir son propre système économique et social.

Aujourd’hui, nos institutions sont confrontées au doute. Quelquefois dans mon bureau, j’ai l’impression d’entendre la voix du général de Gaulle – je ne sais si cela arrivait aussi à mon prédécesseur.

M. Bernard Accoyer. Si, je suis persuadé que son fantôme nous accompagne…

M. Claude Bartolone. Je l’entends demander à Michel Debré des institutions qui seraient démocratiques tout en lui évitant que les élus ne lui « cassent les pieds ». Cela a bien fonctionné. Avant la décentralisation, les élus avaient la possibilité de jouer les notables au niveau de leur circonscription, à travers l’aide sociale, l’éclairage, les colonies de vacances ou les routes, et restaient dans la main des préfets. Puis toute cette organisation a volé en éclats.

Combien de réformes majeures ont introduit le doute !

Lorsque nous décidons de renoncer à certaines de nos compétences au profit de l’Union européenne, imaginez l’effet produit : certains pouvoirs ont échappé d’un seul coup au contrôle du citoyen.
Non, ils ont peut-être semblé échapper au contrôle des oligarques, bien que ceux-ci participent toujours aux décisions européennes, on l'oubli. Les citoyens, eux sont méprisés, voir encore une fois le dévoiement du référendum sur la "Constitution" européenne. Il faut être aveugle, ou plutôt aveuglé par "le pouvoir" pour ne pas le comprendre, ou mimer de ne pas le voir!

Lorsque nous décidons de la décentralisation, imaginez la confusion que cela a introduit : quelles compétences relèvent de l’État et quelles autres des collectivités locales ?

Lorsque nous décidons de passer du franc à l’euro, imaginez le trouble que cela a jeté chez nos concitoyens.

Lorsque nous introduisons la problématique de la mondialisation en même temps que celle de la transition énergétique, imaginez les changements que cela exige dans nos manières de penser et d’agir.

Nous avons des institutions construites sur des certitudes et nous devons intégrer le doute. C’est cela aussi qui entraîne cette nécessité de clarifier leur avenir.

L’Assemblée nationale se penche en ce moment sur trois chantiers : son Règlement, à travers une proposition de résolution examinée hier en séance ; l’avenir de nos institutions, à travers le présent groupe de travail ; la fabrique de la loi, à travers un colloque qui se tiendra demain. Tous sujets qui se répondent les uns les autres : les institutions ne pourront être fortifiées que si la qualité de la loi est améliorée. Aujourd’hui, les parlementaires sont devenus des machines à fabriquer la loi. Après que le regretté Philippe Séguin a institué la session unique pour éviter les séances de nuit et améliorer la qualité du travail de notre assemblée, nous avons assisté à un processus d’inflation législative. On a même vu le Gouvernement profiter du temps qui lui était donné pour présenter des projets de loi mal ficelés, qu’il réécrivait devant les députés impuissants en déposant des amendements parfois en plus grand nombre que ceux d’origine parlementaire ! Nous avons oublié les études d’impact préalables au dépôt des lois ; or, sans études d’impact, nous aurons du mal à donner aux commissions d’évaluation la possibilité de déterminer si l’objectif visé par le législateur a été atteint.

Il me reste, mesdames, messieurs, à vous remercier et à vous donner rendez-vous le 19 décembre pour une réunion qui aura pour thème : « La crise de la République ».

La réunion s’achève à 12 h 40.

 

 

Groupe de travail sur l’avenir des institutions

Vendredi 19 décembre 2014

Séance de 9 heures 15

Compte rendu n° 2

Présidence de M. Claude Bartolone et de M. Michel Winock

– Réunion sur le thème : « Une crise de la République ? »

La séance, ouverte à la presse, débute à neuf heures quinze.

M. le président Claude Bartolone. Monsieur le président, cher Michel Winock, mesdames et messieurs les parlementaires, chers collègues, mesdames et messieurs les personnalités qualifiées, je suis très heureux de vous retrouver pour cette deuxième réunion du groupe de travail sur l’avenir des institutions.

Je souhaite que cette séance nous permette de poursuivre le tour de table entamé il y a déjà deux semaines et que nous puissions établir ensemble un premier constat sur l’état actuel de notre démocratie et de notre République.

Les auditions commenceront à l’occasion de la prochaine séance qui sera consacrée à l’Europe et à la mondialisation et, surtout, à la manière dont nos institutions prennent ou non en compte ces deux éléments majeurs du XXIe siècle.

La séance d’aujourd’hui est particulièrement importante. En effet, au fond, et je l’ai brièvement exprimé la dernière fois, depuis 1958, la Constitution a été pensée de manière très administrative. Des rapports ont été rédigés par diverses commissions, désignées par l’exécutif et liées par une lettre de mission.

Du coup, nous sommes peut-être passés à côté de l’essentiel. L’important, selon moi, n’est pas simplement d’identifier telle ou telle faiblesse de notre norme suprême, mais d’abord de comprendre les grands changements survenus au cours des dernières décennies, d’identifier les problèmes que connaît notre démocratie et de se demander si ceux-ci pourraient, ou non, être résolus – du moins en partie – par une transformation des institutions. En d’autres termes, avant de se demander : « Quelles institutions ? », encore faut-il se poser la question : pour quelle nation et pour quelles missions ? Voilà la question que s’est posée, en son temps, le général de Gaulle, lui qui rappelait dans le discours de Bayeux la célèbre réponse du sage Solon aux Grecs qui l’interrogeaient sur la meilleure constitution : « Dites-moi d’abord pour quel peuple et à quelle époque. » Voilà les premières questions que nous devons nous poser : pour quel peuple et pour quelle époque ?

Beaucoup de ceux qui me connaissent le savent, j’aime citer cette phrase d’Antonio Gramsci : « La crise consiste dans le fait que le vieux monde se meurt, que le nouveau monde tarde à apparaître et que, dans ce clair-obscur, surgissent les monstres. » Or si crise il y a, c’est en effet, selon moi, parce que nous sommes entrés dans un nouveau monde. Je crois d’ailleurs que nous partageons cette idée avec Michel Winock : nous ne vivons pas le retour de je ne sais quelle époque.

Notre République, notre nation, est bousculée, interpellée par la mondialisation, l’émergence de l’Europe, les mutations de l’individu, la révolution numérique, la montée en puissance des enjeux écologiques, la redéfinition de l’espace public, ou encore l’accélération du temps qui rythme nos vies mais aussi celle de nos institutions. Tous ces problèmes bouleversent un grand nombre de démocraties représentatives. Les monstres qui surgissent dans ce clair-obscur sont partout un peu les mêmes : xénophobie, populisme, antiparlementarisme, crispations identitaires, idéalisation du passé et peur de l’avenir. Ils ne sont pas le monopole des pays frappés par la crise ; ce qui nous prouve bien, d’ailleurs, que l’urgence n’est pas simplement économique et que tout ne se résoudra pas avec le retour de la croissance.

Au fond, les démocraties représentatives font face à deux défis majeurs : une crise de la représentation et une crise du pouvoir lui-même qui ne semble plus être en mesure d’influer sur le réel.

Bien évidemment, la Ve République ne peut être accusée d’être l’unique responsable de cette situation, que l’on retrouve, j’y insiste, dans bon nombre de pays. Toutefois, non seulement notre régime ne répond pas à cette crise démocratique, mais il l’aggrave : en asphyxiant le débat, en limitant la responsabilité politique des acteurs, en ne prenant pas suffisamment en compte l’Europe ou la mondialisation.
Les acteurs d'une Constitution, ce sont avant tout les citoyens : ce sont bien eux qui, en n'accordant plus leur confiance à la classe politique qui représente les institutions actuelles et leurs dysfonctionnements, n'ont pas été suffisamment pris en compte par ce qu'il convient de nommer "la représentation nationale", avant "l'Europe" ou "la mondialisation"!

Vous avez reçu une note préparatoire qu’on peut considérer comme une note de « débroussaillage ». Vous êtes, bien sûr, totalement libres par rapport à elle. Elle n’a pour vocation que d’amorcer un débat essentiel, peut-être l’un des plus importants que mènera ce groupe de travail : quel peuple, quelle nation ?
Il serait simple de constater tout d'abord que la Constitution de 1958, en dépit de rapiéçages, a été conçue pour une époque, 1958, et pour un peuple, le peuple français de 1958 pris dans la tourmente de la crise algérienne et dans la tourmente politique car les élus d'alors avaient démontré à la fois leur inconséquence et leur incompétence pour sortir de cette crise grave; de constater ensuite que cette Constitution est restée figée sur cette époque, malgré le souhait du général de Gaulle de la faire évoluer, en raison, de nouveau, de l'inconséquence des oligarques de 1969 qui s'accrochaient à leur mesquine soif de pouvoir. Reconnaître la lourde responsabilité des élus serait le premier pas indispensable pour que les travaux de ce groupe ne commencent pas par un déni, et qu'ils prennent enfin en compte le principe fondamental de la démocratie, qui lui donne son nom : la souveraineté du peuple, des citoyens. A ce sujet, comment ce groupe fait-il participer les citoyens, premiers concernés, à ses travaux?

M. le président Michel Winock. Je vous propose une introduction qui ne sera pas du tout d’ordre institutionnel, le thème de notre réunion étant la crise de la République. Je vais revenir en effet sur une demi-douzaine de principes afin que nous nous demandions s’ils ne sont pas ébranlés. La République n’est pas seulement un système institutionnel — celui qui a remplacé la monarchie et l’empire bonapartiste. C’est aussi une communauté de citoyens soudée par un attachement sentimental et culturel à un régime instauré de haute lutte.

Le premier de ces principes est la foi dans le progrès.

Cette idée, très puissante, très profonde, issue du siècle des Lumières, de la Révolution, de Condorcet qui l’a formulée au mieux, a été à la base de la philosophie républicaine. Ne parlons pas du progrès de la science et des techniques, restons-en au progrès social. La République contient, ou contenait, une promesse de progrès social – sur les modalités duquel les républicains pouvaient être partagés.
Là encore, il ne faut pas "omettre" de signaler que cette question essentielle de la notion de progrès avancée par Condorcet, qui ne parlait pas en premier lieu de progrès social, mais de "progrès de l'esprit humain", le progrès social n'en étant que la conséquence directe, a été étouffée dans l’œuf par les Montagnards et les Jacobins, élus jaloux de leurs prérogatives, élus qui ont rejeté son projet de Constitution puis l'ont conduit à la mort par l'enfermement. L'intervention de "l’État" est certes indispensable, sous la stricte réserve qu'elle soit faite  sans dogmatisme ni calculs sordides de pouvoir comme ce fut alors le cas, et donc qu'elle ne soit appliquée que sous le contrôle permanent des citoyens, a priori et a posteriori. Dans le cas contraire, il s'agira toujours de dirigisme et non pas de démocratie.

Les républicains libéraux – que Jules Ferry incarnait au mieux – pensaient que le meilleur instrument du progrès social était l’école, une école devenue gratuite, obligatoire et laïque dans les années 1880. L’émancipation par l’école, un système de bourses devait la permettre aux plus démunis. L’historien Jacques Ozouf employait à ce propos l’expression d « optimisme pédagogique ». Les fondateurs de la IIIe République avaient le sentiment qu’avec l’école on disposait de l’instrument, de l’arme de la promotion sociale, de l’émancipation des individus.

Une autre tendance, plus radicale – elle était en effet incarnée par les radicaux-socialistes, et en particulier par Clemenceau, avant de l’être par les socialistes –, estimait que l’école ne suffisait pas et qu’il fallait, contrairement à ce que pensait Jules Ferry, l’intervention de l’État pour corriger le libéralisme pur, réglementer le travail et, de manière générale, faire avancer une législation sociale. Or cette notion de progrès social, on en trouve encore la marque dans l’article 1er de la Constitution de la Ve République : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. »

Cette notion de progrès, depuis, disons, la fin des « Trente Glorieuses », a cessé d’être un article de foi pour la majorité des Français. Dans le domaine intellectuel, c’est une idéologie de la décadence, du déclin, qui a pris forme. Je regardais hier soir une émission de télévision, « La grande librairie », au cours de laquelle le dessinateur Enki Bilal a déclaré, sans faire hurler ses interlocuteurs, que nous étions entrés dans une ère de régression dans tous les domaines. Et ce n’était pas un avis purement personnel : on sent bien que cette idée du déclin est très forte. Or, si la République perd en route la notion de progrès, elle perd certainement l’un de ses fondements intellectuels. Ajoutons au déclin de l’idée de progrès les menaces d’ordre écologique qui peuvent elles aussi peser sur la représentation de l’avenir.
Dire que la notion de progrès "a cessé d’être un article de foi pour la majorité des Français" et que "c’est une idéologie de la décadence, du déclin, qui a pris forme" est une injure au peuple de France, et de plus une telle affirmation ne repose d'ailleurs sur aucune analyse sociologique récente référencée ici ! De plus, c'est une erreur grave que de vouloir considérer à part le peuple français dans une analyse institutionnelle du XXIe siècle, comme le montrait en 2010 dans sa contribution à un rapport à la Présidence de la République, parmi d'autres allant dans le même sens, Alain Caillé sociologue : "Le principe de base du "convivialisme" consiste dans l’affirmation de la commune humanité et de la commune socialité de tous les êtres humains. La prise au sérieux de ce principe, qui excède et précède toute considération utilitariste implique la subordination de toute mesure de politique économique, sociale, scientifique ou culturelle au respect prioritaire de la dignité humaine, matérielle et morale. Ce principe de commune humanité a deux corrélats nécessaires, visant à éviter que certains ne tombent dans un état de sous-humanité, premier corrélat, et que d’autres, second corrélat, n’aspirent à basculer dans état de supra-humanité. Le principe de commune humanité implique qu’il ne peut y avoir ni sous-hommes ni surhommes." C'est bien à ce niveau que le principe de progrès humain doit être considéré, en acceptant, et non en le niant, que "les Français", comme tous les autres peuples, y aspirent effectivement, chacun avec sa culture et sa place géographique comme historique, et avec la richesse de ses différences. Et ceci n'interdit en rien, bien au contraire, de reconnaître et de considérer comme à combattre absolument les dérives à caractère mafieux ou barbares, dérives souvent liées, souvent manipulées, voire financées par les luttes de pouvoir des gouvernants ou des puissants. Le principe supérieur est donc celui du respect de la dignité humaine, sans lequel aucun autre principe guidant au progrès des institutions nationales ou supranationales n'a de sens.

Deuxième principe, l’égalité, valeur fondamentale du modèle républicain, demeure un principe actif, comme le prouve l’évolution du droit contre les discriminations : droits de l’enfant, parité, mariage des homosexuels... Reste que, dans les représentations, la société apparaît de plus en plus inégalitaire. Les chiffres et l’évolution des écarts de revenus sont discutés, mais il ne fait aucun doute pour personne que la pauvreté s’est accrue. Il y a cinquante ans, les mots « pauvre » et « pauvreté » n’appartenaient pas au langage politique ; on évoquait les « prolétaires » ou les « travailleurs ». La distribution de repas par les Restaurants du cœur bat tous les records. Et quiconque marche dans la rue s’aperçoit du contraste entre les mendiants que l’on croise tous les cent mètres, tandis que circulent sur la chaussée d’énormes 4x4, contraste qui montre à quel point la société est divisée entre riches et pauvres. La violation du principe d’égalité est bien connue des juristes, mais elle est une réalité sociale vécue par plus de huit millions de personnes pauvres selon les critères officiels.

Le principe d’égalité est donc remis en cause non pas dans le discours, mais dans les faits.
Cette inégalité économique, manifeste dans les faits, elle est toute aussi ressentie au plan politique par les citoyens, et elle tout autant, sinon plus, une grave source de frustration, qui s'exprime de multiples manières, des plus "pacifiques", par l'abstention par exemple ou par les replis communautaristes, aux plus violentes, qui conduisent à l'endoctrinement comme recours et, parfois, au crime. C'est cette analyse de la frustration et de l'inégalité politique qui est essentielle pour réfléchir à l'avenir institutionnel, et c'est donc bien la souveraineté citoyenne, en grande partie contestée par les partis politiques envers lesquels la confiance a été perdue pour cette raison, qui est au centre de cette question.

Troisième principe : la solidarité, qu’on appelait, en 1848, fraternité. La législation et la générosité des personnes privées démontrent que la solidarité est encore vivante. Cependant, ce que Mark Lilla, professeur à l’université Columbia, a appelé la « double révolution libérale » des trente dernières années, en a changé la donne. La première révolution libérale est celle du marché ; la seconde est la révolution des mœurs. Entre les deux, entre ce que nous appelons ici néolibéralisme et la révolution des mœurs, il n’y avait pas, à l’origine, de point commun ; mais l’une et l’autre ont fini par converger dans le triomphe de l’individualisme. D’un côté, le culte de la performance, la valorisation des résultats individuels ; de l’autre, l’exaltation de l’épanouissement de chacun contre les tabous et les traditions.

Le collectif est perdu de vue au bénéfice de la singularité. Nous sommes dans une société, écrit Robert Castel, où « les individus ont plus le souci d’affirmer leurs différences et leur singularité que de cultiver ce qui en fait des semblables ». Et Pierre Rosanvallon emploie des expressions telles que « capitalisme de la singularité », opposé au capitalisme d’organisation, et « société des individus », dans laquelle les appartenances collectives se délitent, les « solidarités se défont ».

Ici, ces appréciations sur l’individualisme ne reflètent surtout que le constat que beaucoup "d'élites" font sur elles-mêmes, sur leur propre comportement élitiste : le culte de la personnalité est bien le principe directeur du comportement de bien des vedettes médiatiques dont les élus nationaux font partie. Les images grotesques de ces élites jouant des coudes dans la grande manifestation populaire après les attentats de janvier le démontre, comme cette manifestation démontre, si besoin était, que le sens du collectif existe bel et bien et qu'il est solide pour la population "normale". C'est une grave erreur que d'appliquer ce soi-disant "individualisme" à tout un peuple, ou chacun a bien sûr le droit à la différence, qui n'interdit en rien la solidarité. Cet individualisme forcené, violent, irresponsable, c'est bien les puissants qui en donnent le pire des exemples, et c'est celà qu'il faut combattre grâce à de nouvelles institutions qui en interdirait l'exacerbation. Tant que les élites se réserveront comme ici le droit à "réfléchir" sur ce sujet institutionnel, nous resterons loin de pouvoir résoudre cette question!

Quatrième fondement : le patriotisme.

L’idée républicaine, depuis la Révolution, était inséparable du patriotisme. Il faut en convenir, le patriotisme était étroitement lié à la menace ou au souvenir de la guerre. Il avait partie liée avec la défense nationale. Dans une Europe occidentale en paix depuis près de soixante-dix ans, le patriotisme d’Ernest Lavisse, de Charles Péguy ou de Louis Aragon n’a plus lieu d’être, n’est plus entendu faute d’ennemi potentiel ou héréditaire.

Le patriotisme républicain, c’était aussi la conviction de former une nation à l’égard de laquelle on avait des devoirs civiques. Bien des esprits jugent aujourd’hui que cette idée de nation est obsolète, que la construction européenne, la mondialisation et l’immigration provoquent une crise du sentiment national, à laquelle le national-populisme s’efforce de répondre par les diverses formes de ce qu’on pourrait appeler l’idéologie protectionniste.

Il existe bien un ébranlement de la conscience nationale, toute une littérature en témoigne ; en effet, nombre de livres s’intitulent : « Qu’est-ce que la France ? », « Qu’est-ce qu’être Français ? », nombre de colloques se tiennent sur le sujet. Et je ne reviendrai pas sur les efforts d’un Président de la République pour lancer le grand questionnement sur l’identité nationale.

La question de l’école est étroitement liée à ce problème. A-t-elle encore vocation non seulement à instruire, mais à éduquer les futurs citoyens ? Et, si c’est le cas, remplit-elle son rôle ? Je me pose en particulier la question de l’enseignement de l’histoire qui, pour le coup, est vraiment en régression. L’esprit républicain était fondé sur une conscience historique, une perception de la durée et de l’héritage. Pierre Nora a pu parler de la « déshistorisation » des nouvelles générations.

Le patriotisme aujourd'hui ne peut que s'égarer s'il reste conçu sur les définitions datant d'un autre siècle, définitions forgées sur une histoire de guerres mondiales qui ne furent jamais aussi meurtrières et de régimes politiques dictatoriaux atrocement répressifs. Il faut maintenant voir le monde tel qu'il est et non tel qu'il fut, interdépendant, communiquant. Revenir au principe énoncé par Alain Caillé en 2010 de la commune humanité et de la commune socialité de tous les êtres humains doit permettre, en l'intégrant, de reconstruire le nécessaire patriotisme, c'est-à-dire de foi dans l'appartenance à une nationalité et à ses valeurs constitutionnelles.

Cinquième principe : la laïcité.

Le mot est une invention de la République au XIXe siècle. Il n’existe dans aucune autre langue, sauf, notamment, en turc et en espagnol du Mexique. Les pays européens, pour la plupart, n’ont pas de terme équivalent. Il s’agit d’une invention française, née du combat des républicains, au XIXe siècle, contre la puissance de l’Église catholique – contre, précisément, le cléricalisme puisqu’elle entendait intervenir aussi bien au sein de la société civile que politique. L’Église du XIXe siècle, ne l’oublions pas, était profondément conservatrice, antilibérale, antidémocratique et, selon le terme du pape Pie IX, antimoderne. Aussi les républicains, pour établir un régime de liberté et d’égalité, ont-ils eu à se battre non pas contre la religion catholique, contre le christianisme, mais contre la puissance politique de l’Église.

Cette bataille a abouti à la loi de séparation des Églises et de l’État en 1905. La liberté religieuse était affirmée, mais l’État refusait désormais toute subvention à aucun culte. Ce conflit entre la République et l’Église catholique a été long, mais l’apaisement, moyennant quelques concessions de part et d’autre, a été réalisé.

Or voici qu’une forte minorité, composée de plusieurs millions de personnes, issues de l’immigration, a introduit une religion qui n’existait pas en France au moment de la discussion de la loi de 1905 – l’islam. Si nous en croyons les sondages, une grande partie des Français considèrent la présence d’une communauté musulmane comme une « menace » ; ses fidèles sont étrangers au principe de laïcité : le port du voile par les femmes, l’affaire de la crèche Baby Loup, la viande halal, toute une série d’épisodes, voire de faits divers, donnent ce sentiment qu’une minorité de Français ne respecte pas la laïcité.

Dire que " l’immigration a introduit une religion qui n’existait pas en France au moment de la discussion de la loi de 1905 – l’islam " est un grave déni historique, car c'est bien dès 1848 que l’Algérie devient « territoire français », divisé en trois départements, sans être pour autant placée dans une égalité de droit avec la métropole. La France, qui avait fondé un empire colonial, s’affirme alors volontiers comme puissance musulmane. Ce déni démontre ici vers quelles dérives irrationnelles le concept simple et sobre de "laïcité" conduit lorsqu'il est passé au filtre d'une quelconque idéologie, souvent inconsciemment, comme on espère croire que c'est ici le cas. Les principes de respect de la laïcité sont pourtant explicités avec clarté avec la « charte de la laïcité dans les services publics » publiée depuis 2010. C'est bien faute, pour les élus et les partis qui les portent au pouvoir, de méconnaître les règles élémentaires qui s'imposent à eux, que la laïcité est dévoyée, souvent par incompétence, ou pire par calcul électoraliste populiste. C'est bien à cette "reprise en main des élus" par les citoyens, en ce domaine comme dans bien d'autres, que des institutions rénovées devront s'attacher. Cependant, en faisant étudier cette réforme par des élus ou sous leur contrôle, qui deviennent alors juges et partis, il est peu probable que des réorientations institutionnelles soient vraiment prises en ce sens.

Inversement, le discours de la « différence » amène certains responsables à ne plus respecter eux-mêmes la laïcité. En Vendée, on a vu une crèche catholique de Noël installée dans une mairie. Dans plusieurs municipalités, on organise des repas du ramadan. Bref, les tendances communautaristes s’accentuent et la laïcité est devenue un mot d’ordre de l’extrême droite, ce qu’on n’avait encore jamais vu. Toutefois, avec elle, la laïcité n’est plus un facteur d’intégration mais d’exclusion.

À tort ou à raison, nombre de citoyens se demandent si nous sommes encore dans une République laïque.

Si cette question se pose aujourd'hui, c'est bien comme il est dit ici que les responsables publics ont pu négliger de former, via l’Éducation Nationale, les jeunes gens à ces principes et parfois de les appliquer eux-mêmes ou de les faire respecter, principes inscrits dans le préambule de notre Constitution avec la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948 (DUDH) : « Art. 18. ― Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seule ou en commun, tant en public qu'en privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites. ». Bien entendu dans le principe du respect des libertés d'autrui et de non atteinte manifeste à l'ordre public. Dans un avis de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), publié au JO du 9 octobre 2013, sur « les voies et moyens d'une bonne application du principe de laïcité, respectueuse des libertés fondamentales et du principe de non-discrimination », il faut se prévenir de toute construction d'une « nouvelle laïcité » plus restrictive et qui risquerait d'enfermer toute expression de la liberté religieuse dans la stricte sphère intime, ce qui serait contraire à la loi de 1905, attentatoire aux libertés fondamentales et au principe d'égalité. C'est cet écueil qu'une réforme institutionnelle doit absolument éviter, tout en exigeant des responsables publics qu'ils respectent le droit, et en les sanctionnant si ce n'est pas le cas, le défaut de sanction ne pouvant qu'entraîner les dérives et la provocation.

Sixième et dernier principe : l’intégrité, ou la vertu.

Les scandales financiers, la concussion, la corruption ont émaillé l’histoire des républiques. On les oublie ou on les ignore. Notre attention est polarisée par ce qui se passe aujourd’hui. Une série de scandales atteignent les partis, les élus et même les ministres, et jusqu’aux syndicats, qui ont progressivement laissé croire aux Français que leurs dirigeants étaient corrompus. En décembre 2011, un sondage révélait que 72 % des Français interrogés estimaient que la plupart des responsables politiques étaient « plutôt corrompus » – ce chiffre était le plus élevé de ceux enregistrés depuis 1977. Les médias ont leur part de responsabilité dans ce phénomène, mais ce sont d’abord les comportements des hommes qui sont en cause. Montesquieu, vous le savez, écrivait dans De l’esprit des lois qu’il ne saurait exister de démocratie sans la vertu. La monarchie ou l’État despotique n’ont pas besoin de probité, disait-il, car la force leur suffit. La République démocratique ne peut exister que par la confiance mutuelle des citoyens les uns envers les autres.

La responsabilité des élites est en cause – et pas seulement dans le domaine politique. Ce sont elles qui donnent l’exemple, et leurs malversations une fois connues provoquent le scepticisme et la désaffection croissante envers la politique : 62 % des Français sondés éprouvent en 2011 « méfiance et dégoût » pour la politique contre 33 % en 1988.

Cet ébranlement des principes républicains ne doit pas aboutir à l’idée qu’il y aurait un âge d’or de la République à jamais disparu. Nous devons surtout, comme nous y invitait le président Bartolone, prendre en compte les bouleversements de l’histoire depuis un demi-siècle. Le facteur économique est capital : le chômage de masse durable est une cause d’anomie, de désintégration sociale, comme le déclin profond des normes collectives telles qu’elles existaient dans la société industrielle. La question, à mon sens, est de savoir comment, face aux nouvelles conditions de travail et de vie, nous pouvons « refaire du collectif » – et de savoir si des réformes institutionnelles peuvent y contribuer.

Ce n'est pas tant la corruption de quelques élus qui est la cause principale de la perte de confiance, mais bien le sentiment d'impunité. Les humains ne sont pas naturellement vertueux, les corrupteurs le savent bien et en jouent. Mais que ces corrupteurs et ces corrompus semblent ne pas être, bien trop souvent, l'objet de sanction, c'est cela qui est intolérable pour les citoyens et c'est cela qui alimente la corruption : la vertu c'est le respect et la crainte de la loi et son application à tous sans exception. Comment le citoyen peut-il accepter que des responsables politiques continuent un carrière quand ils ont été pris "la main dans le sac", quand ils ou elles apparaissent et se présentent au public avec arrogance. C'est donc le respect et l'application effective et égale de la loi qui doivent être effectifs grâce à de nouvelles institutions, car ce ne sont pas les institutions qui feront la vertu, mais elles devront être en mesure de l'imposer. Le contrôle des élus par les citoyens, la reddition régulières et publique des comptes et la responsabilité juridique sont les façons les plus sûres d'y parvenir.

M. le président Claude Bartolone. Le cadre est posé. Il n’est pas contraignant, mais indique la tonalité de la réunion d’aujourd’hui : il s’agit d’analyser la manière dont sont ressenties nos institutions, et d’identifier des pistes de réflexion.

J’ouvre maintenant notre nouveau tour de table.

Mme Marie-George Buffet. « Crise de la République » ? Oui, et pour plusieurs raisons. Je partage entièrement l’intervention de Michel Winock. J’ajouterai cependant trois idées.

Il faut tout d’abord mesurer le niveau de souffrance sociale, qu’elle soit, bien sûr, matérielle – crise économique et sociale, bas salaires, précarité –, liée à l’insécurité, ou encore liée au passage du droit vers l’assistance. Or l’assistance est source de division entre les gens car face à un droit nous sommes tous et toutes égaux alors que, face à des aides, à des allocations, nous ne le sommes plus : l’autre ne touche pas ce que je touche, ou bien perçoit plus que moi.

Vous avez abordé la question de l’école comme lieu de promotion, ce qui a été une réalité profonde du vécu populaire. Il ne faut pas oublier la promotion dans l’entreprise. À une certaine époque, les entreprises formaient des gens qui entraient avec un CAP et qui parvenaient ensuite à des positions de responsabilité. Les grandes entreprises permettaient cela – je pense en particulier à l’industrie automobile. La promotion interne est beaucoup moins une réalité aujourd’hui : les grandes écoles industrielles, les écoles patronales, comme on les appelait, ont quasiment disparu, même si on note que le secteur aéronautique semble y revenir.

Je ne définirais pas la pauvreté comme vous l’avez fait, monsieur Winock. La pauvreté, ce n’est pas seulement le SDF à côté duquel circulent des 4x4 – ce n’est pas la configuration des rues de ma ville en tout cas. La pauvreté, c’est le bas salaire. À cause du bas salaire, la pauvreté est quotidienne et s’installe dans le long terme. Le mur est là. La précarité vient de ce qu’on vit, de plus en plus souvent, avec moins que le SMIC – 1 444 euros – puisque l’on travaille de moins en moins 35 heures par semaine.

À cela s’ajoute la marginalisation territoriale. Je suis une ennemie des politiques de la ville. Ce n’est pas la qualité des ministres concernés qui est en cause. Mais les notions de quartier, d’association de proximité, de terrain de proximité, de centre social de quartier… ont conduit à enfermer des quartiers, à effacer l’idée de commune, de bassin de vie.

Deuxième point : certes, la mondialisation, la question écologique, les tensions internationales sont sources d’angoisse. Mais les politiques sont responsables de l’utilisation de ces angoisses pour justifier leur incapacité à modifier les choses. Combien d’hommes et de femmes politiques ont-ils utilisé l’Union européenne, la mondialisation, pour expliquer qu’ils ne pouvaient pas réformer car ils étaient « contraints » – un mot parmi les plus prononcés par eux ? Nous contribuons donc nous-mêmes à dire aux gens qu’il n’y a pas de possibilité de s’en sortir. C’est pourquoi j’en reviens à l’idée que vous avez développée au début de votre intervention, selon laquelle le progrès était l’un des principes fondateurs de la République : ceux que nous mettons aujourd’hui au pouvoir nous disent qu’il ne peut plus y avoir de progrès à cause de ces fameuses contraintes.

Si l’on veut reconstruire l’idée de nation, de République, il faut un projet, ce qui est impossible quand on se contente de gérer le quotidien.

Enfin, troisième point, les institutions ont-elles à voir avec tout cela ? À lire la note préparatoire qu’on nous a distribuée, je me suis demandée pourquoi nous nous réunissions, tant j’avais l’impression qu’elles étaient marginales dans l’affaire qui nous occupe. Or, qui sont les acteurs et les actrices de toute construction au sein de la République ? Très peu de gens, et qui sont même de moins en moins nombreux : des « experts ». Les hommes et les femmes politiques ne sont-ils pas en train de devenir des « experts » ? Pour créer une dynamique de débat autour d’un projet de société, d’un projet de « vivre ensemble », il va bien falloir que nous nous donnions les formes institutionnelles permettant aux hommes et aux femmes d’être acteurs et actrices de cette construction.

Belle profession de foi, mais il ne devrait pas s'agir pour les élus, en matière d'institution, de "donner les formes institutionnelles permettant aux hommes et aux femmes d’être acteurs et actrices de cette construction", car c'est bien ici l'aveu que ce rôle "d'acteur ou d'actrice" a été dérobé à ceux qui sont propriétaires de la souveraineté par des élus qui se sont crus et se croient encore investis de la toute puissance par le suffrage. Et de plus, ce suffrage, les partis l'ont pris sous leur contrôle. Non, Madame, vous n'avez rien à nous donner, car ce pouvoir de construction institutionnelle, il nous appartient. En revanche, nous avons, nous les citoyens souverains et libres, à vous le reprendre!

Mme Karine Berger. Merci beaucoup à Michel Winock pour son exposé limpide et terriblement simple dans la présentation des difficultés que ma génération aura à résoudre pour reconstruire l’idée même de République.

Vous terminez sur la question de savoir quel est le lien entre les principes républicains et les institutions. Ce lien me paraît le plus direct qui soit, et je suis convaincue que les institutions sont l’une des clefs pour faire revivre ces principes. Or on observe depuis quelques années un mécanisme de désinstitutionalisation : aux yeux de la collectivité, l’efficacité, l’utilité des institutions disparaît. Aussi les institutions, pour nos concitoyens, ne représentent-elles plus une référence.

Cette analyse sommaire est absolument fausse, ne serait-ce que par les nombreux exemples sur ces travaux institutionnels que donne le site http://collectifconstituant.fr.gd et bien d'autres qui y sont référencés. Sur quelles références, quels constats objectifs, fondez vous Madame votre peu rigoureux "Or on observe depuis quelques années un mécanisme de désinstitutionalisation"? Encore une fois, il s'agit d'une vision élitiste de la société. Madame, les institutions SONT une référence pour les citoyens, et principalement lorsqu'elles ne sont pas respectées par les institutions elles-mêmes, ou qu'elles sont dévoyées, ou encore utilisés à des fins de simple communication!
Et pour le montrer voici quelques exemples institutionnels parmi de très nombreux autres. Le pire des exemples institutionnels, est une modification concoctée par les parlementaires et deux gouvernements successifs. Il s'agit de l'article 11 de la Constitution nouvelle formule, "applicable" depuis ce premier janvier 2015 : les plus éminents politologues et spécialistes du droit public s'accordent pour douter de son applicabilité et pour dénoncer sa turpitude, alors que ses promoteurs prétendent donner aux citoyens l'initiative partagée (doux euphémisme) pour envisager, en particulier, une réforme des pouvoirs publics. Poudre aux yeux, mais chiche, soumettaient Madame les propositions institutionnelles des citoyens, qui sont présentées et groupées sur le site http://collectifconstituant.fr.gd à l'examen des parlementaires pour qu'ils y travaillent, vertueusement, et qu'ils conduisent la réforme des institutions avec eux jusqu'à son terme. Nous sommes bien au cœur du sujet, n'est-ce pas? Que dire également d'un Conseil d’État complice du ministère de l'intérieur qui considère comme négligeable le détournement de plusieurs centaines de milliers de bulletins de vote lors des dernières élections européennes? Que dire de ce référendum sur la Constitution européennes rejeté le 29 mai 2005 par les Français avec 54,68 % des suffrages exprimés,
référendum qui pratiquait pourtant déjà une sorte de vote censitaire et ne donnant la possibilité de faire campagne qu'aux partis habilités, ignorant ainsi les avis des "simples citoyens", et dont finalement le résultat fut méprisé par les parlementaires? Que dire de cette loi faussement intitulée "visant à reconnaître le vote blanc" et dont le texte voté disait exactement le contraire du texte initial, tout en maquillant ce tour de passe-passe derrière une soi-disant reconnaissance du nombre de bulletin, mais sans les reconnaître comme suffrages exprimés, alors que plus de 80% des citoyens français y sont favorables, selon une étude commandée par le CNRS/CEVIPOF! La liste serait longue.
Comment alors ne pas comprendre que les citoyens constatent que les institutions "n’influent plus sur le cours des choses", comme vous le dites ci-dessous, puisque les élus peuvent les détourner à loisir, souvent pour protéger leurs propres pouvoirs!

Ce phénomène peut s’expliquer parce que les institutions n’influent plus sur le cours des choses. Pour ce qui concerne les principes rappelés par M. Winock – progrès, égalité, patriotisme, laïcité… –, les institutions, notamment celles de la Ve République, ne dirigent plus le courant mais l’accompagnent. Je prendrai l’exemple de la laïcité : ici, il n’est même plus question d’accompagner le courant, mais de le subir ; ainsi, même des élus qui se disent très attachés à la laïcité se rendent ès qualités à des cérémonies religieuses.

Avant d’être élue, j’ai recensé les lois adoptées entre 1789 et 1792. J’en suis restée stupéfaite : on a tout changé en trois ans, tout – les droits de la personne, le droit du commerce, le système de mesures… En trois ans, nos grands anciens ont réécrit l’intégralité des règles de vie en commun, règles qui, pour certaines, sont toujours en vigueur. Comment donc expliquer qu’en trois ans on se soit montré capable de refonder les règles de vie en commun et donc d’infléchir le courant, alors que la jeune députée que je suis a l’impression que, pendant les deux années et demie qui viennent de s’écouler, on a eu quelque difficulté à ne serait-ce qu’analyser la vitesse du courant qui nous emporte ?

Tout simplement par manque de courage politique, Madame, par manque d'écoute des citoyens, par incompétence politique globale des élus, à la merci des partis, partis que la Constitution de 1958 a légitimé pour faire passer la pilule de la présidentialisation outrancière  du pouvoir, qui ne devait pas perdurer, mais que les partis ont fini pas soutenir en la sacralisant, en dérobant la souveraineté institutionnelle aux citoyens.

Enfin, je suis passée par une école très républicaine, née au moment de la constitution de la République, et dont la devise est « Pour la patrie, les sciences et la gloire ». J’y réfléchis depuis vingt ans ; or vous n’avez pas évoqué l’image que la France a d’elle-même. L’idée de gloire nous invite à aller bien au-delà de la société telle qu’on la « gère » actuellement. Cette idée ne devrait-elle pas faire corps avec ces institutions vers lesquelles nous devrions tendre, et qui se situent largement au-dessus de nos têtes quand celles d’aujourd’hui se trouveraient plutôt sous nos pieds ?
A qui la faute, Madame!

M. Luc Carvounas. Je ne fais pas partie de ceux, nombreux parmi nous, qui emploient le mot « déclinisme ». Quand on se rend à l’étranger, l’image de la France est bien meilleure que celle qu’en ont les Français eux-mêmes. « Crise de la République » ? Très certainement à mes yeux car il y a une perte de repères. On a évoqué l’école : l’ascenseur républicain n’est plus un repère puisque, même quand on sort de l’école avec une formation diplômante, on n’a pas forcément un emploi. Montrer que ce qui fonde notre modèle social – l’égalité pour tous par le travail, l’école et l’apprentissage des savoirs – ne fonctionne pas, nous conduit à nous interroger sur le fait de savoir quel pays, quel développement nous voulons.

À propos de ces repères, quelle définition donner de la laïcité, par exemple ? Pardon, mais quand je participe, en tant que maire, aux fêtes de l’Aïd ou bien de Hanoukka, je ne considère pas être communautariste. Je suis un élu républicain qui, au nom des valeurs de la laïcité, fait en sorte de participer au « mieux vivre ensemble ». Et il y a une forme d’hypocrisie générale aujourd’hui : quand nous nous interrogeons sur la manière d’accompagner la pratique des cultes, la réponse est difficile à apporter – elle est même tellement difficile que, souvent, nous n’y arrivons pas, à moins de biaiser. Et nous devons penser à l’intrusion dans nos territoires de pays étrangers qui entendent apporter, justement, leur réponse à ces problèmes. Nous devons par conséquent faire en sorte que chacun puisse vivre sa religion dans les meilleures conditions possibles, c’est-à-dire pas dans une cave, pas dans la rue. Cette recherche du « mieux-vivre ensemble » doit donc être aussi une référence pour notre nation.

Un récent sondage, paru dans un quotidien, révèle que 66 % des Français consultés souhaitent une VIe République.
Encore une preuve de l'intérêt que les Français portent à leur institutions
Dans le même temps, nous serions surpris de leur réponse si on les interrogeait sur la V
e République. Les Français souhaitent très majoritairement une nouvelle République et, très majoritairement aussi, ils ne participent pas aux rendez-vous démocratiques importants que sont les élections. Ici, c’est certain, on note un déclin de la participation démocratique. Nous pouvons peut-être y apporter quelques réponses, réfléchir sur la manière de réenchanter la promesse républicaine.

Le déni de compréhension de cet abandon des urnes est à peine croyable : si les français se refusent de plus en plus à aller voter, c'est qu'ils ont compris qu'ils ne maîtrisent absolument plus le processus électoral que les partis politiques se sont approprié. Élections après élections, ce sont les mêmes oligarques, médiatisés, financés, qui s'imposent à eux, et qui ne tiennent quasiment jamais leurs engagements de campagne, alors à quoi bon. Réfléchir les yeux bandés, en refusant ces évidences, ne vous mènera à rien. Redonnez la souveraineté et la parole aux citoyens, et vous réenchanterez, selon vos termes, la promesse républicaine.

À cette fin, la classe politique ne doit pas représenter une forme d’élite qui s’autoreproduit, mais doit ressembler à la société. Lorsque le politique prend un engagement, il doit le tenir. Comment voulez-vous que les nouvelles générations ne considèrent pas avec défiance ce que nous représentons, quand nous n’avons pas su leur donner, pas plus qu’à leurs parents, le droit de vote ne serait-ce qu’aux élections municipales ? Comment pouvons-nous reconquérir la confiance de nos concitoyens quand nous ne savons plus inventer des modes de collaboration, de participation citoyenne ? Olivier Faure évoquait la création d’« amendements citoyens » par le biais d’internet – pourquoi pas ? Devons-nous instaurer le vote obligatoire contre le déclin de la participation ? Les plus jeunes, ceux de seize ans notamment, ne pourraient-ils pas participer à la vie de la cité ? Voilà qui pourrait redonner confiance à nos concitoyens, permettre de renouer le dialogue avec eux.

Qu'avez-vous fait à ce titre, et ce groupe de travail sur les institutions, invente-t-il "des modes de collaboration, de participation citoyenne". Non, nous en sommes exclus.

Qu’est-ce qui crée la défiance ? C’est que le monde de 2014 n’est pas celui de 1958 ! Il faut désormais compter avec l’Europe, qui prend des décisions importantes pour notre vie quotidienne. Quand les agriculteurs défilent dans les rues, comme il y a quelques mois, parce qu’ils ne comprennent pas que leur production, à cause de contraintes européennes, ne finisse pas dans les cantines scolaires, ne devons-nous pas réinventer la pédagogie de notre action ? L’Assemblée nationale et le Parlement européen ne sont pas des entités distinctes ! De nos jours, je crois, six ou sept dixièmes des lois sont d’origine européenne. Le fil n’a pas été perdu : il n’a pas été créé – il faut donc bien l’inventer.

Nous devons repenser notre modèle républicain, notre modèle social fondé sur la redistribution. Il vaut mieux régler les problèmes en amont. Plutôt que de redistribuer, ne faudrait-il pas inventer un système de pré-distribution ? Cela nécessiterait des moyens et de nouvelles organisations. Les institutions peuvent servir de pare-feu à une crise latente. Mais les politiques doivent se réformer : il nous faut recréer du lien avec nos populations à l’aide de moyens précis et non plus de formules incantatoires ; il faut créer ce lien indispensable avec le Parlement européen.
Il serait temps d'en prendre conscience, mais pour que ces beaux discours ne restent pas encore des incantations, il nous faut des institutions qui replacent les citoyens, et non les partis, au centre de la démocratie, faute de quoi les dérives naturelles réapparaîtront. Et ces règles institutionnelles, ce ne doit pas être aux élus de les écrire, mais aux citoyens de leur soumettre, puis de les mettre en place, avec eux.

Mme Cécile Untermaier. Il ne faut pas confondre crise politique et crise des institutions : si elles sont liées, elles n’en sont pas moins dissociables. Ces dernières années, le politique s’est très facilement dédouané de ses propres insuffisances en mettant en avant les insuffisances supposées des institutions. Nous devons, en la matière, parler « vrai » avec les citoyens. Nous ne pouvons pas nous affranchir de l’analyse des politiques que nous menons sur nos territoires.

Indépendamment d’une réforme institutionnelle, il existe une marge d’action importante. Les hommes sont au cœur des institutions et ce sont d’abord eux qui les font vivre et sont responsables de leurs dysfonctionnements. Déjà, nous avons progressé en cherchant à renforcer la transparence et l’exemplarité, éléments nécessaires à la vérité que nous devons à nos concitoyens.

Nous devons également lever les malentendus entre les attentes de ces derniers et les capacités réelles des politiques. Il nous faut donner les vraies raisons pour lesquelles nous ne faisons pas les choses, dévoiler les vraies contraintes à cause desquelles nous ne pouvons pas aller dans telle ou telle direction. En clair, il ne faut pas prendre les citoyens pour des imbéciles mais, au contraire, travailler intelligemment avec eux et dans le respect d’une relation construite.

Les institutions n’influent plus sur le cours des choses, c’est vrai, sinon d’une manière opaque ; aussi faudrait-il donner une vision claire des compétences de chacun.

Il faut par ailleurs travailler sur le paradoxe selon lequel le citoyen attend tout du politique et des institutions, tout en leur reprochant leur impuissance. Cette attitude est sans doute le fruit de notre propre comportement. Reste que ce malentendu alimente la défiance et nécessite, j’y insiste, une redéfinition du champ du politique.

Il nous est difficile de répondre aux attentes immédiates tout en menant une politique de long terme. Nous savons que celle-ci n’est pas payante à brève échéance. Aussi nous faut-il trouver les moyens, peut-être institutionnels, de permettre à une politique de long terme de ne pas « tuer » le politique ; il faut au contraire faire en sorte que son courage et son sens pédagogique soient reconnus. Il convient, en outre, de trouver les moyens institutionnels de déconnecter le politique – et la politique – de la surmédiatisation.

C’est en ce sens que notre réflexion est importante. Il faudra la diffuser dans nos territoires. Et je pense aussi à l’« académie du futur » de Pierre Rosanvallon, intéressante à ceci près que les politiques en sont exclus.

Mettez ces beaux principes en pratique dès à présent, Madame, en remettant cet ouvrage institutionnel à ceux qui en ont la souveraineté de la réalisation et en auront le "bénéfice" de l'usage, si nous sommes bien en démocratie : les citoyens.

M. Bernard Thibault. J’ai travaillé à partir de la note qui nous a été distribuée, et dont j’ai bien compris qu’elle n’était pas exhaustive et n’avait vocation qu’à poser des jalons. Elle revient à plusieurs reprises sur les liens supposés entre la crise possible – probable – des institutions de la Ve République et certaines caractéristiques d’une crise plus globale.

Il semble évident que la crise économique et son fort impact social ne sont pas sans répercussions sur la perception de l’efficacité d’institutions qui apparaissent en décalage par rapport à ce que nombre de nos concitoyens considèrent comme prioritaire, d’institutions qui sont parfois dans l’ignorance, voire la négation de ces urgences. En retour, si les institutions ne peuvent être présentées comme étant à l’origine de la crise économique et sociale, elles peuvent néanmoins alimenter le sentiment de ne pas en prendre l’exacte dimension et, de ce fait, quitte à généraliser sans doute à l’excès, contribuer elles-mêmes au désamour dont elles sont victimes, voire à leur discrédit.

La crise, dans sa dimension économique et sociale, ne remonte pas à 2007, même si c’est depuis cette année-là qu’elle a pris une nouvelle dimension par son étendue internationale et par la brutalité de son impact sur des centaines de milliers de nos concitoyens et donc sur leurs familles. La progression du chômage est bien antérieure à 2007, mais elle atteint désormais des sommets qui provoquent un grand nombre de fléaux qui marquent durement le quotidien et qui interrogent sur la solidité du pacte républicain dont M. Winock nous rappelait les grands principes.

L’intégration, l’ascension sociale, le « vivre ensemble », l’égalité des droits et des devoirs, autant de principes qui, s’ils ne sont pas remis en cause dans leur fondement, sont ébranlés par l’expérience et le vécu ordinaire de nombreux Français. Si le chômage ne peut expliquer à lui seul une certaine crise de la République, il semble évident qu’il ne contribue pas à renforcer les repères républicains. Lorsqu’on n’a que son travail comme source de revenus pour soi et sa famille et que l’on en est privé, le monde s’effondre. De plus, il ne suffit plus de recenser uniquement les chômeurs pour avoir une idée de l’étendue du problème : il faut intégrer la précarité causée par nombre d’emplois à temps partiel, en contrats à durée déterminée – autant de sources d’instabilité sociale. La première des insécurités est l’insécurité sociale.

Il ne suffit pas, il ne suffit plus de travailler pour être à l’abri : c’est là une autre tendance lourde des dernières décennies, une évolution considérable dans la représentation qu’on peut se faire du travail. La note déjà évoquée pointe à juste titre l’explosion des problèmes de logement, y compris pour des travailleurs qui n’ont pas les moyens de faire valoir ce droit élémentaire – car on peut travailler et être SDF.

Le nombre de familles se privant de soins pour des raisons économiques augmente. Une nouvelle catégorie apparaît d’ailleurs dans les statistiques : les travailleurs pauvres. Ainsi la perception selon laquelle les générations à venir risquent de vivre plus difficilement que celles qui les ont précédées progresse avec l’angoisse que cette évolution produit dans la société. C’est là aussi un bouleversement d’ordre très pratique.

Au cours de cette crise, la valeur du travail a été largement dévalorisée, qu’il s’agisse de la représentation du travail ou – il faut bien en parler – de sa valeur monétaire. Les mécanismes de solidarité sont à leur tour déstabilisés et menacés – je pense à la solidarité intrafamiliale, qui continue à fonctionner mais qui ne peut plus fonctionner partout avec la même intensité : elle atteint aussi ses limites du fait de la pyramide des âges, avec une proportion croissante de personnes de plus de soixante ans. Des institutions comme les caisses de retraite, la sécurité sociale, n’incarnent plus comme auparavant le même degré de sécurité – voilà un autre élément de déstabilisation.

D’aucuns y verront un tableau sombre ; c’est pourtant une réalité criante – et le tableau n’est pas complet ! Cette réalité ne marque pas le quotidien de chacun avec la même intensité mais elle imprègne et influence la vie de toute la société et de tous les citoyens, directement ou indirectement, et qu’ils en aient conscience ou non. La question du « vivre ensemble » ne se pose évidemment pas dans les mêmes termes selon que l’on atteint ou pas le plein emploi.

Cette réalité est matière à débat politique, et si l’on n’en discute pas suffisamment à mes yeux, le mécanisme de représentation en est en partie responsable.

Je me suis penché sur la représentativité des élus à l’Assemblée nationale. Je ne verse pas là dans la démagogie : il ne s’agit pas de jeter l’opprobre sur les élus actuels. Reste que, quand on observe la représentation sociologique de l’Assemblée, des décalages manifestes sautent aux yeux, qu’il s’agisse de l’âge, de la parité ou des critères socioprofessionnels. Il suffit de comparer la proportion, au sein de la population, des ouvriers, des employés, des professions intermédiaires, des cadres, des professions intellectuelles supérieures, avec la proportion des mêmes catégories au sein de l’Assemblée. Je n’ai pas la solution et je n’imagine pas qu’il faille recourir au système des quotas, mais il y a là un problème d’ordre politique.

Je ne dirai qu’un mot de la représentation sociale. On va sans doute décider la disparition des élections prud’homales. Après la disparition, depuis 1983, des élections des représentants des salariés aux caisses de sécurité sociale, il n’y aura bientôt plus en France de consultation nationale de la représentation sociale. C’est un vide sidérant qu’il faudra, d’une manière ou d’une autre, combler : il ne sera pas possible de rester dans cette situation.

Je pense que la suppression des élections à la sécurité sociale a largement contribué à déresponsabiliser le citoyen vis-à-vis de ce qu’est la sécurité sociale en tant qu’instrument collectif de solidarité. Interrogez les gens dans la rue sur ce qu’est la sécurité sociale : ils vous répondront qu’il s’agit d’une administration de l’État, ou bien d’un service à une entreprise. L’élection participe donc de l’implication du citoyen vis-à-vis d’une institution – en l’occurrence, d’une caisse de sécurité sociale. Et quand j’apprends que l’un des motifs de la disparition des élections prud’homales est leur coût, je me dis qu’une démocratie commence à être malade lorsqu’elle considère le coût des élections comme un facteur négatif… Je n’imagine pas que l’on supprime les élections législatives partielles sous prétexte qu’il n’y a que 25 % de votants !

Il n’y a donc plus de consultation à caractère social permettant une représentation sociale plus démocratique et banalisée. Je suis plutôt convaincu que la négociation en cours sur le droit à la représentation sociale pour tous les salariés quelle que soit la taille de l’entreprise dans laquelle ils travaillent n’aboutira à aucune traduction législative. Se posera dès lors la question de l’intervention politique : est-ce que les élus de la nation s’accommodent de l’idée selon laquelle, contrairement au Préambule de la Constitution, tous les salariés n’auraient pas le droit d’intervenir, par le biais de leurs délégués, sur le fonctionnement et la gestion de leur entreprise ? C’est pourtant une réalité : des millions de salariés sont privés de ce droit élémentaire prévu par la Constitution.

Le droit social évolue, mais il évolue vers une plus grande individualisation des situations. Ce processus n’est pas spécifique à la France : les organisations patronales, les employeurs en général, à une échelle internationale, prônent de plus en plus un droit social qui se décline entreprise par entreprise, avec la difficulté de définir ce qu’est une entreprise. Les situations sont en effet très disparates. Et cela va encore plus loin en matière de décentralisation du droit social, puisque ce dernier est de plus en plus individualisé. Si bien que, alors que le travailleur a besoin d’un cadre collectif pour réguler le rapport de subordination qui sous-tend le contrat de travail, cette aspiration à un droit collectif est contredite par l’individualisation progressive des situations. La dimension collective qu’incarne la République s’en trouve malmenée.

Cette situation alimente des fléaux qui minent notre société et le rapport à la République, fléaux au nombre desquels je mentionnerai la progression du travail informel. On ne peut pas avoir plusieurs catégories de citoyens ou de travailleurs. Vous le savez, je suis désormais engagé auprès de l’Organisation internationale du travail (OIT). J’ai pu constater que la France demeurait un des pays réputés fidèles aux droits internationaux en matière sociale. Constater dans ce même pays une progression inexorable du nombre des activités et de salariés travaillant dans des zones « grises », voire dans des situations d’esclavage – j’utilise le mot à dessein parce qu’il recouvre une réalité –, est d’autant plus insupportable.

Je pense également à la fraude aux cotisations sociales et à la fraude fiscale. Si, dans une République, il y a des droits et des devoirs – devoirs que certains s’efforcent de contourner –, nos institutions ne semblent pas suffisamment présentes pour lutter contre ces fléaux, au point que certaines situations semblent tolérées.

Dernier point, les institutions de notre République ont un grand défi à relever, celui du rapport à l’entreprise. Mme Untermaier suggérait de redéfinir le champ du politique. Selon une perception assez largement répandue, le politique peut faire beaucoup de choses, sauf au sein de l’entreprise, soit qu’il ne le souhaite pas, soit qu’on l’en croit interdit. Mais, pour des dizaines de millions de nos concitoyens, l’entreprise, c’est la vie quotidienne et j’ai déjà dit combien en être privé pesait lourd pour le salarié, y compris en sa qualité de citoyen.

L’entreprise est-elle dans la République ? L’entreprise est-elle elle-même porteuse de solidarité ? L’entreprise alimente-t-elle mécaniquement le progrès social ? L’entreprise est-elle patriote ? L’entreprise est-elle vertueuse et intègre ? Je ne vous propose pas de réponses, de peur d’être trop long, mais le seul énoncé de ces questions vous les suggère. Voilà en tout cas des défis importants lancés à notre République. Veuillez m’excuser pour la longueur de mon propos.

M. le président Claude Bartolone. Chacun a sans nul doute été intéressé par cette intervention dont la tonalité manque parfois à nos débats. Il était donc important que vous exprimiez votre point de vue.

M. Alain-Gérard Slama. J’emprunterai la magnifique piste ouverte par Michel Winock et partirai du constat selon lequel les principes sur lesquels repose notre République conservent leur pertinence. Notre pays adore les ruptures, que les médias exploitent en les attisant. Nous assistons aujourd’hui à un double mouvement de remise en cause et d’exacerbation de ces principes – sur ce dernier danger, le remarquable livre de Mme Dominique Schnapper, intitulé L’esprit démocratique des lois, s’avère particulièrement éclairant. Ces deux tendances suivent une voie paroxystique qui deviendra bientôt ingérable.

La foi dans le progrès par l’école ou l’État s’est affadie, et M. Bernard Thibault vient d’évoquer la rupture entre le champ de l’activité de création de richesses, qui ne relève ni de la vertu ni des valeurs qu’on exige des hommes politiques, et l’action politique, qui se nourrit de la production économique. Notre civilisation matérielle se développe de manière extraordinaire, au point de menacer jusqu’à l’avenir de la planète. Ainsi, plus la civilisation matérielle s’étend et plus chaque groupe cherche un ressourcement réactif – pas forcément réactionnaire – dans des valeurs traditionnelles. Les deux camps s’opposent devant la loupe déformante des médias, les élus devant s’efforcer de tirer le meilleur parti du progrès de la civilisation matérielle et d’en maîtriser les effets pervers pour nourrir la solidarité et la redistribution.

L’égalité et la solidarité constituent deux notions inséparables ; la quête d’égalité que Tocqueville estimait inhérente à tout processus démocratique risque de déboucher dans les impasses de l’égalitarisme, qui considère toute inégalité comme insupportable. D’un autre côté, ne pas prendre en compte les nécessités de la solidarité revient à oublier de relier l’égalité à la notion fondamentale de justice. Il appartient aux gouvernants et aux législateurs de veiller constamment à la justice, alors qu’ils doivent faire face à ceux qui leur réclament davantage d’égalité ou de solidarité réduite à des communautés, des associations ou des tribus qui se pensent dans un champ extérieur à celui de la solidarité nationale. Lorsque les politiques sacrifient la justice, ce sont les magistrats qui définissent ce qui est juste. Comme à l’école, à qui l’on demande d’assurer la justice sociale et de former le citoyen, on demande au juge de résoudre les problèmes non traités par les politiques. La justice et le droit s’engouffrent dans la défaillance – voire la démission – des responsables politiques. On donnait souvent comme sujet de dissertation aux étudiants en philosophie cette phrase de Léon Brunschvicg : « Le monde serait depuis longtemps sauvé si la qualité des hommes pouvait dispenser de la qualité des idées. » Ne devrait-on pas inverser la formule aujourd’hui et se demander si la France ne serait pas sauvée si la qualité des idées pouvait dispenser de celle des hommes ? Nous avons besoin d’hommes respectueux des institutions qu’ils incarnent. Notre propension culturelle à vouloir résoudre des problèmes qui tiennent au respect de la règle du jeu par une réforme profonde des institutions alimente l’irrespect envers les institutions, ce dont nous déplorons les effets.

L’extension de la civilisation matérielle engendre des réactions identitaires – qu’il convient de ne pas juger moralement –, et nous nous trouvons aux prises avec une double dérive d’un mondialisme et d’un nationalisme effrénés. Les médias ne mettent plus en scène que ces deux discours, alors que la grande majorité des Français ne se reconnaissent dans aucun de ces deux courants de pensée. Ils savent que l’on doit négocier – dans des assemblées comme la vôtre, mesdames et messieurs les députés – la position du curseur.

L’État a construit la France en créant la nation, ce qui rend notre pays plus vulnérable à la mondialisation que ceux façonnés par un peuple ayant cherché son État. Les citoyens ont le sentiment que l’État a perdu de son pouvoir au profit de l’Union européenne et des enceintes où se rencontrent les pays les plus avancés économiquement comme le G7 et le G20. Pourtant, il subsiste un champ immense d’action pour les responsables politiques à l’intérieur de chaque nation.

Ce sont surtout les citoyens qui "ont le sentiment" d'avoir perdu de leur pouvoir, faute de disposer de véritables représentants, responsables sur leurs engagements et sur leurs actes, faute de recours en dehors des oligarques que les partis, aux pouvoirs exorbitants, leur imposent.

La laïcité à la française diffère fortement de celle pratiquée dans d’autres pays, et nous assistons également dans ce domaine à des évolutions importantes. Si un maire a pris en compte les souhaits de ses administrés en installant une crèche avec le petit Jésus à l’hôtel de ville, la traduction juridique de cette situation peut s’avérer dangereuse. Si la justice administrative ne donne pas droit à la plainte déposée par une association laïciste contre la commune, celle-ci sera bientôt obligée de fêter Souccot – que les juifs de France ne célébraient pas jusque récemment. Ces événements religieux renaissent car les fidèles se sentent encouragés par le phénomène de « montée aux extrêmes » – selon la formule de Clausewitz – qui caractérise notre débat public. Il convient de raison garder, et je souhaite que les journalistes éclairent ces problèmes à l’attention des citoyens, ces derniers étant tous capables de comprendre le monde qui les entoure. On doit trouver la juste position du curseur entre nos institutions et le mouvement de l’époque.
Cette "juste position du curseur" est claire, c'est la loi, qu'il faut respecter et qui existe, comme l'a rappelé la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) avec son avis publié sur le JORF n°0235 du 9 octobre 2013, page texte n° 41 et qui concluait ainsi "Il faut en tout état de cause rester attentif à toute réforme qui risquerait d'avoir des conséquences négatives, par exemple en privant certaines catégories de la population de l'accès à de nombreux droits (droit à l'éducation, accès à l'emploi...). Il faut se prévenir de toute construction d'une « nouvelle laïcité » plus restrictive et qui risquerait d'enfermer toute expression de la liberté religieuse dans la stricte sphère intime, ce qui serait contraire à la loi de 1905, attentatoire aux libertés fondamentales et au principe d'égalité.

M. Michaël Foessel. L’impression selon laquelle la démocratie s’arrête aux portes de l’entreprise s’avère très répandue. La dynamique égalitaire portée par la démocratie se heurte en effet, dans le monde social et économique, au capitalisme. Au-delà de la tension entre l’économie et la démocratie, n’en existe-t-il pas une autre, plus difficile à percevoir, opposant la démocratisation de nos aspirations aux limites de la représentation politique ? Cette question renvoie à ce que l’on peut encore attendre du politique et à ce qu’il représente.

La notion de démocratie représentative constitue un oxymore : les révolutionnaires anglais, les Pères fondateurs américains, les constituants français ont pensé le système représentatif non pas indépendamment de la démocratie, mais contre elle. À leurs yeux, la démocratie incarnait ce système hérité de l’Antiquité, propre à de petites cités, dans lequel les citoyens avaient le pouvoir de légiférer et d’appliquer la loi. Ces personnes ont donc conçu la représentation comme un rempart au pouvoir direct des masses et des individus, et comme une médiation permettant d’éviter la dimension la plus subversive de la démocratie, à savoir le fait qu’elle repose non pas sur le pouvoir de tous, mais sur celui de n’importe qui. Ces acteurs historiques associaient la démocratie au tirage au sort et au mandat impératif, non à l’élection et au mandat représentatif.

Il serait inopportun d’attendre des institutions et d’une constitution davantage que ce qu’elles peuvent apporter ; dans un État moderne, le citoyen comme volonté – c’est-à-dire l’action directe dans le champ politique et la représentation – diffère de la citoyenneté comme magistrature, qui repose sur l’exécutif. Dans notre système, la souveraineté du peuple signifie le consentement au pouvoir et le contrôle de celui-ci, mais non l’accession et l’exercice du pouvoir. Cela n’empêche pas l’existence d’éléments démocratiques dans le régime représentatif, l’instauration du suffrage universel en étant la composante principale.
Si la souveraineté du peuple signifie "le consentement au pouvoir et le contrôle de celui-ci, mais non l’accession et l’exercice du pouvoir", à qui cette accession et cet exercice sont-ils réservés, et comment cette élite est-elle choisie, par qui, sur quels critères? Ce consentement au pouvoir repose Monsieur, non sur la servilité à des oligarques, mais sur la confiance envers des personnes choisies librement, et non imposées d'on ne sait quel ciel, ce qui est le cas aujourd'hui, et sur la réelle participation citoyenne. Quel mépris!

Si la démocratie s’avère un processus infini – celui-ci ne résolvant jamais le conflit et ne statuant pas par avance sur la légitimité –, l’État est une institution et se trouve, à ce titre, limité. L’enjeu réside dans la capacité à ne pas penser cette finitude comme clôture de la dynamique démocratique. On évoque souvent la stabilité des institutions, vertu réelle qui ne doit néanmoins pas annihiler le caractère illimité de la démocratie ; veillons à ce que la stabilité des institutions ne les pétrifie pas dans une ritualisation déconnectée des aspirations sociales.

La dimension égalitaire de la démocratie ne peut pas se retrouver dans la représentation, car celle-ci crée un lien hiérarchique entre le représentant et le représenté.
C'est inverser ici le principe démocratique : ce sont les représentants qui sont subordonnés aux citoyens et non l'inverse ; les citoyens les désigner, ils financent, les excluent, leurs disent leurs intentions.

Le terme de représentation se révèle ambigu, puisqu’il contient à la fois une composante juridique – la volonté du représentant s’exprime pour celle du représenté pendant la durée de son mandat – et un élément théâtral, celui de la ressemblance. Certains défendent l’idée d’une nécessaire similitude entre le représentant et le représenté pour assurer l’égalité ; cette vue peut sembler vertueuse, mais elle nourrit un discours de communication renforcé par la figure individuelle du président de la République dans nos institutions. Cette conception exige en effet du président qu’il incarne la République et la société, ce qui conduit au triomphe d’un discours détaché du réel, une seule personne ne pouvant pas refléter une société aussi complexe que la nôtre. Il s’avère d’ailleurs antidémocratique et dangereux de penser qu’un individu réussisse cette prouesse. Comme le disait Claude Lefort, la démocratie est « le lieu vide du pouvoir », c’est-à-dire qu’il ne saurait exister de lieu, d’instance, d’autorité ou de personne unique dans lesquels le pouvoir pourrait s’incarner.

Il convient de valoriser l’action politique et démocratique conduite dans la société civile et en-dehors des institutions – dans les associations, les mouvements sociaux ou les micro-résistances. La démocratie se joue là aussi, car le politique ne réside plus exclusivement au Parlement ou à l’Élysée, mais se déploie dans la société civile. Néanmoins, nous n’avons pas intérêt à séparer l’ordre de la démocratie participative et celui des institutions qui régissent le partage du pouvoir.

Si l’on veut réconcilier la logique froide des institutions et la logique chaude de la démocratie vivante, il convient de réfléchir à la rédaction d’une nouvelle constitution – le chemin y conduisant étant plus important que le résultat final –, car cette démarche permet de se pencher sur la nature et l’étendue du pouvoir politique. Les citoyens estimant que les politiques ne possèdent plus de prise sur le réel, les laisser dessiner le champ politique constitue la solution la plus intéressante et la plus productive : puisqu’ils ne veulent plus jouer, donnons-leur les moyens de reformuler la règle du jeu. C’est à cette condition que la démocratie redeviendra – au-delà du seul cadre des procédures – un ensemble d’expériences qui fasse leur place aux discussions, aux conflits, à l’élaboration de nouvelles normes et qui élargisse ainsi l’horizon des possibles.

Mais Monsieur, c'est exactement ce que nous faisons ici et c'est ce que nous avons demandé aux parlementaires de soutenir. Merci donc de mettre vos excellentes idées en pratique, de transformer votre groupe de travail en conseil des sages, qui sera à compléter, et qui viendra présenter ses éclairages aux textes citoyens organisés en assemblée constituante répartie sur tout le territoire. Un cadre constitutionnel de principe, totalement ouvert aux évolutions et aux révisions, existe déjà et a été mis à disposition. Les élus en ont été informé, il est présenté et commenté sur http://collectifconstituant.fr.gd

M. Denis Baranger. La République française est solide et existe depuis longtemps. La tradition républicaine nous apparaît si forte que nous pouvons être frappés de cécité sur ce qu’elle nous apporte. Un sentiment de malaise s’est développé du fait de l’écart entre la République du passé et la réalité présente de la vie sociale, qui s’avère de plus en plus décevante. On peine aujourd’hui à articuler la relation entre le passé et le présent sur laquelle repose la notion de tradition. Une République est composée d’institutions, porte des valeurs et crée une culture.

Nos institutions républicaines dépendent d’une certaine vision de la société. L’autorité de l’État gage l’unanimité de la société ; l’État français fonctionne bien – je recommande souvent à mes étudiants de le comparer au Kosovo ou à la Californie – et maintient l’édifice social. L’absolutisme de la monarchie, l’autoritarisme de la République et la culture gaulliste ont alimenté la tradition de l’unanimité placée sous l’égide de l’État. Ce dernier exprime la volonté de la nation au nom de tous, et contient le risque de guerre civile. Je doute néanmoins que cette construction subsiste en 2014 : en effet, les souffrances et le capitalisme culturel tendent à rendre la société plurielle. Il y a lieu d’adapter les institutions à ce mouvement ; celles de l’unanimisme républicain nous empêchaient de sombrer dans la guerre civile, mais nous pourrions la rouvrir si nous ne nous rendions pas compte que la société des années cinquante et soixante n’existe plus.

La justice est rendue au nom du peuple français dans un registre intellectuel et rhétorique d’unanimité. L’affaire Dieudonné a été résolue par des décisions du Conseil d’État reposant sur de grandes formules issues de la tradition républicaine, comme la « dignité de la personne humaine », la « cohésion nationale » ou la « lutte contre les discriminations ». La simple énonciation de ces phrases sacramentelles semble suffisante, aux yeux de ceux qui les emploient, pour résoudre les problèmes, alors que tel n’est plus le cas. Ainsi, les protestations devant les palais de justice ou les institutions juridiques sont appelées à se développer, à l’image de la violente manifestation de féministes devant le Conseil constitutionnel après la censure par ce dernier, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, de la loi sur le harcèlement sexuel. La culture de l’unanimité génère dorénavant l’expression de réactions vives et nombreuses à son encontre.

Lorsque nous réfléchissons aux institutions, nous ne devons pas oublier les syndicats, les universités et les Églises, auxquels il convient de faire une place dans l’élaboration de la volonté générale. Ce mouvement sera complexe, les syndicats et les universités ayant occupé cette fonction plus ou moins brièvement et l’intégration des Églises se heurtant au principe de laïcité. Néanmoins, n’oublions pas que si la République s’est constituée contre l’Église – comme nous l’a rappelé M. Winock –, elle ne doit pas aujourd’hui les exclure. Ne soyons pas pessimistes sur ce point, la France ayant déjà compté des institutions sociales solides, notamment au XIXe siècle : nous pourrions ainsi remodeler le Conseil économique, social et environnemental ou repenser la seconde chambre du Parlement pour les accueillir et pour rompre avec cette culture de l’unanimité qui appartient au passé.

La Constitution devrait affirmer nos valeurs : je ne suis pas certain que l’on soit encore capable de formuler efficacement les principes qui comptent pour notre société ; les espoirs placés en 2004 dans la rédaction d’une Charte de l’environnement intégrée au bloc de constitutionnalité ont été déçus. Attaquer la Constitution devant les cours de justice européennes ou par la question prioritaire de constitutionnalité est positif, mais insuffisant, la société devant également débattre de la norme constitutionnelle.

Ce n'est malheureusement pas le cas dans ce groupe de travail.

Qui fait de la politique doit produire du politique ; le légicentrisme – aujourd’hui relégué – constitue l’une des grandes composantes de notre tradition républicaine et il nous faut le réactiver, la loi devant exprimer la volonté générale. Brider la loi, lui assigner le rôle d’un simple rouage normatif et empêcher la représentation nationale d’exprimer des vœux et des aspirations s’avèrent dommageable. La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a opportunément ouvert la possibilité pour le pouvoir législatif de formuler des résolutions – comme celle qu’il vient d’adopter sur la reconnaissance d’un État palestinien. Le Parlement doit retrouver cette fonction d’expression de la volonté générale qui ne peut être dévolue aux juges.

La place du capitalisme culturel dans notre société est considérable : Tocqueville affirmait que la démocratie était « providentielle », mais aujourd’hui c’est la révolution du capitalisme culturel qui est paré de cet attribut, non pas au sens où elle serait bonne, mais où elle s’avère inévitable. Il est impossible d’empêcher les enfants de dix ans de s’inscrire sur Facebook, les adultes de regarder cette variante de la télé-réalité qu’est l’information en continu, et les politiques d’aller sur Twitter – sous ce dernier aspect, on peut douter qu’il soit possible d’énoncer la volonté générale en cent quarante signes... Néanmoins, il convient de se pencher sur ces questions, car la culture fait partie de nos institutions.

Au total, nous disposons d’un capital républicain doté d’institutions, de valeurs et d’une culture que nous devons réactualiser. Nous parviendrons toujours à élaborer des normes institutionnelles, mais la tâche principale de ce groupe de travail réside dans sa contribution à la réactivation de la culture républicaine.

M. Guillaume Tusseau. Je partage, comme les orateurs précédents, le constat de crise qui sert ce matin d’hypothèse de travail à notre groupe. Or la crise, c’est, selon l’étymologie grecque, le moment de la décision, et peut-être s’agit-il aujourd’hui de prendre une décision, sans que celle-ci vienne nécessairement d’en haut.

Michel Winock a dressé dans son intervention liminaire un tableau de la République, fort juste mais qui repose, selon moi sur une prémisse majeure, laquelle, sans avoir été explicitement formulée, implique une vision constructiviste et volontariste de la République. Or cette conception d’une république constitutive de la société qu’elle va régir n’est pas neutre, ni idéologiquement ni en termes de valeurs, ni même au regard de ce que cela signifie en matière d’institutions, de formalisation et d’incarnation de la volonté politique du peuple. Et, puisque la crise nous y invite, sans doute est-ce le moment d’interroger ce présupposé, à tout le moins de l’appréhender comme tel.

Il existe ainsi une idéologie alternative de la République qui découle d’une notion que, de manière assez significative, Michel Winock n’a pas mentionnée parmi les six fondements républicains qu’il a énumérés : je veux parler de la liberté, principe pourtant inscrit, le premier, au frontispice de tous nos édifices publics.

Dans cette perspective, le rôle de l’État, de la République, des institutions ne consisterait plus à prendre en charge la vie des citoyens, en construisant une citoyenneté adossée à un modèle richement et précisément défini, mais à créer les conditions de ce qu’un auteur américain, Robert Nozick, a appelé une « utopie d’utopies ». L’État, la République et la société deviendraient, en d’autres termes, un socle minimal permettant à chaque groupe social, à chaque communauté de développer ses propres utopies et de les faire cohabiter dans une forme de pluralisme, auquel Denis Baranger faisait allusion.

Cela passe nécessairement par un ensemble d’éléments, au premier rang desquels le développement de l’école et de la capacité de cette dernière à instruire, davantage qu’à éduquer. Cela suppose également un niveau de prestations sociales qui garantisse à chacun la capacité de développer ses utopies et à tous les conditions de la coexistence. Il y a là autant d’enjeux qui dépassent de loin la seule question des institutions, et sur lesquels on peut d’ailleurs penser que ces dernières n’ont qu’une faible prise. On peut le regretter, on peut aussi estimer, précisément au nom du principe de liberté, qu’il est préférable que les institutions n’aient pas de prise absolue sur la vie des individus et qu’elles se limitent à garantir les conditions d’exercice de la liberté individuelle et collective, chacun assumant les conséquences de ses choix et gouvernant sa vie comme il l’entend, au lieu d’être pris en charge.

De ce point de vue, et dès lors que l’on aborde les choses sous l’angle de la crise de la représentation, il incombe à chacun de prendre ses responsabilités. Que les hommes politiques saturent de leur présence les chaînes d’information en continu, qu’ils utilisent Twitter, avec toutes les conséquences, délétères ou non, que cela peut avoir sur leur image ou leur discours, c’est leur choix. Face à la frénésie, à l’urgence et à la déception qu’elles engendrent inévitablement, la seule injonction qui peut leur être adressée est : « Retenez-vous ! », mais je ne pense pas que les institutions aient ici un rôle à jouer. Il est inimaginable d’envisager un système de contrôle ou de censure de la presse et, je le répète, l’État et la République doivent se borner à garantir les conditions d’une presse pluraliste, ce qui inclut les nouveaux médias, et en particulier les moteurs de recherche qui filtrent les informations fournies aux internautes. Notre seule exigence doit être que l’ensemble des médias soient soumis à l’impératif constitutionnel de respect du pluralisme des courants d’opinions, sans qu’il faille intervenir plus avant.
Bien sûr, les institutions peuvent jouer un rôle dans la régulation de la fièvre médiatique, le cadre constitutionnel proposé en donne un exemple, et tout particulièrement avec le contrôle citoyen des institutions est de ceux qui ont mandat de les servir.

Il faut par ailleurs se garder d’une certaine cécité dans l’appréhension de la crise que traversent notre démocratie et nos institutions et ne pas perdre de vue les nouvelles formes de revendications démocratiques qui se font jour partout dans le monde. Qu’il s’agisse des Indignados en Espagne, du mouvement Occupy ou des manifestations citoyennes qui se développent dans notre pays contre certains projets d’aménagement, ces phénomènes, qui se situent hors du champ de la démocratie représentative traditionnelle, n’en relèvent pas moins, incontestablement, d’une pratique renouvelée de la démocratie, assise sur de nouvelles formes de mobilisation, de revendication et de production de la parole collective. Ces phénomènes méritent d’autant plus notre attention qu’ils surgissent précisément dans les sphères les plus déclassées de la société et s’opposent à une forme de démocratie plus lointaine qui serait, pour formuler les choses de manière abrupte, l’apanage des classes supérieures ou d’une élite parisienne.
Les choses sont enfin dites, mais il n'est pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir! Tâchez, Monsieur, de les convaincre.

Dans ces conditions, il est nécessaire que nos institutions s’interrogent sur leur capacité non à phagocyter ces formes nouvelles de démocratie – ce qui serait précisément les trahir –, mais à les intégrer ou, à tout le moins, à tirer bénéfice de la manière dont la parole collective se forme et s’incarne à travers elles. Cela implique qu’elles soient, d’une part, plus inclusives et, d’autre part, pour user d’un anglicisme, plus « responsive », c’est-à-dire plus réactives aux mouvements de la population et des citoyens.

Des institutions plus inclusives supposent tout d’abord d’améliorer la capacité de représentation descriptive de la population : nos élites, nos élus ne sont en effet pas représentatifs de celle-ci au sens où, alors qu’ils sont censés parler en son nom, ils ne lui ressemblent guère. Je n’aurai guère ici les préventions des orateurs précédents à l’endroit de la question des quotas, qui mérite d’être posée, d’un point de vue social, ethnique, religieux mais également en termes de genre et, plus globalement, dans une perspective englobant la pluralité des vécus sociaux. Qu’on y soit favorable ou non, s’interroger sur les quotas procède d’un souci de garantir l’égalité – valeur fondamentale à laquelle il a d’emblée été fait référence dans nos discussions ; plus égoïstement, cela participe également de la volonté d’assurer la qualité épistémique de la décision. En effet, les études sociologiques qui nourrissent la théorie contemporaine de la décision ont montré que plus grande était la diversité de profils des personnes associées à la décision, plus celle-ci était éclairée et, in fine, mise en pratique de manière conforme à l’intention originelle, donc avec succès et efficacité.

Il importe également d’améliorer la représentation des différentes forces politiques et d’envisager, dans cette optique, l’introduction dans les scrutins d’une dose de proportionnelle. Sans doute y a-t-il là un risque d’instabilité pour nos institutions, mais je ne pense pas que ces dernières doivent être fossilisées. L’institutionnalisation de certaines procédures, par leur inscription, par exemple, dans la Constitution, ne doit en aucun cas être une manière de soustraire ces procédures à la discussion, en en faisant des présupposés que l’on s’interdirait de remettre en cause. Le choix d’un mode de décision, du bicaméralisme, de l’élection du Président de la République au suffrage universel, direct ou indirect, doivent au contraire trouver toute leur place dans le débat politique et, partant, dans le débat législatif.

Il faut enfin, pour accentuer le caractère inclusif des institutions et faire en sorte qu’elles reflètent davantage la pluralité des volontés populaires, renforcer la présence politique du peuple en leur sein. Au-delà du référendum, cela passe par le développement de la participation citoyenne, grâce notamment à tous les outils que met à notre disposition la technologie moderne : dépôt d’amendements par voie électronique, soumission de projets de loi à des jurys citoyens, consultations populaires et enquêtes préalables très en amont amélioreraient en aval la qualité de la décision et faciliteraient sa mise en œuvre. Dans cette optique et afin de rendre manifeste cette capacité inclusive des institutions contemporaines, pourquoi ne pas imaginer, à l’instar de ce que propose le constitutionnalisme chinois, d’inscrire dans la Constitution cette exigence d’un pouvoir citoyen, ce dernier étant entendu, par exemple, comme un droit d’initiative législative ou de révocation des élus, et assorti, naturellement, de toutes les conditions visant à empêcher les abus ? Cette forme d’intervention directe du peuple comporte certes des risques, mais s’inscrit dans une démarche centrée autour de l’exercice responsable de la liberté citoyenne.
C'est un bel espoir, mais c'est malheureusement ce que les dernières évolutions institutionnelles et constitutionnelles continuent à interdire de fait (voir plus haut l'exemple du nouvel article 11). Ne négligez pas, Monsieur, la capacité de résistance et d'autoprotection dont les partis politiques sont capables, ils l'ont déjà montré à maintes reprises, y compris par des manœuvres machiavéliques.

J’en terminerai en évoquant l’idée d’un pouvoir déontologique, qui rejoint la sixième des vertus républicaines énoncées par Michel Winock. Au stade où en est notre démocratie et dans le contexte de crise actuel, peut-être serait-il bienvenu en effet d’inscrire dans la Constitution, comme une exigence fondamentale, le principe d’une déontologie de la chose publique, qui aille bien au-delà de la simple transparence.

M. Ferdinand Mélin-Soucramanien. Rompant avec la tonalité générale de nos débats, je voudrais ici, sans sous-estimer la crise économique et sociale que traverse notre pays, vous inviter à une forme de prudence dans la manière d’aborder nos institutions. Plus que la crise de confiance des citoyens envers leurs institutions, ce qui me frappe en effet, c’est le pessimisme dont font preuve aujourd’hui ceux qui, parmi nous, occupent des responsabilités politiques quant à l’efficacité de leur action. Or une République qui doute d’elle-même ne peut inspirer confiance aux citoyens, et c’est la raison pour laquelle j’aimerais vous retenir de brûler d’emblée notre Constitution. Gardons en effet à l’esprit que la Constitution de la Ve République est à ce jour, dans notre histoire, la seconde en termes de longévité. Plastique, hermaphrodite, elle nous a permis de changer, si j’ose dire, de sexe plusieurs fois. Autant je suis peu attaché à la lecture bonapartiste qui en fut faite après 1962 et à certaines périodes plus récentes, autant je souhaite mettre l’accent sur le fait qu’il s’agit d’un texte qui rappelle ce que sont les valeurs de la République, notamment en faisant référence aux textes antérieurs que sont la Déclaration des droits de l’homme de 1789, qui fonde une idéologie libérale et individualiste, et le Préambule de la Constitution de 1946, dans laquelle prédomine une vision sociale de la démocratie davantage empreinte d’idéologie démocrate-chrétienne.

Je veux également insister, d’une part, sur l’article 89, qui proclame en son dernier alinéa que « la forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l’objet d’une révision », et, d’autre part, sur l’article 1er, qui énumère les cinq caractères définissant au yeux du juriste positiviste que je suis la « carte d’identité » de notre République : indivisible – ce qui ne s’entend pas uniquement de notre territoire mais renvoie également à l’unité de la Nation ; laïque – et je rejoins ici Alain-Gérard Slama sur la conception française de la laïcité ; démocratique ; sociale – quand bien même il n’est tiré en droit positif aucune conséquence de cette affirmation, alors que la notion d’État social inscrite dans la Loi fondamentale allemande a des incidences concrètes sur la jurisprudence et les politiques publiques ; la République, enfin, assure l’égalité de tous devant la loi, sans discrimination.

Ce sont là, selon moi, cinq caractères qui correspondent à notre conception de la République et renvoient à des valeurs opérantes, dont je ne trouve pas qu’elles aient vieilli. Cela ne signifie pas qu’il ne faille pas, pour certaines d’entre elles, les fortifier, et je rejoins ici, avec quelques nuances, les positions de Guillaume Tusseau sur l’égalité et la discrimination positive. Je soutiens notamment toute action susceptible de renforcer l’égalité territoriale de la République, bien plus pertinente à mon sens que des formes de discrimination positive relevant d’une logique de quotas organisée selon des critères aussi suspects que l’ethnie – mais c’est là une position personnelle.

Quoi qu’il en soit, je ne partage pas le constat d’impuissance des responsables politiques sur lequel se sont ouverts nos échanges d’aujourd’hui. Certes, la mécanique peu apparaître grippée ici ou là, et l’on pourrait rêver de politiques publiques plus audacieuses mais, pour reprendre l’un des items que nous a proposés Michel Winock en introduction, la laïcité me paraît un bon exemple de domaine où le législateur conserve des marges de manœuvre. Quoi qu’on pense du contexte politique dans lequel elles s’inscrivaient et des motivations de leurs promoteurs, la loi de 2004 sur les signes religieux dans les écoles publiques et celle de 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public sont appliquées et produisent leurs effets, tandis que se poursuivent les réflexions sur les actions envisagées par l’actuel Premier ministre alors qu’il était ministre de l’intérieur et sur les préconisations du Haut Conseil à l’intégration. J’y vois le signe qu’il existe dans l’espace public de la place pour une action politique visant à promouvoir une conception française de la laïcité qui n’a guère d’équivalent dans le monde, à l’exception du modèle proposé en Turquie à une certaine époque.

Pas plus que l’action politique n’a été défaillante en matière de laïcité, elle ne l’a été en ce qui concerne l’intégrité et la vertu. La France s’est, en la matière, dotée d’une trame juridique si fine que cette finesse même est remise en question et que l’on songe aujourd’hui à retoucher nos lois sur la transparence. Je rappelle que la fonction de déontologue de l’Assemblée nationale, que j’ai l’honneur d’assumer aujourd’hui, a été créée en 2011 sous la présidence de Bernard Accoyer et qu’elle vient aujourd’hui d’être renforcée par son inscription dans le règlement de l’Assemblée. Par ailleurs, la création de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, instaurée par les lois du 11 octobre 2013, produit également ses effets en dépit de quelques affaires intempestives. C’est donc bien le signe que l’intégrité et la vertu se fortifient dans notre vie publique.

Je ne m’étendrai pas sur les autres valeurs qui caractérisent la République mais, même susceptibles d’être enrichies, elles sont aisément identifiables, en tout cas du point de vue du juriste.

Pour ce qui relève du « meccano institutionnel », des leviers existent, qui peuvent être actionnés et qui feront l’objet de nos discussions ultérieures. J’en reviens néanmoins à mon appel à la prudence, conscient que nous avons, par tradition, tendance à réagir avec trop de vigueur aux événements. Notre Constitution a bien des défauts, mais elle a aussi quelques vertus qu’il ne faut pas négliger. Elle nous a offert une stabilité gouvernementale fort précieuse et s’est révélée, quand cela fut nécessaire, un solide rempart contre d’éventuelles dérives.

Ce n'est plus le cas, maintes démonstrations ont été présentées, y compris au sein de ce groupe, et le conservatisme juridique ne permet de parler des vertus de l'actuelle Constitution qu'au passé, particulièrement en ce qui concerne la "stabilité".

J’ajoute enfin que les garanties solides dont la République peut se prévaloir ne sont pas forcément celles que l’on identifie toujours comme étant les plus importantes : ainsi, sous la Ve République, sont-ce les institutions à proprement parler ou le mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours – lequel relève de la loi – qui ont le mieux garanti notre stabilité gouvernementale ?

Vous l’aurez compris, mon propos se veut empreint d’optimisme et de modération, en écho au Préambule de la Déclaration des droits de l’homme de 1789, rappelant qu’il s’agit à tout instant d’œuvrer au maintien de la Constitution et au bonheur de tous.

Mme Christine Lazerges. La question primordiale que m’inspirent les principes et valeurs que nous a énumérés Michel Winock dans son introduction est de savoir lesquels d’entre eux doivent être revisités dans la perspective de les pérenniser comme des piliers de notre République. Je pense, en particulier, à la laïcité, qui exige quelques ajustements en raison des bouleversements que connaît la société française.

Cependant, plus que les valeurs et principes, ce sont les « monstres » qui m’intéressent. On a évoqué la crise de la représentation et l’antiparlementarisme, mais assez peu la xénophobie ou le populisme, et encore moins le délitement du sentiment d’appartenance, qui est pourtant à mes yeux l’indicateur le plus grave de l’éclatement dont souffre notre société, d’abord au plan générationnel : un adolescent considère souvent aujourd’hui qu’il n’y a plus de dialogue possible avec les responsables politiques, lesquels s’intéressent fort peu à cette catégorie, si ce n’est pour la stigmatiser, dénonçant les incivilités dont elle serait coupable et sa propension, sinon à la délinquance, du moins à troubler l’ordre public.

Ce délitement du sentiment d’appartenance doit interpeller les partis politiques comme les associations. Si les partis politiques perdent pied, c’est sans doute que, à l’image de l’Assemblée nationale, ils ne sont nullement représentatifs de la société française. Les associations, en revanche, sont une chance extraordinaire qui nous est offerte de retisser du lien social. En tant que présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, je peux ainsi témoigner, notamment en matière de lutte contre le racisme et la traite, de l’aide précieuse que nous apporte le monde associatif, qui se développe pourtant dans des conditions matérielles calamiteuses.

Puisque nous sommes là pour réfléchir sur les institutions, j’aurai une seule question : que peut-on demander aux institutions pour retisser le lien d’appartenance ? La loi – constitutionnelle ou non – ne peut pas tout produire et elle ne produit pas toujours ce qu’on attend qu’elle produise. Il est donc urgent que nous en mesurions les limites, si nous voulons entamer une réflexion féconde sur la manière de lutter, par la loi, contre les « monstres ».
Le point clé, Madame, sera la participation effective des citoyens au fonctionnement de la Nation, et non cette actuelle délégation de pouvoir qui échappe à tout contrôle ou presque entre deux périodes d'élections législatives et présidentielles, contrôle tout aussi artificiel car les candidats, éternels oligarques, ce qui est certes un pléonasme, sont imposés par des partis politiques auxquels une très large majorité de la population n'a, nous l'avons vu, plus confiance.

Mme Cécile Duflot. Le fait que plus d’un quart des électeurs de moins de vingt-cinq ans n’aient pas voté à la dernière élection présidentielle doit nous conduire à un constat lucide : il y a bien un défaut d’adhésion au système. Je reprendrai donc à mon compte la proposition de Michaël Foessel : si l’on ne veut plus jouer, changeons les règles du jeu, et tâchons pour cela de déterminer quelles sont les règles qui redonneront aux citoyens l’envie de jouer.

Un mot n’a pas encore été prononcé, alors qu’il est, dans notre tradition, intimement lié à celui de République, telle qu’elle s’est fortifiée, incarnée par un État fort, rayonnant – glorieusement – sur un territoire englobant les outre-mer : c’est celui de jacobinisme. Or il est nécessaire de réinventer aujourd’hui le rapport de la République à son territoire et aux citoyens, car la Constitution a beau consacrer le principe de décentralisation du pouvoir, la présence de l’État reste partout prégnante, doublée d’une imbrication par trop complexe des responsabilités entre les différents niveaux de collectivités locales. En vérité, notre organisation relève moins de la décentralisation que de la translation d’un modèle jacobin reproduit à tous les échelons territoriaux inférieurs : les régions ont ainsi toute l’apparence de micro-républiques, sur lesquelles règnent des présidents de conseil régional à qui notre organisation constitutionnelle confère d’importants pouvoirs exécutifs et législatifs, sans que par ailleurs ces régions dialoguent ou collaborent les unes avec les autres ; dès lors, nous ne sommes plus dans une République décentralisée mais dans une République morcelée, et je crains que la réforme territoriale en cours ne fasse qu’aggraver les choses.

Face à cette conception jacobine de l’exercice du pouvoir, les notions de république inclusive ou « responsive » proposées par Guillaume Tusseau me semblent tout à fait pertinentes, et je voudrais vous proposer ici deux exemples nous invitant à réfléchir sur les nouvelles formes de partage des décisions et des responsabilités.

Après l’élection de Nicolas Sarkozy, a été créé un ministère du Grand Paris, puis votée une loi posant les bases d’un grand réseau de transport public à l’échelle de la région Île-de-France. Le projet, pourtant, s’est heurté à la fronde des élus locaux – municipaux, départementaux ou régionaux –, sans doute mieux habillés et moins adeptes du camping que ceux que l’on appelle communément les « zadistes », mais tout aussi virulents dans leur opposition. Pour sauver les financements, il a donc fallu réunir tout le monde autour d’une table, dans le cadre très officiel de la Commission nationale du débat public, ce qui a permis de faire évoluer le projet vers une forme plus consensuelle – et qui avait gagné en légitimité en impliquant davantage l’ensemble des acteurs.

En 2012, lors du changement de majorité, le projet s’est de nouveau trouvé compromis, non seulement du fait de l’alternance politique mais aussi à cause de la volonté de Bercy de bloquer les choses pour des raisons budgétaires. Le principe de la ZAD s’est alors inversé, et ceux-là mêmes qui étaient les plus opposés au plan initial se sont révélés les premiers défenseurs du projet tel qu’il avait évolué.

Aujourd’hui, les choses sont rentrées dans l’ordre, mais ces deux épisodes montrent qu’une décision qui associe l’ensemble des responsables et s’appuie non seulement sur les procédures de vote démocratique, au sein des enceintes officielles, mais également sur un mode de concertation plus souple, en retire toujours davantage de force et de légitimité.

Cela m’amène aux nouveaux modes de communication et d’information. La question que nous pose Twitter est moins celle des cent quarante caractères que celle du raccourcissement extrême qui s’y joue entre le responsable politique et le citoyen. Autrefois, il était impensable de s’adresser directement au monarque ; quant au député, il fallait prendre rendez-vous, et encore ne fallait-il pas être identifié comme un fâcheux. Aujourd’hui, tous les filtres ont disparu, l’interpellation est publique et immédiate. Inversement, Twitter permet au responsable politique de contourner les médias traditionnels et de s’exprimer directement, en totale liberté, sans faire de déclaration officielle à l’AFP, ce qui n’est pas non plus sans conséquence sur la prise de décision.

Ce raccourcissement du temps démocratique heurte de plein fouet notre tradition républicaine, fondée sur un exercice des responsabilités hiérarchisé selon une mise en scène jusqu’à présent bien définie. D’où les récents débats sur la stature du Président de la République et la désacralisation de la fonction. Nous avons voulu fortifier la République en la parant des attributs du pouvoir monarchique et en assimilant le Président à un empereur à durée déterminée. Si l’on peut tolérer, d’un point de vue démocratique, cette forme d’exercice du pouvoir précisément parce qu’elle est temporaire, les enjeux, en termes d’autorité, n’en demeurent pas moins problématiques au regard des attentes de la société contemporaine. Il nous appartient donc de réinventer la République, une république, comme le suggérait Guillaume Tusseau, plus inclusive, dans laquelle le peuple ait davantage part à la décision : une décision prise par quarante personnes au sein du conseil général du Tarn est certes parfaitement légitime selon les critères de la démocratie représentative ; il n’empêche que les blocages auxquels elle aboutit la rendent inopérante, ce qui prouve que la méthode est mauvaise et qu’il faut changer les règles du jeu.

Denis Baranger a évoqué la culture de l’unanimité. J’ai pour ma part le sentiment que cette apparence d’unanimité tenait auparavant davantage au fait que la contestation disposait pour s’exprimer de beaucoup moins d’espace, de capacités d’analyse moindres et de contre-pouvoirs moins puissants. Aujourd’hui, pour toutes les raisons que nous avons déjà évoquées, prétendre à l’unanimité est devenu plus difficile. J’en veux pour preuve la multiplicité des « couacs » ministériels : autrefois, les dissensions au sein des gouvernements étaient sans doute aussi fortes et aussi nombreuses, mais elles étaient cachées.

Tout est donc affaire de perception. Cela doit nous inviter à repenser nos modes de décision comme nos modes de représentation. À ce titre, et bien que la parité reste encore à accomplir, il ne fait nul doute que l’entrée des femmes dans la vie politique a perturbé la République en en transformant les règles et les habitudes. C’est évidemment un élément à prendre en compte dans notre réflexion sur la consolidation de nos institutions.
Parler de concertation, de participation citoyenne, est bel et bon, à quand la mise en pratique? Elle est ici déjà absente dans le travaux de ce groupe, qui, parlant de l'avenir des institutions; qui concerne tous les français sans exception, devrait avant tout appeler les citoyens à se prononcer, avant que d'imaginer ce qu'ils veulent!

Mme Mireille Imbert-Quaretta. Il y a, dans les hypothèses de travail qui nous ont été proposées, un paradoxe assez déprimant qui consiste à faire le constat d’une crise à dimension multiple – crise sociale, crise de l’école, crise territoriale – contre laquelle le seul remède que nous pourrions nous autoriser serait celui d’une réforme limitée à nos seules institutions, au sens strict du terme, alors même que ces institutions sont devenues parfaitement étrangères à nos concitoyens.
Non Madame, ce sont les institutions, où plutôt ceux qui ont pour mandats de les servir, qui se sont rendus étrangers aux citoyens, et les oubliant, et souvent avec un certain mépris.

J’y opposerai, pour ma part, une forme d’optimisme, confortée par certaines interventions de ce matin – celle de Bernard Thibault notamment, qui nous a proposé une approche plus élargie des institutions – et qui s’appuie surtout sur la conviction que nous disposons d’un véritable atout, celui d’un État fort. Sans État, en effet, il n’y a pas de droit, et c’est l’existence même de l’État qui garantit les droits des citoyens.

Cela étant, sans doute avons-nous à redéfinir le champ du politique, puisque le constat a été posé que les responsables politiques avaient perdu prise sur le réel. Il me semble qu’il leur incombe avant tout, pour remédier à cette situation, de prendre en charge l’explication du réel, de rendre simple – et non simpliste – la complexité du monde. Si l’on veut que les citoyens se rapprochent des institutions et participent à l’édification de leur propre avenir, ils doivent être des citoyens éclairés.

C’est la responsabilité des politiques et cela nécessite de leur part de la vertu, au sens non seulement de probité, mais également de tempérance et de frugalité. En d’autres termes, les interventions des politiques doivent être rares et pertinentes. Alain-Gérard Slama a raison de souligner que la modification incessante des règles, au motif qu’elles ne produisent pas d’emblée les résultats escomptés, aboutit à brouiller la perception qu’ont les citoyens de réformes mises en œuvre sans évaluation préalable.

La tempérance et la frugalité des politiques doit également s’appliquer à leur parole. On n’est jamais obligé de twitter ni de se rendre sur les plateaux de BFM TV ou d’i-Télé. La tâche est certes rendue difficile par l’évolution des médias, mais, à trop multiplier leurs interventions publiques, les responsables politiques finissent par vendre du pâté de cheval et d’alouette : l’information n’est plus hiérarchisée, seul prime le « buzz » ; or le « buzz » n’est ni un projet ni une promesse de changement.

Pour atteindre ce louable objectif, il sera indispensable que les futures institutions en organisent le contrôle par la loi fondamentale, avec les sanctions effectives sans lesquelles, on le sait, la loi est privée de sa force. Objectif inatteignable si seuls les élus participent à son écriture, évidemment!

Mme Virginie Tournay. Merci, monsieur le président Winock, pour votre propos introductif éclairant.

Je commencerai à mon tour par quelques remarques générales élaborées à partir de la note de synthèse préparatoire.

J’aimerais tout d’abord revenir sur le titre de cette séance, et plus particulièrement sur l’usage du terme de « crise » qui, me semble-t-il, mérite une réflexion en tant que tel. Votre note m’a conduite à me replonger dans les travaux de Myriam Revault d’Allonnes, qui part du constat que nous employons ce mot de crise pour décrire des réalités sectorielles souvent très différentes : on parle de crise financière, de crise des valeurs, de crise de l’autorité, de crise de l’éducation, de crise territoriale, etc. Le problème est que cet usage généralisé du terme comme un « singulier collectif » peut avoir pour effet de déborder la signification qu’il possède dans tel ou tel domaine.

Étymologiquement, le mot « crise » correspond à un moment-clé, à un moment charnière paroxystique qui appelle un dénouement, une sortie de crise, une décision. Mais aujourd’hui, la crise ne désigne plus un moment : elle renvoie, de manière presque oxymorique, à un état permanent dont il n’est pas possible de sortir ; elle n’est pas perçue comme liée au tournant d’une décision, mais comme intervenant dans un univers où règne l’indécidable.

Si l’usage du terme en tant que tel n’est pas illégitime, il se caractérise par une inversion dans la façon d’expliquer les choses. Ainsi, on en vient parfois à dire que les conflits, le chômage, c’est la faute à la crise, alors qu’il faudrait plutôt expliquer les figures que recouvre cette dénomination générale de crise. En d’autres termes, on observe aujourd’hui une manière d’utiliser le mot « crise » qui fait de celle-ci ce qui explique et non ce qui est à expliquer.

Ma deuxième remarque est la suivante : l’idée d’instabilité, d’incertitude à laquelle l’homme moderne est confronté, est structurelle. Elle est à mon sens entièrement indissociable de la rupture avec la tradition, telle que la revendique la modernité, en lien avec la philosophie des Lumières et la Révolution française. En ce sens, dans la mesure où notre société est animée de la volonté de s’auto-instituer par le consentement des individus, qu’elle ne veut être tributaire ni d’une ultime vérité divine ni des promesses d’un régime autoritaire, nous devons accepter que la démocratie s’accompagne nécessairement d’incertitude. Mais il ne faut pas y voir quelque chose de négatif, plutôt reconnaître que nous sommes plongés dans une espèce de dynamique permanente qui ne peut jamais arriver à son terme et qui suppose un « vivre ensemble » voué à l’incertitude et au conflit. Autrement dit, le fait que nous soyons dans un temps sans promesses est consubstantiel à la réalité même du fonctionnement démocratique et de son inachèvement constitutif.

À la différence de la notion de crise, celle de démocratie peut s’entendre comme un singulier collectif. De ce point de vue, il faudrait revenir sur un usage des termes que nous avons tendance à banaliser alors qu’il a quelque chose de paradoxal. Je songe au fait d’appliquer le mot de démocratie à des secteurs d’activité. Plutôt que d’invoquer ainsi la « démocratie scientifique » ou la « démocratie environnementale », ce qui me semble relever d’un abus de langage, nous devrions parler d’une « politique scientifique » ou d’une « politique environnementale » qui, dans certains contextes, présuppose des formes de partenariat ou de collaboration avec différents acteurs de la société civile.

À l’instabilité constitutive que j’ai mentionnée s’ajoute la fragilisation de deux piliers de la modernité. D’abord, la mise à mal de l’idée d’État-nation, marquée par des contradictions continues entre les principes républicains nationaux et la volonté de construire une entité supranationale européenne. Ensuite, l’effondrement du discours progressiste et des valeurs politiques des Lumières. Comme le dit Étienne Klein, on ne parle plus aujourd’hui de progrès, mais d’innovation, en partant du principe que l’État doit nécessairement anticiper tous les développements et prévoir tous les risques associés à l’innovation.

Le fait de banaliser le terme de « crise » peut avoir un double effet. Premièrement, nous empêcher de penser la complexité des problèmes secteur par secteur. Deuxièmement, faire de la crise un concept surplombant peut nous amener à nous exonérer de nos responsabilités quant aux injustices et aux inégalités auxquelles nous sommes quotidiennement confrontés.

J’en viens à la République : il me semble que nous vivons une crise de la République au sens de la politie, c’est-à-dire entendue comme un système politique, comme une administration politique. Plus particulièrement, la conception caricaturale d’un État républicain omniscient et surplombant peut entraîner des effets pervers. On le constate dans trois domaines : culturel, éducatif et territorial. Il y a un équilibre à trouver entre l’État instituteur du social, garant de notre horizon d’attente, et la réflexivité, l’auto-institution de la société.

En matière d’éducation, tout d’abord, on assiste à une dévalorisation de l’autorité culturelle détenue par la science et les arts. À l’instar des Américains, les Français ne nourrissent pas de défiance vis-à-vis de la science : ils se défient de ceux qui mettent en œuvre les politiques scientifiques ou les résultats de la science. C’est donc avec la politique qu’ils ont un problème, non avec les scientifiques eux-mêmes – ce qui ne vaut toutefois pas adhésion à un système de valorisation de la connaissance. Ainsi, la figure d’autorité culturelle que représentait Einstein ne pourrait pas exister aujourd’hui. Bref, il y a un désajustement entre l’image que la société a de la science et son autorité culturelle. Or ce désajustement est en partie lié au fait que l’on demande à l’État, comme à différents collectifs, d’administrer l’incertitude et de conserver un horizon de promesses alors que celui-ci ne peut plus être garanti.

Comment fortifier l’éducation civique et morale à l’école ? Ce problème extrêmement complexe doit être abordé du point de vue non seulement des publics, mais aussi des enseignants. Ceux-ci ont eux-mêmes du mal à faire aimer la République. Ce ne sont plus les « hussards noirs » d’autrefois, mais des personnes qui doutent, voire qui sont elles-mêmes confrontées à la perte des valeurs républicaines. C’est donc le contenu même de leur formation qu’il faut interroger, et ce qu’ils ont envie de transmettre dans la réalité actuelle.

Ensuite, les citoyens aspirent à la démocratie, mais pas à la République. Une bonne éducation civique suppose donc que l’on explique ce qu’est la démocratie, non pas uniquement comme organisation juridico-politique, mais en tant que « vivre ensemble », un « vivre ensemble » qui suppose nécessairement du conflit, des rapports de forces, où les droits se conquièrent au fur et à mesure et doivent toujours être redéfinis au fil du temps. Comme le dit Myriam Revault d’Allonnes, la démocratie est une expérience nécessairement déceptive à certains égards. Dans ce cadre, la responsabilité citoyenne ne consiste pas à être satisfait ou comblé par ce que l’on nous propose : c’est une modalité d’existence au sein de laquelle nous détenons une capacité d’action et une responsabilité.

Qu’est-ce que c’est que la transmission des valeurs, et où s’opère-t-elle ? Je suis personnellement assez frappée par la dévalorisation de l’enseignement technique et pratique. Un exemple très simple est fourni par le secourisme. Si quelqu’un tombe dans la rue, en ce qui me concerne je ne sais pas comment le secourir. L’acquisition de la capacité à porter secours à autrui a été assez tardivement et très timidement introduite dans les établissements scolaires, ce qui est difficilement compréhensible. Il est indispensable d’apprendre à faire face à des situations concrètes pour développer le sens civique.

En outre, des pans entiers de la jeunesse se socialisent en dehors des valeurs portées par l’école et plus généralement par les institutions publiques. Je pense à l’importance des industries culturelles, des médias, qui peut compliquer les rapports qu’entretient la jeunesse avec les valeurs de l’espace public. Nous sommes dans un monde où l’on ne peut pas parier sur l’automaticité des règles d’apprentissage des valeurs civiques.

Au niveau du territoire et eu égard au sentiment d’inclusion, mieux vaut, me semble-t-il, adopter une approche pragmatiste, fondée sur la coopération entre les territoires, sans trop se préoccuper des structures institutionnelles, au lieu d’une conception essentialiste républicaine qui commence par tenter de définir ce qu’est un territoire pour le faire ensuite travailler. Je suis plutôt favorable à un système de coopérations, à une politique de conventions que l’empreinte institutionnelle viendrait parachever : je ne pense pas que ce soit le système institutionnel qui définit le sésame de la coopération et de la solidarité. Il s’agit d’un processus que l’on construit ensemble et qui suppose un certain nombre de règles.

Un mot sur la fracture territoriale et la manière dont les formes de spatialisation de la société française sont source de division. À cet égard, il faudrait s'intéresser sans tarder au périurbain et à la spatialisation des villes, afin d’éviter un échec comparable à celui des quartiers de résidence créés par la puissance publique dans les années cinquante et soixante et où se sont entassés des pauvres, des immigrés, des personnes issues de l’exode rural : il en est résulté des non-villes, des systèmes urbains incomplets. J’ai le sentiment que l’on fait aujourd’hui un peu la même chose avec la partie inférieure des classes moyennes et la partie supérieure des classes modestes. Ce qui me conduit à penser que la structuration sociale spatialisée est une erreur fondamentale. Si celle-ci n’émane évidemment pas de l’État, celui-ci a du moins laissé faire, et peut-être renoncé à animer le débat.

J’aimerais m’inspirer pour conclure des travaux de Benedict Anderson sur l’imaginaire national. Pour cet auteur, la construction de l’idée de nation et de l’imaginaire national repose sur trois éléments : la cartographie, le recensement et le musée. Peut-être est-ce en ces termes que l’on peut reformuler comme suit les enjeux du débat. S’agissant tout d’abord de la cartographie : qu’est-ce qui définit aujourd’hui l’unité territoriale, en lien avec l’unité nationale et avec la construction européenne ? En ce qui concerne, ensuite, le recensement : qui est l’autre, qu’attendons-nous de lui comme membre de notre République, de notre État-nation ? Pouvons-nous vivre dans un système à la Habermas, ou à la Charles Taylor, de loyauté constitutionnelle intégrée à une société interculturelle et permettant d’éviter à la fois les replis identitaires et les dérives du multiculturalisme ? Enfin, qu’est-ce qui fait symbole national dans nos musées ? Si l’on part du principe que l’État n’est plus le garant de l’orthodoxie culturelle, comment voulons-nous, à travers nos collections, nos musées, nos institutions de mémoire, définir notre passé, notre rapport à l’histoire, et nous définir nous-mêmes ?

M. Bernard Accoyer. La note qui nous a été remise fournit un bon point de départ à la réflexion. Je trouve nos échanges passionnants et j’ai été emballé par votre exposé, monsieur Winock.

La question qui nous est posée – la crise de la République dépend-elle de nos institutions ? – suppose d’abord de s’interroger sur les raisons de la crise. Celle-ci accompagne l’appauvrissement de notre pays et le creusement des inégalités, que nous sommes unanimes à vouloir combattre.

Pour répondre à cette question, il convient d’abord d’examiner les mutations auxquelles la France est confrontée depuis plusieurs décennies. Géopolitiques, économiques, technologiques, sociologiques et religieuses, elles trouvent probablement leur point de départ dans les chocs pétroliers, que vont prolonger les défis fondamentaux de la ressource en eau, du climat, de l’énergie et de l'approvisionnement en matières premières. Parmi ces mutations, la construction européenne, avec ses effets positifs mais aussi ses contraintes, parfois fort mal vécues par nos compatriotes ; la fin du modèle communiste d’État et, en contrepoint, une économie de marché devenue hégémonique ; la mondialisation et les bouleversements géopolitiques ; la place qu’occupent désormais les puissances émergentes, véritables puissances-continents ; les fabuleux progrès techniques et technologiques, face auxquels nous sommes restés plutôt passifs, qu’il s’agisse des transports et, surtout, des nouvelles technologies de l’information et de la communication ou de la génomique et des biomédicaments. S’y sont ajoutées d’importantes migrations, qui se distinguent notablement des vagues précédentes en ce qu’elles proviennent des pays du Sud, dont la culture et la religion diffèrent des nôtres.

Comment les gouvernements ont-ils tenu compte de ces défis ? Il me semble que nous devons nous poser ces questions avant de prétendre changer la règle du jeu. Commençons par ce qui nous rassemble : le pacte social républicain. Notre solidarité nationale repose sur des fondements démographiques, médico-sociaux, d’espérance de vie et de plein emploi qui datent de sept décennies. Tous ces paramètres ont entièrement changé, ce qui entraîne deux conséquences dont l’actualité témoigne de manière criante. D’abord, la perte de compétitivité de notre économie, c’est-à-dire la montée du chômage puisque c’est essentiellement la production, donc l’emploi, qui finance notre pacte social : nous avons été incapables d’imaginer et de mettre en œuvre autre chose. Ensuite, la menace terriblement préoccupante qui pèse sur l’avenir même de notre protection sociale du fait de l’allongement de la vie, d’un progrès médical de plus en plus coûteux et du chômage de masse.

Nous n’avons pas voulu regarder ces réalités en face ; nous n’avons pas eu le courage de réformer suffisamment ; nous avons, pour des raisons idéologiques, refusé d’instaurer une part significative de système par capitalisation, privant ainsi nos compatriotes d’un enrichissement collectif au service de nos régimes de retraite, ce qu’aucun autre pays n’a fait.

S’agissant de ce volet essentiel du pacte républicain, ce ne sont pas les institutions qui ont été défaillantes – elles ont d’ailleurs permis quelques réformes, dont celle de 1996 –, mais l’usage qu’en ont fait depuis quarante ans les gouvernants et leurs majorités, auxquels le système institutionnel de la Ve République donnait pourtant le pouvoir de réformer. La responsabilité est donc ici politique, et non institutionnelle.
Certes, mais en quoi les citoyens ont-il pu participer pour éviter ces longues erreurs de leurs représentants, plus préoccupés de se maintenir au pouvoir que de travailler à préserver leur avenir? Ce fut est c'est encore l'oubli du fondement de la démocratie, l'oubli de la souveraineté du peuple combiné au carriérisme politique, qui a conduit à cet effondrement de la confiance institutionnelle, Ils ont pourtant été et restent les premiers concernés!

De même, qu’avons-nous fait pour relever les défis nouveaux de manière à sauvegarder notre système économique et social ? Nous en sommes convenus, l’appauvrissement de la nation est le principal problème auquel nous sommes confrontés. Les institutions en sont-elles responsables, ainsi que de la crise sociale que nous traversons ? Je ne le crois pas. Michel Winock a magnifiquement développé les valeurs et les principes républicains dont la mise à mal est à l’origine de la crise. Le problème essentiel est à mon sens la perte de foi dans le progrès scientifique et social. Les deux sont totalement indissociables : le progrès scientifique, c’est le développement technique et industriel, l’enrichissement collectif par la production de biens et de services, la croissance, la création de richesses, donc la possibilité de partager celles-ci, au nom de la solidarité nationale.

La place de la formation scientifique dans l’enseignement a régressé, de l’école à l’entreprise ; la formation initiale, professionnelle et continue a été malmenée et la crise de l’éducation nationale ne fait qu'aggraver le problème. Mais c’est aussi le cas de la place du travail tout au long de la vie, de sa reconnaissance, de sa rétribution, comme de celles de la production – depuis les travailleurs jusqu'aux investisseurs, familiaux ou non, sans parler du capitalisme social que nous n’avons pas su inventer alors qu’il fleurit dans tous les régimes de retraite des pays développés. S’y ajoute la rétraction de la foi dans le progrès, qui conduit aux idéologies du déclin, de la peur et de la décroissance, porteuses à mon sens de régression sociale.

Là encore, celle-ci ne vient pas des institutions mais de causes dont nous, politiques, sommes responsables : c'est le cas de la diminution de la place accordée à l’enseignement des sciences et de la culture scientifique ; c'est le cas aussi du moindre respect dont jouit la vérité scientifique à l’école, à l’université ou auprès de certains experts autoproclamés auxquels les plateaux de télévision et les médias en général donnent régulièrement la vedette, mais aussi, hélas, dans la haute administration et parmi nous, politiques. À la République des ingénieurs, qui prévalait au début de la Ve République, s’est substituée celle des énarques et des juristes. Il n’y a d’ailleurs aucun scientifique autour de cette table.

Mme Christine Lazerges. Mais si !

M. Bernard Accoyer. Il n’est donc pas étonnant que les idéologies de peur, irrationnelles, pèsent sur les décisions politiques et, ce faisant, compromettent le progrès social.

Parmi les nombreux autres éléments relevés par Michel Winock, la régression de la notion de solidarité me paraît également essentielle. Elle est née du monopole que détient aujourd’hui l’économie de marché et de l’évolution libérale des mœurs. L’excellent ouvrage de Dominique Schnapper L’Esprit démocratique des lois montre comment cette dernière évolution débouche sur un communautarisme opposé à l’esprit de la République et sur la défense d’intérêts particuliers contre l’intérêt général. Michel Winock a raison : l’économie de marché doit être régulée, ce que nous n’avons probablement pas assez fait, alternant stigmatisation du marché et acceptation des pires dérives spéculatives et des monopoles, dont celui de la grande distribution hégémonique et inhumaine qui nourrit l’obsession d’une consommation débridée.

Vous l’aurez compris, ma conviction est que les institutions ne sont pas le problème. Elles sont au contraire, avec l’État, l’un des deux éléments qui tiennent encore en France. C’est aux élus, aux hommes et aux femmes qui choisissent de se faire désigner par nos compatriotes pour prendre des décisions, qu'il appartient de réinventer un idéal puisque c'est de leur responsabilité que relève la perte de confiance. Changer les règles du jeu n’est pas la solution.

A ceci près, Monsieur, que ce devrait plutôt être aux citoyens de choisir les hommes et les femmes qui les représenteront, et non à eux de s'imposer par l'action tonitruante des partis politiques, qui mobilisent les médias et les financements, pour faire ensuite de la politique une carrière.

Avons-nous d’ailleurs été bien inspirés de modifier la Constitution pour voter des lois de décentralisation qui ont fait exploser la dépense de fonctionnement des collectivités sans apporter de véritable amélioration au niveau local, notamment en matière d’emploi ? Avons-nous été bien inspirés de voter la session unique parlementaire, à cause de laquelle nous passons un temps excessif à légiférer, de sorte qu’il y a maintenant 500 000 normes dans notre pays et que le code du travail compte 10 600 articles, contre 600 en 1970 ? Avons-nous été plus inspirés lorsque nous avons voté le quinquennat ? Je ne le crois pas. Lors de ces réformes, les études d’impact et l’évaluation ont fait cruellement défaut et cela aussi relève de notre responsabilité.

Il faut former les élus qui, au Parlement comme ailleurs, sont responsables de tout, parlent de tout, décident de tout, font la loi sur tout, sans connaître grand-chose à l’économie ni à bien d’autres domaines. Nous devons utiliser les nouvelles technologies de l’information et de la communication pour que les citoyens fassent directement part de leur opinion au pouvoir exécutif et au législateur, lequel pourra alors en tenir compte, fort de la légitimité qu’il tire de sa désignation démocratique. En revanche, je ne crois pas au changement pour le changement, ni au changement d’inspiration sondagière qui risquerait d’aggraver encore le mal.

Mme Marie-Anne Cohendet. Pour ma part, je ne trouve pas la note déprimante, mais plutôt lucide, et même optimiste puisqu'elle oublie la crise écologique alors que le réchauffement climatique n'a rien d'une vue de l'esprit.

Pour résoudre les problèmes qu'elle décrit, nous devrions, ainsi que l'a dit Michel Winock, en revenir aux valeurs fondamentales de la République – liberté, égalité, fraternité, laquelle suppose la solidarité –, ainsi qu'à la conception première de la démocratie comme l'a avancé mon collègue philosophe, notamment aux principes essentiels de la démocratie grecque qu'étaient l'isonomie et l'iségorie : l'égalité devant la loi, dans sa fabrication comme lors de sa réception – de son application –, et l'égalité dans l'expression, le droit égal à s'exprimer pour contribuer à l'élaboration de la loi, que l'on retrouve d'ailleurs dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

À n'en pas douter, les problèmes économiques, joints à d'autres aspects qui viennent d'être évoqués, contribuent à ce que l'on peut appeler sinon une crise, du moins un sentiment de mal-être et à l'impression qu'il est urgent de faire bouger les choses.

Faut-il en rester à une représentation unique de la volonté générale ou faire droit à d'autres formes de représentation ? Il me semble que l'on pourrait concilier les deux en conservant une Assemblée nationale qui serait la chambre de la volonté générale et en transformant profondément le Sénat pour y accueillir d'autres expressions. On conçoit parfaitement qu'une jeune femme d'origine immigrée vivant en banlieue ne se sente guère représentée par les institutions. Peut-être pourrait-on donc tenir compte dans la seconde chambre soit de quotas, soit de techniques de tirage au sort – pour revenir à la démocratie grecque – visant à permettre la représentation de toute la société et même la présence physique, pour contribuer à l'élaboration de la loi, de toutes ses composantes dont les ouvriers, les employés, les pauvres et jusqu'aux clochards. Cette chambre combinerait ainsi la représentation des collectivités locales, le tirage au sort et la représentation des associations dans tous les domaines – syndicales, de protection de l'environnement, de consommateurs, etc.
Enfin, merci Madame, nous y venons. Vous savez bien sûr qu'une réforme de cette nature avait été proposée en 1969 par le général de Gaulle, mais ce sont les élus qui sont parvenus à l'étouffer dans l’œuf en suscitant la peur du vide chez les citoyens, pour protéger leurs ambitions de pouvoir. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il conviendra pour y parvenir de s'assurer d'abord du soutien des citoyens en les invitant à participer à la réflexion.

En ce qui concerne l'éducation, la démocratie s'apprend à l'école, mais l'enseignement que nous recevons demeure essentiellement autoritaire. Dans les écoles nouvelles, on enseigne dès la maternelle la démocratie comme fabrication collective d'une décision. Cela me paraît essentiel pour créer la solidarité, par l'attention portée à autrui, au groupe, et la conscience du fait qu'une norme, en démocratie, résulte de la synthèse des volontés particulières pour former la volonté générale. Tout cela s'apprend à partir de l'âge de deux ans. Les jeunes enfants peuvent voter le règlement de l'école et apprennent aussi à cette occasion la réception de la norme : le fait qu'après l'avoir élaborée tous ensemble, on s'y soumet parce qu'elle émane de la volonté générale.

Tocqueville nous enseigne que la démocratie implique le respect non seulement de l'égalité, mais aussi de la liberté, ce qui suppose – je rejoins ici Guillaume Tusseau – de ne pas confier l'expression démocratique uniquement à une chambre purement jacobine, mais de l'étendre à d'autres formes de pouvoir, en particulier les associations et les collectivités locales.

Assurément, monsieur Accoyer, les institutions ne sont pas responsables de tout, mais elles détiennent une grande part de responsabilité. Leur image est catastrophique. Certes, les Français ne les connaissent pas en détail mais ils en ont une perception bonapartiste : de leurs cours au lycée, mes enfants retenaient qu'il est normal que le Président dirige tout ! C'est très problématique, mais cela reflète en un sens la réalité. On ne peut pas dire qu'il n'y a pas de crise des institutions quand on observe de tels taux d'abstention et une telle déception des citoyens.

Faut-il changer de Constitution ? Ce critère est purement formel : on peut très bien modifier entièrement la Constitution tout en conservant l'étiquette de la Ve République ou, à l'inverse, créer une VIe République sans changer grand-chose. La question reste donc à débattre. Il me semble toutefois que, dans un système politique qui fonctionne si mal, où règne un tel mécontentement, où l'extrémisme se développe avec une telle violence, il pourrait être prudent de modifier la règle du jeu pour que les Français puissent davantage s'exprimer dans leur particularité, renouer le lien social à tous les niveaux, notamment au sein des associations et des collectivités, et développer la démocratie participative.
Puissiez-vous, Madame, y parvenir : la meilleure façon ne serait-elle pas, avec ce groupe, de commencer tout de suite!

M. le président Michel Winock. Monsieur Tusseau, dans mon propos introductif, je n'ai évidemment pas oublié la liberté, valeur fondamentale et fondatrice. Simplement, outre que je n'ai pas voulu être exhaustif, je parlais essentiellement des représentations, de l'imaginaire, où cette valeur ne me paraît pas être véritablement en péril. Au contraire, nos concitoyens ont conscience du fait que nous vivons dans un pays de grande liberté.

M. le président Claude Bartolone. J'aimerais réagir, pour conclure ce tour de table, aux différentes interventions.

Si, comme l'a dit Karine Berger, en 1789 les débats étaient plus simples et plus courts qu'aujourd'hui, ce dernier adjectif est à prendre au pied de la lettre : c'est par des moyens physiques que l'opposition était très vite réduite !

M. le président Michel Winock. Mme Berger a parlé de la période de 1789 à 1792 : la guillotine ne fonctionnait pas encore !

M. le président Claude Bartolone. Plus sérieusement, j'aimerais en venir à la laïcité, pour rappeler que celle-ci n'équivaut pas au rejet des religions, contrairement à une interprétation aujourd'hui répandue et qui ne laisse pas de me surprendre. Ainsi certains parlementaires prennent-ils pour une atteinte au principe de laïcité la présence d'une personne portant un simple foulard parmi le public venu assister aux débats en séance. J'ai coutume de rappeler à ce propos que Philippe Grenier, élu député de Pontarlier en 1896, s'était converti à l'islam et siégeait dans l'hémicycle en costume traditionnel, et que l'abbé Pierre venait à l'Assemblée nationale en soutane lorsqu'il était député, sans que cela choque personne. Aujourd'hui, cela semble inconcevable : on occuperait l'Assemblée en signe de protestation !

Voilà un exemple de l'ignorance surprenante par l'opinion publique des principes mêmes qu'elle invoque, ici comme dans les autres domaines qui nous occupent. La loi de 1905 est une loi de liberté. Elle n'interdit nullement à un élu de se rendre dans un lieu de culte : l'essentiel, disait le général de Gaulle, est de n'y adopter aucune attitude qui puisse être interprétée comme une pratique religieuse.

Je suis d'accord avec Bernard Thibault sur le fait que, souvent, les citoyens ont l'impression que les sujets dont nous discutons ne sont pas ceux qui les préoccupent. Cela me soucie d'autant plus, comme président de l'Assemblée nationale, que nous avons même tendance à évacuer ces sujets du champ parlementaire pour les renvoyer à des comités Théodule, à de hautes autorités. Quels que soient mon amitié et mon respect pour le président du Conseil supérieur de l'audiovisuel, je regrette que le Parlement n'ait plus à se prononcer sur la désignation des dirigeants de l'audiovisuel public alors que le lien entre les médias et notre pratique démocratique est au cœur de nos discussions. Il en va de même de l'immigration et de l'intégration, pourtant confiées elles aussi à une haute autorité. Comment pouvons-nous donc relégitimer la parole politique ?

Bernard Accoyer a évoqué les lois de décentralisation, mais la manière dont a été traitée la parole des Français, en France et en Europe, au moment du Traité sur la Constitution européenne me paraît beaucoup plus néfaste à notre système démocratique, quelque position que l'on défende quant au fond. Après avoir demandé aux Français de s'exprimer, on leur a dit qu'ils s'étaient trompés et que l'on allait tout recommencer ! Les Irlandais ont d'ailleurs subi le même sort. Quels sont donc les points qui relèvent du débat démocratique, et comment montrer à nos compatriotes que, dans ces domaines, leur parole est prise en considération ? Tel est l'enjeu. Par ailleurs, ce n'est pas la décentralisation qui a affaibli nos institutions, mais le fait que nous l'ayons voulue sans remettre en cause le fonctionnement de l'État. Cela a conduit à des situations ubuesques dont j'ai été témoin comme président de conseil général : l'État décidait d'un ensemble d'actes déconcentrés sans modifier sa manière de fonctionner.

Voilà pourquoi nous avons tout intérêt à repenser notre rapport à de nouveaux lieux de pouvoir. Les parlements nationaux sont aujourd'hui totalement désarmés, en particulier face à la construction européenne. Nous n'avons pas notre mot à dire à la veille d'un Conseil européen ou d'une réunion du G8, ce qui fait paraître les lieux de pouvoir encore moins accessibles aux citoyens.

J'approuve aussi une partie des propos qui ont été tenus sur la diversité sociale des députés. Les chiffres en valeur absolue sont parlants, au moins autant que les pourcentages. En 1945, 98 députés sur 522 étaient ouvriers ou employés ; en 2012, ils n'étaient plus que 11 sur 577. Le capital social requis pour devenir député, du fait de la pression sociale et scolaire, est bien plus élevé qu'autrefois. À l'heure où le politique apparaît totalement soumis à la finance et à l'économie, le non-économiste – le non-énarque, pour faire simple – voit sa parole disqualifiée. De même, si les femmes n'ont jamais été autant représentées à l'Assemblée que depuis 2012 – elles sont plus d'un quart des députés –, leur place au Parlement situe la France au soixante-quatrième rang mondial, derrière le Rwanda.

Cela plaide en faveur d'une réorganisation du mode d'expression politique. J'ai été surpris, cette fois comme responsable au sein d'une grande formation politique, de constater à quel point l'organisation du temps y était masculine. Au moment de désigner les candidats, c'est celui qui passe le plus de temps avec ses camarades, notamment lorsque les réunions ont lieu le soir ou le week-end, qui est favorisé, ce qui n'est évidemment pas sans effet sur la représentation des femmes au sein de la formation. Le respect de la parité conduirait à modifier radicalement cette organisation. Sans vouloir revenir sans cesse à l'exemple de ce pays, je me souviens que mes collègues suédois, lorsque j'étais ministre, avaient opposé une fin de non-recevoir à ma proposition d'une réunion le week-end, inconcevable en Suède car contraire à l'égalité entre hommes et femmes du point de vue de l'organisation temporelle.

Je remercie Michaël Foessel de son éclairage précieux sur la démocratie représentative, étudiée par Bernard Manin dans son grand livre Principes du gouvernement représentatif : il s'agit d'un régime mixte, qui comprend des éléments purement démocratiques et d'autres qui le sont moins. Michaël Foessel a ainsi souligné l'opposition entre la représentation-miroir – les représentants doivent être une photographie de la société – et la représentation-mandat selon laquelle ils sont désignés pour leurs qualités et leurs compétences, abstraction faite de leur milieu d'origine. Entre ces deux conceptions, notre pays n'a jamais tranché. Il me paraît possible de concilier les deux, mais surtout nécessaire de donner aux citoyens, quelle que soit l'option retenue, le sentiment que l'on prend leur point de vue en considération et que l'on comprend leur situation.

À propos de représentation, je précise à l'intention de Bernard Accoyer que Virginie Tournay est biologiste de formation. La science est donc éminemment représentée parmi nous.

Ferdinand Mélin-Soucramanien nous a rappelé l'article premier de la Constitution, qui établit la carte d'identité de la République : indivisible, laïque, démocratique et sociale. Le problème est que nous n'attribuons plus à ces mots la même signification qu'auparavant. Rappelons que la loi de 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public a pour fondement juridique non le principe de laïcité mais le principe de sécurité. Elle ne parle pas de signes religieux. De même Émile Poulat, immense historien de la laïcité qui vient de disparaître et auquel je veux ici rendre hommage, disait-il que la question du voile dans l'espace public n'avait rien à voir avec la laïcité. Lors de l'examen de la loi de 1905, on avait même rejeté un amendement visant à interdire le port de la soutane dans l'espace public au motif qu'il aurait été contraire au principe de laïcité, selon Briand et Jaurès ! On imagine ce qu'il adviendrait aujourd'hui de ce type de débat.

Institutions, difficultés sociales, projet de société : comme des souris dans un labyrinthe, nous avons cherché en vain, au cours de notre discussion, la sortie de crise. Mais c'est de tous ces éléments à la fois qu'il est question. Je disais hier à l'ambassadeur des États-Unis combien j'étais surpris, malgré les 40 % d'opinions favorables dont jouit le président Obama en dépit de ses difficultés, malgré la réduction du chômage et l'indépendance énergétique, par les taux d'abstention observés dans le pays et par le résultat des élections de mi-mandat. À l'heure où le grand projet fédérateur de la pax americana est en difficulté, pour ne pas dire en panne, quel projet alternatif présenter aux Américains ? C'est un problème dont nous ne devrions pas nous désintéresser.

En Europe, on lie souvent aux difficultés sociales l'émergence des « monstres » dont parlait Gramsci. Pourtant, en Autriche, où les populistes obtiennent 30 % des suffrages, le taux de chômage est résiduel. A contrario, en Espagne ou en Portugal, deux pays qui paient à la crise un tribut social terrible, l'ambiance est beaucoup plus optimiste que dans bien des grandes villes françaises.

Dans nos interrogations sont ainsi en jeu à la fois la question du projet, la crise sociale, le questionnement de certains de nos principes qui méritent d'être revivifiés, dont la laïcité, à mes yeux primordiale.

Au fond, on pourrait reprendre aujourd'hui, en l'inversant, le slogan fédérateur de Mai 68, « Métro, boulot, dodo », pour demander plus de métro – parce que nos territoires ne communiquent pas assez les uns avec les autres –, plus de boulot évidemment, plus de dodo à l'heure où la crise prive un nombre croissant de nos compatriotes d'un endroit où dormir. Inversé par rapport à l'époque où il mettait en question la société de consommation, ce triptyque interroge aujourd'hui comme hier le vivre ensemble, la nécessité de redéfinir notre ambition collective.

Nous sommes les héritiers d'une grande histoire. Napoléon Bonaparte, dont il est parfois de bon ton de se moquer, a ancré en nous l'idée de la France qui pouvait tout : il dessinait les frontières, il distribuait le Code civil. Dans le même ordre d'idées, j'ai été frappé, lors des cérémonies du 70e anniversaire du Débarquement, par la force du message du Conseil national de la Résistance. Alors que le monde se divisait, celui-ci a fixé ses règles, économiques, sociales, sociétales, démocratiques. Voilà précisément ce qui nous met aujourd'hui à la peine : comment définir un projet compatible avec le projet européen, avec une mondialisation dont on ne peut tenir compte de manière uniquement négative ? En somme, par quel projet fédérateur lier les différentes remarques qui ont été formulées ce matin ?

Quelques mots sur la suite de nos travaux. Vous pouvez, comme tout citoyen, trouver le compte rendu de nos débats sur la page du site Internet de l'Assemblée nationale qui est consacrée à notre groupe de travail. À partir de la prochaine séance, nos travaux seront organisés de manière plus interactive puisque nous procéderons à des auditions. Après le diagnostic, place au débat. La prochaine séance, le 16 janvier, sera consacrée aux « institutions françaises dans l'Europe et la mondialisation ».

Bonnes fêtes de fin d'année à tous !

La réunion s’achève à 12 h 50.

Prochaine réunion vendredi 16 janvier 2015

Sera abordée la question suivante :

Les institutions françaises dans l’Europe et la mondialisation

- Table-ronde sur le thème de la globalisation (à 9 heures) : Mme Laurence Parisot et M. Jean Pisani-Ferry ;

- Table-ronde sur le thème de l’Europe (à 11 heures) : MM. Yves Bertoncini, Jean-Louis Bourlanges et Jean Quatremer.

Cette réunion sera ouverte à la presse



Séance du Groupe de travail sur l’avenir des institutions du vendredi 16 janvier 2015. Séance de 9 heures 15

Assemblée nationale - Le groupe de travail de Monsieur Bartolone sur les institutions est-il une réponse à la crise politique ?

      Commentaires sur la séance du Groupe de travail sur l’avenir des institutions du vendredi 16 janvier 2015. Séance de 9 heures 15. Compte rendu n° 3 à retrouver sur : http://www.assemblee-nationale.fr/1... Présidence de M. Claude Bartolone et de M. Michel Winock Réunion, ouverte à la presse, sur le thème : « Les institutions françaises dans l’Europe et la mondialisation. »

      Le groupe de travail autoproclamé sur "l’avenir des institutions" continue à prendre les citoyens pour des imbéciles. Les réunions qui devaient être publiques ne sont plus ouvertes qu’à la presse (mais laquelle ?). Mais c’est bien le contenu qui est un véritable discours de mépris pour le peuple français. À l’ouverture de la séance du 16 janvier, le Président Bartolone nous assène tout d’abord ses grandes phrases sur le peuple français et sa clairvoyance, phrases qu’il conclue par cette envolée : «  L’un des défis auxquels doivent aujourd’hui répondre nos institutions, c’est d’être capable de capter cette force de la multitude, d’en devenir le réceptacle, et que nos institutions permettent ainsi au peuple français de redevenir pleinement maître de son destin. ! » Chef-d’œuvre de rhétorique, mais de qui se moque-t-on ! Non seulement « le peuple français » n’a jamais été consulté pour créer et constituer ce groupe de travail, sorte de pseudo « pré- assemblée constituante autoproclamée », mais les débats de ce groupe, qui devaient être publics, ne sont plus ouverts qu’à la presse. Et il ne sera ensuite plus jamais question, lors de cette séance pas plus que lors des précédentes, de demander à ce "peuple" de participer à ses réflexions. Où est alors cette « maîtrise du destin » que le peuple est censé retrouver ? Cependant, le 19 janvier, M Bartolone se réveille enfin, sous la pression du « peuple » qu’il a enfin découvert, et répond aux associations qui multiplient les interpellations vers son groupe de travail, en leur proposant de contribuer. Voici son courrier : « Compte tenu du grand nombre d’associations et de collectifs qui nous ont saisis, le groupe de travail a décidé de recourir à des contributions écrites. À ce titre, nous serions très heureux de recevoir votre contribution qui viendrait, j’en suis sûr, utilement éclairer nos travaux. »

      Très bien, c’est donc ce que nous allons faire, Monsieur le président. Mais nous n’avons pas attendu l’auto-proclamation de votre groupe pour travailler sur ces questions, nous y réfléchissons depuis des années. Une synthèse de ces travaux, parmi bien d’autres, est présentée sur : http://collectifconstituant.fr.gd , et aucun parti politique ni aucun élu n’y contribue ! Les parlementaires, dont vous même, ont pourtant été encore récemment sollicités par un courrier, ce mois de janvier 2015, transmis par l’une des associations, mais ce courrier a pour l’instant été traité par le mépris. Ce courrier peut être consulté sur : http://collectifconstituant.fr.gd/L...

      Il était temps de solliciter nos contributions, dont vous êtes déjà destinataire ! En fait il est bien tard, vous avez été démasqué, M Bartolone. C’est avant même la constitution de votre groupe de travail qu’il convenait de consulter les citoyens sur leurs souhaits institutionnels et sur la façon de les synthétiser, par des groupes de travail sur tout le territoire, puis grâce à une assemblée constituante élue démocratiquement, sans aucune intervention des partis, car une Constitution fixe les règles communes, en aucun cas les idéologies, et en aucun cas ce ne sont les élus des partis politiques qui doivent écrire les règles qui les concerneront. Tout au plus peuvent-ils jouer le rôle de « sages », de conseillers, si l’assemblée constituante et les groupes de travail en acceptent les candidatures. Pour démonter la distance qui sépare le groupe de travail des citoyens, du peuple français, dont vous dites pourtant, Monsieur le président, qu’il « a été à la hauteur de notre histoire », il suffit de reprendre quelques propos de la session du 16 janvier. Mme Parisot (intervenante bien choisie, car proche du peuple, c’est bien connu !) déplore – à juste titre - la concentration des pouvoirs dans les mains du Président (quel qu’il soit), concentration qui le conduit à prendre des « décisions irréfléchies », mais jamais elle n’évoque le fait que cette concentration des pouvoirs est contraire à l’esprit de la Constitution qui affirme la souveraineté du peuple, ni vers qui, ni comment, cette déconcentration doit être opérée. C’est pourtant bien l’objet des travaux du groupe. Puis elle déplore un « trop grande prise en compte des détails par les lois », et non par les acteurs sociaux (mais elle pense manifestement davantage au Medef et à ses interlocuteurs plus qu’aux citoyens et au peuple, dont elle ne parle jamais !). Enfin elle évoque un manque de souplesse des institutions, incapables selon elle de réagir en cas de crise, mais là encore, bien sûr, elle ne propose rien sur la parole à donner au peuple à ce titre. Ensuite l’économiste Pisani-Ferry déplore le « manque de coordination » des parlements européens, si ce n’est lorsque l’Europe est au bord du précipice. Mais nul diagnostic sur les raisons de cette carence ; là encore le mépris des peuples par les élus n’est pas reconnu comme une cause majeure des incompétences de ceux qui se disent nos « représentants », alors qu’ils ne représentent en réalité qu’une infime fraction du peuple. Les membres du groupe de travail commentent ensuite avec, en arrière plan, la crainte de la remise en cause des pouvoirs des parlementaires s’il advenait que la Constitution soit trop profondément remaniée ! Priorité aux oligarques, en quelque sorte. Une intervenante ose dire que les citoyens sont « eurosceptiques ou europhobes », mais sans comprendre que c’est en fait en raison de la défiance envers leurs représentants nationaux en Europe, pourtant qualifiés par un autre intervenant de « derniers de la classe ». De même, la désignation des membres du gouvernement est qualifiée « d’immature », mais c’est pour dire immédiatement qu’il faut renforcer le pouvoir des administrations ! Il ne sera jamais question de la place des citoyens dans la réflexion institutionnelle, si ce n’est, après le massacre des hommes et femmes à Paris ce mois-ci, pour qualifier (M Slama) les manifestations populaires « d’instinctives » ! Nous sommes loin, très loin des propos introductifs mielleux de M Bartolone sur la clairvoyance du peuple français, qui ici retrouve sa nature instinctive. Savez-vous, M Slama, à quel siècle nous appartenons ? Quel mépris des citoyens cette réflexion sous-tend ! Nous conseillons à ce Monsieur et aux autres membres du groupe de lire les travaux du philosophe Emmanuel Brunet Bommert sur le sujet, dont un extrait est repris ici : « Si l’administration incarne déjà l’ensemble de la force exécutive et que son poids lui permet d’élire la majorité des représentants du corps législatif, alors l’appareil de l’État contrôle à lui seul deux des fonctions que les fondateurs des grandes républiques souhaitaient pourtant séparer, constitutionnellement. Il n’en reste dès lors plus qu’une : le pouvoir judiciaire. Celui-là même dont les membres sont, dans la majorité des pays occidentaux, simplement nommés par l’administration. Dès cet instant, ce sont les fonctionnaires du gouvernement qui écrivent les lois, les exécutent, puis jugent de leur bonne application. Le pouvoir politique, tout entier, se trouve fixé à un seul groupe humain, parmi la multitude que forme la société civile. Le pouvoir tend à la concentration, du fait qu’il s’agit d’une force de liaison. La démocratie, qui fut présentée comme le meilleur ralentisseur possible de cet état de fait, fut au contraire son plus fantastique accélérateur. Elle est parvenue, en quelques dizaines d’années, à accomplir ce qu’une dynastie autocratique aurait mis des siècles à faire accepter à ses adversaires. »

      Nos "élites" planent si haut au dessus de « la France d’en bas » qu’il sont aveugles et sourds à la juste revendication de souveraineté des citoyens et qu’ils ne voient que leur propre nombril. Ainsi, leur « crash » est inévitable dès lors qu’ils entreront dans une turbulence majeure et prévisible, et qu’il ne restera sans doute, au plan social, que peu de survivants : les premières victimes, ce seront nous, les citoyens. À moins que nous ne prenions dès à présent les commandes, en commençant par exemple, pour éviter cette issue fatale, par ne plus jamais voter, à aucune élection, pour des personnages présentés ou soutenus par des partis politiques en place au Parlement, qu’il soit français où européen, mais en votant pour des citoyens libres, souverains.
       

Voici les débats de cette session du 16 janvier du groupe de travail parlementaire.

La séance débute à neuf heures cinq.

Table ronde sur le thème de la globalisation, avec Mme Laurence Parisot et M. Jean Pisani-Ferry.

M. le président Claude Bartolone. Monsieur le président, cher Michel Winock, mesdames et messieurs les parlementaires, chers collègues, mesdames et messieurs les personnalités qualifiées, je suis très heureux de vous retrouver pour cette troisième réunion du groupe de travail sur l’avenir des institutions.

Avant d’évoquer la question mise à l’ordre du jour, comment ne pas avoir une pensée pour nos compatriotes récemment décédés ? Les journées que notre pays vient de traverser ne seront sans doute pas sans conséquences sur les réflexions qui nous animent au sein de ce groupe de travail. Des journées de terreur et de haine, au cours desquelles ont été sauvagement assassinés dix-sept de nos compatriotes. Parce qu’ils défendaient la liberté d’expression. Parce qu’ils nous protégeaient. Parce qu’ils étaient juifs. Des journées de terreur et de haine, auxquelles a répondu une journée d’unité et d’espoir, celle du 11 janvier 2015. Une journée rare, faite d’unité et de fraternité républicaine.

Notre mission a choisi de mettre la démocratie au cœur de ses réflexions. À ce titre, nous ne saurions passer à côté de ce qui s’est passé dimanche dernier, et cela pour au moins deux raisons.

La première, c’est que cette journée a été, selon l’heureuse formule de Michel Winock, la première « journée de l’internationalisme démocratique », une journée au cours de laquelle une partie du monde a rappelé qu’il ne pouvait y avoir de démocratie sans espace public et d’espace public sans liberté d’expression.

La seconde raison, c’est que cette journée a été celle de l’irruption du peuple français. Alors que l’on dit notre démocratie apathique, malade, se résumant à une masse faite d’individualismes, d’égoïsmes et de communautarismes, les Français sont descendus en nombre dans les rues de Paris, mais aussi dans celles de toutes les villes et de tous les villages de France. Non pour protester, revendiquer ou gronder, mais pour affirmer qu’ils n’avaient pas peur et qu’ils étaient unis pour défendre leur liberté.

Une chose est sûre : le peuple français a été à la hauteur de notre histoire en ces moments tragiques. La flamme qu’il a allumée le 11 janvier, bien sûr, n’appartient à personne, mais elle constitue un phare qui peut sans doute nous guider ; elle prouve que le peuple est vivant, qu’il est capable de s’engager et de transcender ses divisions même si cette manifestation ne règle pas tous les problèmes.

L’un des défis auxquels doivent aujourd’hui répondre nos institutions, c’est d’être capable de capter cette force de la multitude, d’en devenir le réceptacle, et que nos institutions permettent ainsi au peuple français de redevenir pleinement maître de son destin.

Redevenir maître de son destin en Europe et dans le monde, tel est justement le thème mis à notre ordre du jour.

Pour cette séance consacrée aux institutions françaises dans l’Europe et dans la mondialisation, nous avons le plaisir de recevoir Laurence Parisot et Jean Pisani-Ferry. Je les remercie sincèrement pour leur présence.

Laurence Parisot, nul besoin de la présenter. Qu’il me soit néanmoins permis d’indiquer, ici, que la question institutionnelle ne vous est pas étrangère. Vous déclariez d’ailleurs, l’année dernière, dans le journal La Tribune : « Le premier problème de la France, ce sont ses institutions », jugeant notamment qu’elles n’étaient plus adaptées à un monde en perpétuel mouvement. Nous serions heureux de pouvoir approfondir ce point avec vous.

Jean Pisani-Ferry, vous êtes un économiste renommé et aussi, depuis le 1er mai 2013, commissaire général à la stratégie et à la prospective. Vous êtes, à ce titre, l’auteur du rapport de France Stratégie intitulé Quelle France dans dix ans ? Les chantiers de la décennie. Dans cet ouvrage, vous écrivez notamment : « C’est donc bien à une réforme de la démocratie qu’il nous faut aujourd’hui procéder, pour renouer les fils de notre confiance dans l’avenir en réhabilitant le politique. »

Quelle prise ont et peuvent avoir nos institutions sur la mondialisation ? Comment, à travers les institutions, les Français peuvent-ils retrouver le sentiment d’être maîtres de leur destin ? Voilà quelques-unes des questions qui se posent aujourd’hui. Tous les membres ici présents ont, j’en suis sûr, de nombreuses autres questions à vous poser. Voilà pourquoi je vous propose, après un court propos liminaire de votre part, que s’engage notre conversation.

Mme Laurence Parisot. C’est un honneur pour moi d’être devant vous ce matin et d’avoir ainsi l’occasion d’échanger avec vous sur cette question éminemment importante. Ce que je vais dire est très directement lié à mon expérience de huit ans passés à la tête du Mouvement des entreprises de France (MEDEF), car lorsque l’on est l’un des représentants des partenaires sociaux, on travaille tous les jours avec les représentants des institutions. De cette expérience j’ai tiré un certain nombre de réflexions très rapidement évoquées dans l’entretien que j’ai accordé à La Tribune et que vous avez évoqué, monsieur le président.

Si je me suis interrogée sur les institutions, c’est en particulier parce que j’ai été marquée par le fait que, ayant eu à travailler avec des hommes et des femmes, de droite comme de gauche, tous intelligents, compétents, sincères – sincères, j’y insiste –, j’ai eu la même difficulté à progresser et à « délivrer » – veuillez excuser cet emprunt au vocabulaire du management anglo-saxon. C’est à partir du constat de ce défaut d’efficience que j’ai été amenée à douter d’un mien présupposé – car j’ai fait des études de droit public et la question des institutions m’a toujours passionnée, un de mes anciens professeurs siège d’ailleurs autour de cette table… –, un présupposé selon lequel la solidité des institutions de la Ve République nous permettrait toujours de faire face aux difficultés. Or, ces difficultés ayant atteint un certain stade, j’ai pensé que cette solidité constituait au contraire le problème plus que la solution, un handicap plus qu’un avantage. Je souhaite appeler votre attention sur deux aspects en particulier.

En premier lieu, vous le savez, tout remonte, dans les faits, à un seul homme, et tout est concentré entre ses mains : le Président de la République. Comme si celui qui incarne cette institution était un homme-orchestre, un surhomme doté de toutes les compétences, de toutes les formes d’intelligence et, surtout, d’une capacité physique digne d’un médaillé d’or au marathon des Jeux olympiques. Et le marathon du Président de la République est quotidien.

Cela pose un problème majeur, et qui me fait penser à une phrase de Lionel Jospin quand il était Premier ministre : « Je n’ai même plus le temps de penser. » Je crois que c’est profondément vrai. Notre système a été conçu à une époque difficile, mais dont le degré de complexité n’était pas aussi élevé, car pour toute décision publique les interactions sont aujourd’hui très nombreuses, la technicité très pointue et la vitesse imposée prodigieuse. Un seul homme, même aidé d’une équipe – en général trop restreinte –, ne peut pas tout appréhender dans ces conditions. Toutefois, comme il y est obligé, il se fonde, pour agir et réagir, soit sur une pensée qui n’est pas la sienne – puisqu’il n’a plus le temps de penser –, soit sur la sienne – mais elle est généralement ancienne. Ainsi, sur le plan économique, j’ai souvent eu affaire, au plus niveau de l’État, à des personnes, qu’elles soient de droite ou de gauche, certes très intelligentes mais dont les connaissances dataient de dix ou quinze ans. Aussi la possibilité pour les responsables de nos institutions les plus importantes de penser et d’agir n’est-elle en rien anodine.

Je ne suis pas constitutionnaliste et il n’est pas dans mon intention, d’autant moins que je me trouve en présence d’éminents spécialistes, de vous dire de quelle manière réécrire la Constitution ; j’entends seulement vous faire part de ce qui me semble important et, à ce titre, vous proposerai une réforme : le Président de la République, une fois élu, devrait, comme le prévoit le système des États-Unis d’Amérique, avoir droit à un mois – voire trois mois – de délai avant son installation officielle. Il faut en effet rompre avec la folie d’une campagne présidentielle nerveusement épuisante, qui vous éloigne des grands mouvements du monde et vous confine dans des manœuvres électorales, campagne au lendemain de laquelle on doit composer sans délai un gouvernement, sans avoir le temps de récupérer physiquement ni de penser stratégiquement. Voilà qui me semble à l’origine du ratage de leurs « cent jours » initiaux par les quatre ou cinq derniers présidents.

Outre la question du temps d’installation, se pose celle de la délégation. Il faudrait vraiment préciser ce qui relève du domaine de compétences de chacun, actualiser, sans doute, le principe selon lequel le Président de la République guide, arbitre, s’occupe de l’essentiel, tandis que le Premier ministre, à la tête du Gouvernement, agit en des matières certes tout aussi importantes mais d’une autre nature.

Le second axe de ma réflexion concerne l’architecture de nos institutions. Elle doit être à mon sens très souple, à l’image de ces constructions si flexibles qu’elles résistent aux tremblements de terre. Notre seule certitude est celle d’un monde incertain. Ce qui est important est imprévisible. Notre système institutionnel doit donc pouvoir réagir très souplement et très rapidement aux crises imprévisibles. Il reste de nombreux progrès à réaliser en la matière, et surtout en lien avec l’architecture institutionnelle européenne.

Nous étions partis de l’idée d’une constitution européenne qui s’impose à nos différentes constitutions. Ne pourrions-nous pas procéder inversement et nous demander comment rapprocher nos institutions des institutions européennes, comment favoriser l’articulation entre le niveau national et le niveau européen ? Lors de la crise financière et économique de 2008-2009 et, pire, pendant celle de l’euro survenue en 2011, il a été très difficile de nous entendre avec nos partenaires européens, notamment avec l’Allemagne. Nous avons vécu des journées épouvantables parce que nous ne parvenions pas à nous comprendre : nos mécanismes institutionnels étaient tellement éloignés les uns des autres, les différentes procédures et les modes de réflexion respectifs si difficiles à admettre de part et d’autre…

En somme, pouvons-nous envisager, d’une part, de renforcer le caractère antisismique de notre système institutionnel, pour filer la métaphore, et, d’autre part, mieux redéfinir l’articulation de nos relations avec les autres pays européens et avec les institutions communautaires ?

Pour conclure, même si l’on touche peu aux institutions à l’issue du présent travail – il sera en effet difficile de nous mettre d’accord sur la définition d’une VIe République, et je change moi-même d’avis tous les jours à propos du mode de scrutin : je me sens pro-proportionnelle certains jours, puis j’ai tellement peur des conséquences de son adoption avec une droite extrême forte que je reviens en arrière –, il reste un élément très gênant : les ambiguïtés de l’application de la Constitution, et plus précisément de certaines pratiques qui nous éloignent de la lettre du texte. Bien que son article 34 dispose que « la loi détermine les principes fondamentaux […] du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale », il y a bien des années que la loi n’en détermine plus les principes fondamentaux mais les moindres détails, et que les partenaires sociaux sont donc empêchés de jouer pleinement leur rôle et d’assumer leurs responsabilités. Il faut choisir. Il faut en finir avec ces ambiguïtés.

M. Jean Pisani Ferry. Je suis également très heureux que vous me donniez l’occasion de m’exprimer devant vous : la réflexion que vous conduisez me semble essentielle. Vous avez eu la gentillesse, monsieur le président, de citer le rapport dont je suis l’auteur, intitulé Quelle France dans dix ans ?, travail qui, centré sur les questions économiques, sociales et sociétales, nous a conduits à aborder les questions institutionnelles. Nous avons, comme Mme Parisot, considéré en effet qu’on ne pouvait pas évoquer les problèmes de la France sans s’interroger sur le fonctionnement de ses institutions et sur la manière dont les ratés de la démocratie entraient en résonance avec d’autres dimensions de nos difficultés nationales.

Le sujet de la présente réunion, mondialisation et Europe, est abordé assez généralement sur le mode de l’attrition des capacités des instruments nationaux de décision, à la fois du fait de la concurrence du marché – avec la réduction de la sphère publique au profit de la logique marchande –, de l’expansion de la sphère de la décision internationale, enfin de l’imposition de règles, de contraintes à la liberté de décision. Ce phénomène est perçu comme réduisant le choix démocratique, entravant les gouvernants, limitant la responsabilité des élus et dépossédant les citoyens. Que penser de ces contraintes ? Sont-elles excessives ? Quel bon usage en faire ?

Vous connaissez sans doute le « triangle » de Dani Rodrik, qui a exprimé de la manière la plus saisissante le problème en expliquant qu’on ne peut avoir à la fois la démocratie, la décision nationale et la globalisation économique. Il s’agit, d’une certaine manière, du point ultime de la réflexion sur le sujet. Je persiste à penser que nous devons tâcher de faire le meilleur usage de l’espace qui nous est donné en même temps que réfléchir à sa transformation.

Je commencerai par évoquer les compétences. Les compétences de l’État national se réduisent-elles à l’excès ? On justifie l’attribution de compétences à des instances supranationales par l’existence de biens publics globaux ou régionaux. La stabilité financière, par exemple, a conduit récemment au transfert de responsabilités nationales à l’échelon global, sur le mode de la coordination, ou à l’échelon européen sur le mode de la décision et de la supervision. Un arbitrage doit dès lors s’opérer entre l’exercice de la démocratie au niveau national et l’efficacité collective. Les citoyens comprennent bien qu’il existe différents ordres de décision correspondant à différents niveaux de décision : on a toujours une préférence pour la proximité mais toujours le souci de l’efficacité.

On note cependant une frustration vis-à-vis d’un mode très technocratique de gestion de ces questions, vis-à-vis d’institutions internationales très peu ouvertes à la délibération démocratique, fonctionnant sur le mode de la spécialisation sans aucune forme de représentation qui permette un contrôle direct – c’est la limite de la démocratie transnationale. La manière dont ces problèmes sont traités dans l’espace européen suscite également une frustration spécifique.

Nous pourrions mieux faire sur plusieurs points. L’irréversibilité des transferts de compétence au niveau européen mérite d’être à nouveau discutée. À l’origine, il s’agissait de fabriquer une mécanique d’intégration à partir de transferts de compétences, certes limités mais très forts du fait de leur irréversibilité. Cette construction stratégiquement très intelligente atteint ses limites au moment où l’on souhaite une clarification sur la répartition entre les compétences qui relèvent de l’échelon national ou infranational et celles qui relèvent de l’échelon européen. Il y a un désajustement entre ce qui est souhaitable et la réalité des compétences, dans un sens comme dans l’autre.

S’ajoute à cette nécessaire clarification une difficulté à bien traiter ces questions. En effet, nous n’avons pas de culture du fédéralisme, contrairement à d’autres pays où l’on a l’habitude de réfléchir à plusieurs niveaux et de considérer qu’il est naturel d’avoir des attributions déterminées de compétences et qui ne ressortissent pas in fine au niveau supérieur. Pourtant, du fait de la décentralisation et du fait de l’intégration européenne, nous sommes passés à un modèle beaucoup plus fédéral. La manière dont on « acclimate » ce modèle, dont on prend conscience de ce qu’il implique, dont on le rend lisible pour les citoyens, me semble très importante pour répondre à une situation qu’il ne faut pas systématiquement vivre sur le mode de la diminution des pouvoirs.

Selon Tommaso Padoa-Schioppa, ancien ministre de l’économie et des finances italien, on confond trop souvent pouvoir faible et pouvoir limité. Le pouvoir doit être limité : chaque niveau doit exercer pleinement des compétences définies. Or, on a plutôt tendance à organiser un système où les pouvoirs ne sont pas pleinement exercés. C’est pourquoi, au lieu de limiter le champ des compétences, on limite les capacités d’exercer ces compétences. La limitation du champ des compétences est tout à fait compatible avec l’exercice de la démocratie, tandis que la limitation de la capacité à exercer des compétences crée de l’insatisfaction à la fois chez les gouvernants et chez les citoyens. Cette distinction entre pouvoir faible et pouvoir limité vaut pour les échelons national, européen et international.

Après les compétences, je souhaite aborder la question de l’encadrement de la décision et de la limitation de la capacité discrétionnaire. Il y a deux modalités d’encadrement. La première revient à constitutionnaliser des politiques relevant du législatif. La seconde consiste dans l’emprise des règles d’origine européenne ou nationale, ou bien en la délégation de compétences à des autorités indépendantes.

On relève plusieurs modalités de constitutionnalisation en Europe, parmi lesquelles le traité. On songe bien sûr au traité constitutionnel européen, le paradoxe étant qu’il aurait précisément permis de distinguer ce qui relevait du constitutionnel et ce qui relevait du législatif. On a ensuite les obligations émanant du traité qui nous conduisent à constitutionnaliser un certain nombre de dispositions comme l’indépendance de la banque centrale, le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) – qui a conduit à la création du Haut Conseil des finances publiques. Une forme dégradée de cette modalité est l’unanimité ou la quasi-unanimité à cause desquelles certaines décisions ne sont plus modifiables dans les faits. Le risque est un mauvais partage entre le constitutionnel et le politique, avec tout ce que cela implique en matière de perception d’une excessive rigidité et de restriction de l’exercice de la décision démocratique.

Nous acceptons un peu trop facilement, sans débat, un certain nombre de décisions sur lesquelles le Parlement pourrait davantage avoir son mot à dire. À l’occasion de la création du Mécanisme européen de stabilité (MES), j’ai été très frappé par la profondeur et la durée du débat chez plusieurs de nos voisins et par le caractère expéditif de la décision en France, le Parlement n’y ayant consacré qu’une demi-journée, et la même durée pour la décision d’aider la Grèce… Une lourde responsabilité a alors été prise, car nous savons aujourd’hui qu’il est possible que le ministre des finances revienne devant le Parlement pour expliquer que les créances sur la Grèce ne seront jamais recouvrées. Or cette question a donné lieu à un débat considérable en Allemagne. Qu’il s’agisse de la définition en amont, de la transcription législative ou du contrôle, il me semble qu’il y a une déficience du débat qui du reste constitue une faiblesse pour la France dans le cadre des discussions internationales.

Il n’est que de considérer l’importance prise par la cour constitutionnelle de Karlsruhe qui est l’expression ultime de cette réticence allemande à l’égard d’un certain nombre de décisions. Nous sommes tous suspendus aux arrêts de la cour constitutionnelle allemande, de la même manière qu’auparavant nous étions tous suspendus au vote du Bundestag. C’est pourquoi le caractère très limité du débat en France est un facteur de faiblesse externe.

En ce qui concerne les délégations à des instances indépendantes qui peuvent être imposées par l’ordre européen, nous vivons un peu trop la réduction de l’espace du discrétionnaire comme une réduction de l’espace démocratique, ce qui ne revient pas au même. Le fait de fixer avec précision une règle ou le mandat d’une institution, c’est une modalité d’exercice de la décision démocratique. On se prive de la possibilité de changer d’avis chaque année mais non de celle de décider quelle est la bonne règle, le bon mandat pour une institution. Là encore, nous n’avons pas assez investi en la matière. Par exemple, il ne me semble pas que le débat sur la nature du Haut Conseil des finances publiques, sur la nature du mandat qui devait lui être confié, ait été particulièrement riche. Si certaines dispositions sortent du champ de la décision discrétionnaire pour être confiées à des instances externes, si l’on se fixe une règle en matière de responsabilité budgétaire, l’investissement sur la définition de cette règle, de ce mandat, de ces principes de fonctionnement, de la composition d’une instance, est essentiel. Les Britanniques ont mené sur ce point une réflexion très intéressante. Chaque fois, au Royaume-Uni, que s’est posée la question de savoir comment accroître l’indépendance de la Banque centrale, comment créer l’Office for Budget Responsibility, il y a eu une réflexion très riche sur l’insertion de ces nouvelles instances dans un dispositif institutionnel et politique national.

J’aborderai en troisième et dernier lieu le contrôle des processus de coordination. La gouvernance supranationale ne s’organise pas exclusivement sur le modèle de la délégation, mais aussi sur celui de la coordination de décisions nationales, c’est-à-dire sur le modèle de la négociation d’orientations générales. Au moment où on en vient à la décision nationale, on a déjà beaucoup discuté, préparé. C’est vrai dans le domaine économique et financier international où du reste on ne peut pas faire autrement puisque les pays émergents et les États-Unis sont très sourcilleux en matière de délégation. Dans le modèle européen, en revanche, c’est assez nouveau car il était traditionnellement un modèle de délégation. L’union économique et monétaire, impliquant beaucoup plus de politiques nationales, est donc un modèle qui emprunte à la coordination.

Comment fonctionner avec un modèle de ce type ?

La réflexion en amont, je le répète, me paraît essentielle. J’insisterai sur la socialisation des débats des parlements nationaux dans un cadre européen. Même si chaque parlement national se saisit d’une question et mène un débat riche, la réponse ne sera pas nécessairement satisfaisante, car chacun d’eux aura discuté en fonction de ses responsabilités, des citoyens devant qui il est comptable, et non pas en fonction d’un intérêt collectif européen sous-représenté. Le modèle de coordination pose le problème de savoir à quel moment on prend en compte et de quelle manière l’intérêt collectif européen. La réponse est très simple : quand on est au bord du précipice – ce que Mme Merkel a appelé l’ultima ratio. C’est uniquement lorsque la crise est vitale que l’on peut accepter de prendre certaines décisions. Ce modèle est donc quelque peu dangereux.

Existe-t-il des formes plus élaborées de débat que celles prévues à l’article 13 du TSCG, des modes de débat transparlementaire plus riches que celui auquel j’ai assisté avec Karine Berger à Rome il y a quelque temps ? À partir d’un modèle de coordination dans lequel les parlements nationaux sont nécessairement impliqués – le Parlement européen n’est pas la solution dans un cadre de coordination, mais il peut l’être dans un cadre de délégation – il faut réfléchir à des formes dans lesquelles une instance parlementaire aurait une composition plus précise, un mandat plus précis, une capacité d’expression, d’orientation et de contrôle plus précise.

Nous faisons face à des problèmes très importants, mais l’ampleur des solutions est un peu plus grande que celle habituellement perçue.

Mme Karine Berger. J’évoquerai la place des constitutions vis-à-vis du droit européen. On sait qu’aucun pays européen ne considère que sa propre constitution se trouve en deçà du droit européen. À l’inverse, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) considère que toutes les constitutions nationales devraient se plier à la hiérarchie des normes européennes. Jean Pisani-Ferry a parfaitement montré que, désormais, chaque fois qu’une décision constitutionnelle est prise en Allemagne, on est obligé de vérifier si elle ne va pas remettre en cause l’intégralité des décisions du Parlement européen, voire du Conseil européen. Or on n’a jamais décidé, en France, si la Constitution française devait être conforme au droit européen ou si c’était au droit européen de se conformer à la Constitution, les conséquences n’étant pas tout à fait les mêmes en termes de démocratie et de souveraineté.

J’ajouterai que dans tout le débat très politique qui s’est tenu en France sur le fameux « ordo-libéralisme » allemand, c’est bien la place de la constitution allemande vis-à-vis du droit européen qui était en jeu.

M. Ferdinand Mélin-Soucramanien. On a bien situé, me semble-t-il, la place respective de la Constitution et du droit européen. Le Conseil constitutionnel, le Conseil d’État et la Cour de cassation l’ont fait. La Constitution elle-même le précise. Faut-il évoluer ? On a posé la question en 2005, et la réponse a été tout de même assez nette : la Constitution prévaut sur le droit européen dans l’ordre public interne français.

La question de l’implication des parlements nationaux est très importante. Pour des raisons politiques et idéologiques claires, l’Allemagne est le très bon élève, le Royaume-Uni est l’un des plus mauvais élèves, la France étant, quant à elle, un élève moyen – moins, sans doute, pour des raisons idéologiques ou politiques que pour des raisons pratiques, liées au fait que la France, en Europe et dans le monde, est caractérisée par le cumul des mandats. Or le Parlement qui sera élu en 2017 sera celui du non-cumul et marquera donc, je l’espère, une évolution. Il faut donc se préparer à une implication plus grande du Parlement dans les institutions européennes.

J’avais été frappé par l’entretien de Mme Parisot auquel il a été fait allusion, si frappé que je l’ai donné à lire à mes étudiants. Si elle appelle de ses vœux, entre les lignes, une évolution profonde des institutions – au point qu’on pourrait presque envisager une VIe République –, tout est possible, notamment de rêver à un futur institutionnel meilleur. Vous avez bien montré, madame, que tout ne passe pas nécessairement par un grand soir institutionnel, et je souscris tout à fait à certaines de vos propositions comme le délai de latence, propre d’une démocratie apaisée, qui renvoie à la très utile période d’installation du nouveau Président, aux États-Unis, entre novembre et le 20 janvier. Y sommes-nous prêts en France ? Il s’agit moins d’en passer par une réforme institutionnelle profonde que par une évolution des pratiques.

Vous ne paraissez pas remettre en cause l’élection du Président de la République au suffrage universel direct – acquis sur lequel il paraît difficile de revenir –, mais iriez-vous jusqu’à envisager que le chef de l’État ne préside plus le Conseil des ministres, pour en finir avec le « mal napoléonien » dénoncé par un ouvrage récent ?

Mme Laurence Parisot. Je n’ai jamais songé à remettre en cause la présidence du Conseil des ministres par le Président de la République. J’ai dit qu’il devrait se consacrer à l’essentiel – au sens de l’essence des choses. Les attentats de la semaine dernière nous l’ont bien montré : nous sommes tous d’accord pour considérer qu’il faut défendre nos principes de liberté, de laïcité, et je ne suis pas sûre que le fonctionnement actuel des institutions permette au Président de se consacrer à cet essentiel-là. Or c’est précisément, à mon sens, pour s’assurer que la ligne directrice fondamentale n’est jamais oubliée, qu’il doit présider le Conseil des ministres. Il faut favoriser une certaine souplesse en évitant de créer de nouveaux blocs qui s’opposeraient les uns aux autres.

J’ajoute que le Président doit s’impliquer beaucoup plus qu’aujourd’hui dans le projet européen. Il doit donc présider le Conseil des ministres pour que personne n’oublie jamais que toute décision doit être préparée dans une perspective européenne.

Mme Cécile Untermaier. J’approuve l’absolue nécessité d’articuler davantage démocratie et globalisation. Les gens savent que des décisions sont prises à plusieurs niveaux. Ils l’acceptent, mais ils ont le sentiment que ces décisions sont de nature à se nuire les unes aux autres ; ils n’en perçoivent pas la cohérence, ce qui engendre une frustration mais aussi un doute profond sur la politique que nous menons. Nous devons vraiment réfléchir à la manière dont le Parlement pourrait aider à cette articulation. Les citoyens n’aimeront jamais l’Europe tant qu’ils auront le sentiment qu’il y a concurrence entre les États et que certaines décisions communautaires nuisent à la vie nationale. Nous avons donc la responsabilité de porter un message cohérent, de ne pas faire de l’Europe un bouc émissaire quand des décisions ne nous satisfont pas. Il nous faut adhérer, collectivement, à ces décisions prises à plusieurs niveaux.

La difficulté est que nous ne parvenons pas à débattre ensemble de ces décisions. Nous, parlementaires, transposons des directives, mais le travail en amont nous échappe. Ces transpositions sont des exercices techniques intéressants, mais il aurait été bien plus intéressant que le Parlement – et non pas uniquement le Gouvernement – soit saisi en amont. Or, avec le non-cumul des mandats, le Parlement va travailler autrement à partir de 2017, et il me semble que nous devrions être une des chevilles ouvrières de cette articulation avec l’Europe et les instances internationales, lesquelles n’ont de lien, pour le moment, qu’avec les gouvernements.

Nous devons réfléchir à la manière de créer ces liens et de faire comprendre aux citoyens à quoi servent les institutions internationales et comment elles participent de la résolution des problèmes qui se posent au niveau national et au niveau global.

Modestement, il me semble que nous pourrions songer à constituer un groupe parlementaire réunissant des sensibilités plus juridiques, économiques, sociales, qui établirait ce lien avec les organisations internationales et notamment avec l’Europe. Nous pourrions ainsi restituer aux citoyens une vision plus cohérente de ce dispositif global qui pèse sur les décisions locales.

M. Michaël Foessel. Madame Parisot, monsieur Pisani-Ferry, vous avez montré de manière intéressante que la décision politique s’inscrivait dans l’urgence et la complexité, notamment dans le domaine économique. En se posant la question de l’adaptation des institutions aux exigences de réactivité et de meilleure appréhension de l’évolution du monde, ne risque-t-on pas d’oublier le fondement démocratique de la décision politique ? La délégation de celle-ci à des institutions plus technocratiques que démocratiques incarne ce danger. Plutôt qu’une logique d’adaptation, il conviendrait de privilégier le chemin d’une reconquête par le politique d’une temporalité propre à son action. Ainsi, comme l’a souligné M. Pisani-Ferry, le Parlement allemand a imposé à l’Europe le temps nécessaire à ses débats ; il s’avère donc possible de relativiser l’urgence de certaines décisions monétaires ou économiques et de les soumettre à l’exigence de la confrontation politique. Un équilibre entre les contraintes de notre monde et l’ambition du débat démocratique est-il possible ?

Le corps du Président de la République conserve une certaine charge symbolique – ce qu’il reste du corps du roi – et j’ai apprécié votre remarque, madame Parisot, sur l’exigence physique du poste.

Mme Marie-George Buffet. Madame Parisot, je note que vous n’avez pas crainte d’évoquer la VIe République : la redéfinition du champ d’intervention du Président de la République et l’instauration de la proportionnelle pourraient se trouver au cœur d’une telle évolution institutionnelle.

L’enjeu pour l’action politique est de retrouver de l’efficacité et donc de la crédibilité. Le discours sur l’Europe se trouve centré sur l’idée de contrainte – qu’elle soit positive ou négative. Ainsi, le vocabulaire du droit européen – les « directives » et les « transpositions » – accrédite l’idée d’une instance qui décide et ne laisse aux autres que le soin de mettre en œuvre. Monsieur Pisani-Ferry, alors que les travaux du Parlement européen restent peu visibles, quel pourrait être le rôle nouveau des parlements nationaux pour élaborer en commun les grands choix pour l’Europe ? Nous ne devrions pas nous contenter de subir la mondialisation économique et retrouver une volonté politique de régulation.

Mme Seybah Dagoma. La construction européenne fait face à un péril démocratique, résultant du fossé qui ne cesse de se creuser entre les élites européistes, la majorité eurosceptique des citoyens et la minorité europhobe. La défiance des citoyens repose sur le sentiment que la Commission européenne décide sans subir de contrôle démocratique. Lors des dernières élections européennes, un débat nourri s’est développé sur le traité de libre-échange transatlantique (TIPP), au cours duquel l’absence de transparence a été pointée. En dépit de la procédure de codécision, instaurée par le traité de Lisbonne, et de l’élargissement du rôle du Parlement européen, beaucoup considèrent que l’information manque. Dans ce contexte, quel nouveau rôle pourraient jouer les parlements nationaux ?

M. Luc Carvounas. Quelle importance les partis politiques français accordent-ils au Parlement européen ? Cette question se pose lorsque l’on compare le choix des candidats en France par rapport à d’autres démocraties où sont élus des députés s’engageant à long terme.

Les institutions de la Ve République fonctionnent, comme on vient de le constater à nouveau dans des circonstances dramatiques ; nous devons cependant les amender, les oxygéner, les moderniser afin de les adapter au monde d’aujourd’hui et de leur permettre de répondre aux aspirations de nos concitoyens. Les institutions européennes peuvent également nous permettre d’accroître notre efficacité ; je suis surpris d’entendre que les parlementaires nationaux pâtiraient d’un manque d’information sur les travaux européens.

Une délégation de parlementaires français est par ailleurs envoyée de longue date auprès du Conseil de l’Europe, organisme bien plus ancien que le Parlement européen. Ne devrions-nous pas travailler à approfondir également les liens entre ce dernier et le Parlement français ?

Nous avons une responsabilité collective qui nous enjoint de ne pas nous contenter de transposer sans réflexion politique les directives de l’UE et d’adapter la vie de nos chambres nationales aux temps d’aujourd’hui et de demain. Partons de l’existant et croisons les expériences.

M. Denis Baranger. Il existe un désajustement entre la Constitution et les domaines économique et social ; madame Parisot et monsieur Pisani-Ferry, quelles dispositions de la Constitution modifieriez-vous pour combler ce hiatus ?

Madame Parisot, vous avez rappelé que les constituants de 1958 ne pensaient pas le monde de 2014 ; vous avez tellement raison que, jusqu’aux années 1980, les banques centrales fixaient un taux dirigé. Ensuite, elles sont intervenues sur les marchés puis n’ont cessé d’accroître la complexité de leurs actions. Aujourd’hui, il paraît impensable que des États contrôlent une banque centrale – surtout la banque centrale européenne (BCE). Au moment de la crise financière de 2008, un banquier central avait affirmé que tout ce qui était jusqu’alors inconcevable devait désormais être mis en œuvre…

Le Mécanisme européen de stabilité (MES) prouve que nous agissons dans un état d’exception permanent ; il a ainsi fallu sortir du cadre des traités européens pour élaborer cet instrument. Celui-ci s’avère tellement spécial qu’il pose la question du contrôle de ce type de décision. Un mécanisme aussi important que celui-ci n’a-t-il pas vocation à intégrer la Constitution, puisqu’il se situe entre les grands principes – heureusement stables depuis 1958 – et la décision politique immédiate ?

M. Arnaud Richard. Je trouve l’argument des cent jours très pertinent pour la méthode de gouvernance. Ce n’est pas notre Constitution qui se révèle défaillante, c’est la manière dont on la fait vivre. Les parlementaires n’utilisent pas tous leurs pouvoirs, mais les rapporteurs spéciaux qui les ont employés se sont attiré bien des problèmes.

Le principe du spoil system, bien qu’imparfait, permet à des hauts fonctionnaires de se préparer à l’exercice de certaines fonctions, et il conviendrait de réfléchir à l’importation de cette culture en France. La construction des équipes gouvernementales semble souvent résulter de l’improvisation, et certains directeurs ou directeurs-adjoints de cabinet ne sont pas formés à leur poste, qui exige pourtant d’eux de prendre rapidement des décisions importantes, le temps du politique différant du leur. Le spoil system permet également de mieux associer l’administration centrale, afin que ses directeurs accueillent sereinement les changements de gouvernement.

Le MES a été proposé au Parlement par un amendement déposé lors d’une séance de nuit à une heure et demie du matin. Seuls le rapporteur général du budget et le président de la Commission des finances étaient au courant des contours de ce mécanisme. Tout le monde a voté l’amendement, mais dans des conditions de travail très immatures.

Avant chaque Conseil européen, un débat est organisé au Parlement, mais il n’a de débat que le nom, car il s’agit de prises de parole non suivies de vote ; en Allemagne, au contraire, la Chancelière se rend à ces réunions munie d’une feuille de route établie par sa majorité parlementaire et, si elle doit changer de position, il lui faut demander une suspension de séance pour s’assurer à nouveau du soutien de sa coalition. Cette différence fondamentale explique en partie l’incompréhension qui règne parfois avec nos partenaires allemands.

Comme pour Mme Parisot, le dialogue social revêt une grande importance à mes yeux. Mais les gouvernements qui demandent au Parlement de transposer un accord national interprofessionnel (ANI) dans la loi exigent que les députés et les sénateurs ne procèdent qu’à une simple retranscription du travail des partenaires sociaux. Cette situation s’avère gênante et rend nécessaire la clarification du concept de démocratie sociale.

Enfin, les partis allemands membres de la coalition au pouvoir ont bâti pendant deux mois, à l’issue des élections, un programme de 160 pages qui traite de l’ensemble des sujets de politique publique qu’ils souhaitaient porter pendant la législature. En France, nos pratiques nous éloignent hélas d’une telle méthode.

M. Alain-Gérard Slama. Je remercie nos deux invités, qui ont bousculé mes idées reçues ; les propos de Mme Laurence Parisot au sujet du président de la République m’ont beaucoup touché. La manifestation du 11 janvier dernier a répondu à une réaction instinctive, décuplée par la force des réseaux sociaux. Elle a renforcé le Président de la République, dont la personne a réussi à incarner l’expression d’un sentiment collectif. Le problème du Président est qu’il s’occupe de tout car la cour qui l’entoure lui interdit de hiérarchiser les problèmes qu’il a à trancher. En raison de son parcours et de sa position, il a tissé des relations suffisamment étroites avec les décideurs de la société civile pour choisir les personnes dans l’administration et la société civile ; il y a donc lieu de ne pas lui octroyer en plus une capacité institutionnelle de nomination, que François Mitterrand avait essayé de réduire sans y parvenir. Cette logique du pouvoir, décrite par les philosophes et les sociologues, s’avère paralysante et catastrophique pour notre pays, et le quinquennat n’a apporté aucune amélioration en la matière.

La proposition de Mme Parisot d’octroyer cent jours de réflexion au président élu présente l’inconvénient de paralyser le pouvoir sortant, les Américains appelant « période des canards boiteux » ces deux et quelque mois durant lesquels le chef de l’État sortant achève son mandat. L’instauration d’une telle période accroîtrait la personnalisation du choix du président de la République, car il serait censé ne pas avoir arrêté définitivement les grandes lignes de son mandat lors de la campagne ; en conséquence, le vote des électeurs reposerait sur une confiance intuitu personae. Il est vrai que la dérive consistant pour le Président à être élu sur le fondement d’un programme de plus en plus détaillé, ressemblant à un projet de gouvernement et s’éloignant de l’article 5 de la Constitution, s’avère néfaste, mais il convient de se méfier de la propension à élire une personne sur la simple foi de son apparence. J’approuve cependant la proposition de Mme Parisot de procéder à une évaluation du bilan de l’équipe sortante, car le nouveau président ne devrait plus pouvoir invoquer la découverte d’un héritage catastrophique aux fins de diluer sa propre responsabilité.

M. Jean Pisani-Ferry a regretté que la France manque d’une culture fédéraliste ; ce constat est évident, puisque c’est l’État qui a construit la nation dans notre pays. Michel Debré avait dit aux chefs d’État européens que le fédéralisme ne marchait pas ; son constat était juste, si l’on fait exception des États-Unis et de la Suisse. L’Allemagne est le seul pays de l’Union européenne (UE) à disposer d’une culture réellement fédéraliste ; la France, quoi qu’il en soit, en est dépourvue. L’Espagne et l’Italie doivent faire face à l’éclatement de leur nation et à la volonté de certaines de leurs régions d’adhérer directement à l’UE.

Nous pâtissons d’un manque de culture de l’évaluation ; la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) a engendré de nombreuses déceptions et a montré que notre pays éprouvait de grandes difficultés à évaluer ses pratiques.

Madame Parisot, monsieur Pisani-Ferry, le problème que vous avez posé ne rejoint-il pas la question de la subsidiarité ? L’Église s’est heurtée à cette question, et très peu d’évêques laissent agir les curés de leur évêché, même quand les sujets à traiter relèvent de la compétence de ces derniers. Cela ne démontre-t-il pas que la pente naturelle de tout pouvoir conduit à refuser la répartition claire et efficace des tâches ? Il s’agit là d’un problème général pour lequel l’intervention des sociologues s’avère plus utile que celle des juristes.

Mme Marie-Louise Antoni. Toutes les entreprises se reposent la question de leur gouvernance et de l’adaptation de leur organisation, afin de faire face aux transformations du monde. Elles cherchent à mieux écouter leurs clients et à faire adhérer davantage leurs collaborateurs à leur action. Le dysfonctionnement n’est pas inquiétant si l’on reste à l’écoute du monde. Les sociologues et les consultants peuvent nous aider à poser des questions d’intérêt commun. Nous nous trouvons sur un terrain certes mouvant, mais également fécond.

Mme Mireille Imbert-Quaretta. Le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation et le Conseil d’État auraient tranché, nous dit-on, la question de la hiérarchie des normes en affirmant la primauté de la Constitution sur le droit européen, mais les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) s’imposent aux États, si bien que le débat reste ouvert.

Mme Marie-Anne Cohendet. La toute-puissance présidentielle émerge une nouvelle fois dans nos débats ; elle crée un problème pour notre démocratie, notamment parce qu’elle constitue un obstacle au développement d’une construction européenne saine. La faiblesse de la démocratie française par rapport à l’UE et à l’Allemagne résulte de l’absence de mandat donné au chef du Gouvernement par le Parlement avant chaque Conseil européen. Les Français ne choisissent pas directement le Premier ministre, contrairement à leurs voisins allemands, si bien qu’ils se sentent dessaisis du débat politique : ils signent un chèque en blanc tous les cinq ans à un Président omnipotent et incontrôlable. Comme le montre la richesse des débats parlementaires allemands, notamment en matière européenne, l’efficacité est le produit de la démocratie. Les institutions fonctionnent si les citoyens se sentent représentés, ce qui suppose du débat et de la participation.

La gouvernance des entreprises illustre également la conciliation entre efficacité et démocratie, conciliation que ne permet pas la prépotence présidentielle. Les grandes entreprises qui réussissent le mieux se révèlent les plus démocratiques : ainsi, la direction de Google consulte ses employés et organise de vrais débats pour prendre en compte l’opinion de chacun.

Si le Président de la République revenait à sa juste place, la question des cent jours ne se poserait plus. La récente embellie de la popularité présidentielle tient au fait que M. Hollande a épousé son vrai rôle de garant de l’unité de la nation. Lorsque le Président redevient un arbitre, l’adhésion de la population s’accroît, et les parlementaires peuvent à nouveau légitimer et contrôler le Gouvernement.

M. le président Claude Bartolone. Monsieur Pisani-Ferry, vous êtes intervenu sur le lien entre pouvoir faible et pouvoir limité, et vous avez invoqué l’exemple du MES, au sujet duquel la démocratie n’a pas fonctionné : les organes démocratiques européens ont alors défailli, puisque les décisions n’étaient plus prises par la Commission, mais par le Conseil, si bien que le contrôle du Parlement européen disparaissait et que celui des parlements nationaux diffère d’un pays à l’autre. Nous devons donc nous interroger sur la redéfinition des lieux de pouvoir. M. Richard a souligné le fait que le Parlement français pourrait d’ores et déjà agir pour influencer la définition de la politique européenne et contrôler son exécution. Je regrette qu’il n’existe pas de commission permanente de plein exercice dédiée aux questions européennes au sein de l’Assemblée nationale ; la délégation aux affaires européennes, devenue commission « transversale », nous a permis de rattraper une partie de notre retard, mais cela s’avère insuffisant.

Nous ne pourrons éluder la question de la nécessaire intégration des parlements nationaux au sein des institutions européennes, qui pourrait, à budget constant pour ne pas heurter nos amis allemands, prendre les traits d’un sénat ; en effet, le Parlement européen se révèle trop éloigné des citoyens et des parlementaires nationaux, et fonctionne selon une temporalité qui renforce cette distance. Si on explique que l’absence de contrôle démocratique constitue la méthode pour combattre la crise, on creuse le fossé entre l’Europe et les populations. La situation grecque a illustré les inconvénients d’un système où la trop longue prise de décision aggrave la crise. Il faut revenir au principe rousseauiste d’un contrôle démocratique identifié et approfondi.

Le retour en grâce du Président de la République découle davantage du caractère symbolique de sa fonction, qui s’est donné à voir à l’occasion de la crise ouverte par les attentats de la semaine dernière, que des décisions prises lors de ces événements. Si l’on devait célébrer l’action du Président de la République et du Premier ministre, on se réjouirait des nominations judicieuses opérées dans les services de renseignement et la police, ainsi que du bon fonctionnement de nos institutions, les forces de l’ordre étant intervenues sous le contrôle de la justice.

Cette situation nous ramène à la question de l’identification des titulaires du pouvoir et de l’intervention des acteurs étatiques. Comme cette interrogation reste souvent sans réponse, on soustrait au contrôle démocratique tout un pan de l’action publique. Alors que les sujets relatifs à l’immigration et à l’intégration nécessitent une analyse et des réponses politiques, on a créé un comité « Théodule » ad hoc qui enlève de l’influence au Parlement.

Vos deux interventions, madame, monsieur, nous indiquent la direction dans laquelle ce groupe sur l’avenir des institutions doit travailler.

Madame Parisot, vous avez évoqué la temporalité de la décision politique, sujet sur lequel il convient de se pencher. Quel est le système qui permet d’effectuer un contrôle démocratique adapté au temps politique ? Nos collègues du Bundestag se posent les mêmes questions que nous et ne comprennent pas que leurs travaux n’intéressent pas le peuple allemand ; or cela est dû au fédéralisme, car les responsables des sujets sociétaux sont les Länder et non l’État fédéral. Par ailleurs, les Allemands sont incapables de conduire une intervention militaire comme celle de la France au Mali.

Monsieur Alain-Gérard Slama, l’émotion a été provoquée la semaine dernière par l’assassinat de journalistes ; la mobilisation des médias n’est sans doute pas suffisante et une émotion partagée s’avère nécessaire pour que le peuple se rassemble ; j’ai ainsi été effrayé du silence de la nation française après l’agression le 1er décembre dernier à Créteil d’un couple juif dont la femme a été violée.

Comment utiliser positivement la colère à l’origine de la mobilisation des citoyens ? Pour répondre à cette question, il convient là encore d’identifier ceux qui peuvent agir. Sur ce terrain, on peut se demander si la limitation du pouvoir n’est pas un facteur de sa reconnaissance et donc de sa force.

Mme Laurence Parisot. Tout ne doit pas être fait en réaction immédiate aux événements. Lorsque j’étais présidente du Mouvement des entreprises de France (MEDEF), j’avais instauré, sur la suggestion du secrétaire général de Force ouvrière, Jean-Claude Mailly, un temps de délibération précédant chaque négociation sociale. Il permettait de s’accorder sur des diagnostics, des définitions et des idées que l’on souhaitait présenter lors de la négociation. La délibération est importante et il s’avère nécessaire d’accorder plus de temps au débat, même si cela pose la question de la délégation.

L’onction démocratique n’est pas la seule source de légitimité : celle de la compétence compte également. M. Mohamed el-Baradei, président de l’Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), affirmait qu’il n’y avait pas d’armes de destruction massive en Irak, alors que M. George Bush défendait la position inverse : entre les deux, c’est le premier qui possédait la compétence, donc la plus forte légitimité. Les élus démocratiques sont-ils prêts à accepter de déléguer une partie de leur pouvoir à des autorités non élues mais compétentes ? Dans le domaine du dialogue social, j’estime ainsi que des délégations peuvent être transférées aux partenaires sociaux.

J’aime le verbe « subsumer », insuffisamment employé à mes yeux et qui signifie « penser un objet individuel comme compris dans un ensemble », selon le Petit Robert. Le Président de la République devrait subsumer, c’est-à-dire penser les différents éléments individuels dans leur ensemble. Il faut donc penser la subsomption, la délégation, et la reconnaissance des légitimités autres que démocratiques.

Il y a lieu de s’interroger sur les voies par lesquelles le Parlement européen pourrait davantage s’intéresser aux parlements nationaux ; par ailleurs, la chaîne parlementaire (LCP) et Public Sénat devraient retransmettre davantage de débats du Parlement européen en direct, afin de renforcer la visibilité et la lisibilité de ceux-ci. On peut en effet avoir l’impression de subir des décisions par manque d’accès à l’information.

S’agissant du traité transatlantique, n’oublions pas que la Commission européenne a reçu délégation des gouvernements de l’UE pour le négocier avec les États-Unis. Contrairement à ce que l’on lit, cette négociation n’est pas opaque, et il est possible d’avoir accès à l’information ; d’ailleurs, toutes les fédérations professionnelles concernées par ce traité connaissent l’état des négociations et ajustent leur lobbying en fonction de celui-ci. Si les fabricants européens de pare-chocs s’alarment à l’idée que pourraient leur être imposées les normes américaines, c’est bien le signe que l’information est disponible !

Je n’ai pas de conviction arrêtée sur le spoil system, mais il serait utile de l’approfondir car il existe dans les faits et, comme il n’est pas organisé, il s’avère délétère pour tout le monde.

La période des cent jours – qui pourrait être plus courte – n’induirait pas forcément une concentration de la campagne électorale sur la personne plutôt que sur le programme. Les élus et leurs équipes ont besoin d’un temps de travail pour préparer la mise en œuvre du projet pour lequel ils ont été élus. C’est d’autant plus important que l’on dresse toujours le constat que les difficultés naissent de l’exécution des idées et non de leur contenu. La mise en œuvre du bouclier fiscal par M. Sarkozy en 2007 et celle de la taxe de 75 % sur les hauts revenus par M. Hollande en 2012 ont été toutes deux désastreuses : remettre un chèque aux personnes détenant un patrimoine élevé dans le premier cas, déployer une mesure fiscale comportant autant d’effets pervers dans le second, ont condamné ces décisions à l’échec.

Enfin, nous devons réfléchir aux liens entre les institutions et le « quatrième pouvoir » : celui des médias et, aujourd’hui, des réseaux sociaux.

M. Jean Pisani-Ferry. Dans l’appréhension de la temporalité, il convient de distinguer les urgences réelles de celles qui ne le sont pas. Rien n’imposait d’expédier la discussion parlementaire sur le MES en fin de soirée, même si certains problèmes, y compris dans le domaine économique, exigent un traitement immédiat. Au moment de la crise financière en Europe, on a parfois décrété l’urgence de manière abusive, au détriment de la délibération. Là se trouve sans doute un terrain de reconquête démocratique.

Le tribunal constitutionnel de Karlsruhe a pris soin de renvoyer la question des opérations monétaires sur titres (OMT) à la CJUE tout en assortissant cette saisine de remarques visant à guider celle-ci dans sa prise de décision – même s’il semble bien qu’elle n’en tienne guère compte.

Le débat constitutionnel allemand sur les OMT se révèle très intéressant, car il s’articule autour de la répartition des compétences entre une banque centrale indépendante et un parlement démocratiquement élu. Dans la pensée allemande, la politique monétaire n’induit pas d’effets distributifs et peut donc être déléguée à une instance indépendante, alors que toutes les politiques ayant de tels effets doivent relever du Parlement. La contestation des OMT n’est donc pas uniquement mue par la volonté de défendre l’orthodoxie de la Banque centrale européenne : elle traduit également la conviction que la décision d’apporter une aide financière à un pays ne peut être du ressort d’une banque centrale. Il est nécessaire de disposer de principes fondamentaux en la matière, ce qui n’est pas le cas en France où l’indépendance de la banque centrale est récente. Si l’Allemagne nous a bien imposé des politiques, nous l’avons également amenée à épouser certaines de nos volontés, parfois contre son inclination.

Tommaso Padoa-Schioppa distingue le pouvoir fort dans un domaine de compétence à l’étendue limitée, du pouvoir faible qui empêche toute lisibilité et engendre un mauvais fonctionnement démocratique. Or, des communes aux organisations internationales, nous présentons aujourd’hui aux citoyens une collection de pouvoirs faibles. L’enchevêtrement de compétences nourrit cette addition d’impuissances, qui noie la responsabilité et affaiblit l’adhésion à la démocratie. Le fédéralisme n’appartient pas à la culture française, mais nous vivons dans un modèle de décision segmentée. Cette question se pose encore plus au Royaume-Uni, qui a mis en œuvre la dévolution, et en Espagne, pays confronté aux revendications régionales ; nous constatons donc la généralisation du mouvement de décentralisation et d’intégration internationale, qui favorise les pays déjà fédéraux. Quant aux accords nationaux interprofessionnels (ANI), ils posent la question de la répartition horizontale des compétences entre l’État et les partenaires sociaux. Le modèle de la transposition se révèle mauvais, car il nie le pouvoir d’amendement du Parlement ; il serait préférable de déléguer à l’auteur du texte la capacité de décision.

Nous devons opérer une clarification approfondie de la répartition des pouvoirs, tout en sachant qu’elle ne sera pas totale puisqu’une partie de la décision repose sur la coordination liée à l’interdépendance de nombreuses politiques. Il convient de développer un mode efficace de coopération, même si on cherche à en restreindre l’étendue. À l’occasion de la création de programmes d’assistance comportant un engagement budgétaire pour les États-membres, les parlements nationaux sont irréversiblement entrés dans le jeu européen ; nous n’avons, par contre, pas encore trouvé la solution permettant de socialiser l’intervention de ces parlements. Les constructions institutionnelles gérant aujourd’hui l’assistance, notamment la « Troïka », sont des monstres ; d’ailleurs, la Commission européenne ne s’est jamais prononcée sur un seul programme de la « Troïka », alors même qu’elle y engage toute sa crédibilité, ses services l’aidant sous la tutelle de l’Eurogroupe, mais sans contrôle du Parlement européen.

Entre les derniers mois d’une campagne présidentielle américaine et le fonctionnement de croisière d’une nouvelle administration, il s’écoule neuf mois. Dans un système où l’élection présidentielle doit être suivie des élections législatives, il paraît douteux qu’un nouveau président accepte un délai de cent jours, car il pourrait voir sa popularité décliner au cours de cette période.

Je suis moins optimiste que Mme Parisot sur l’accès à l’information relative à la négociation du traité transatlantique et, à cet égard, je m’étonne que l’on reproduise les mêmes erreurs que par le passé.

On voit dans le spoil system la possibilité d’ouvrir les postes de responsabilité à des personnes ne provenant pas de l’administration et d’alimenter une culture de think tank qui permet de réfléchir à la mise en œuvre d’une politique. Le système français s’est dégradé car la non-politisation de l’administration n’existe plus.

Il convient d’avancer pas à pas dans le domaine de l’évaluation, car s’y acclimater requiert du temps. Quel usage faire de l’expérimentation ? Constitue-t-elle une bonne réponse si le Parlement hésite sur une politique ? S’avère-t-il pertinent d’adopter des dispositions à durée limitée – ou sunset clause – subissant une évaluation au terme de la période prévue ? Se pencher sur ces questions permettrait d’élaborer une méthode efficace d’évaluation au service du travail législatif.

Mme Laurence Parisot. De la Constitution, je récrirais l’article 34, et je donnerais un pouvoir normatif aux accords signés par les partenaires sociaux, à condition qu’il s’agisse d’accords majoritaires.

Table ronde sur le thème de l’Europe, avec MM. Yves Bertoncini, Jean-Louis Bourlanges et Jean Quatremer.

M. le président Michel Winock. L’Europe est en panne. C’est là un constat que nous suggèrent au moins deux réalités : le fort taux d’abstention aux élections européennes et la montée en force des partis eurosceptiques et europhobes. D’une manière générale, on assiste à un déclin des opinions favorables à l’intégration européenne.

En 2014, le taux de participation pour ces élections s’est établi, en France, à 43,5 %, mais le décrochage remonte à 1999, année depuis laquelle ce taux est resté sous le seuil des 50 % – rappelons que les premières élections, en 1979, avaient mobilisé près de 61 % des inscrits. Ce phénomène est général au sein de l’Union, le chiffre français étant proche de la moyenne européenne, mais certains pays résistent mieux à l’abstentionnisme, comme le Danemark, l’Irlande ou l’Italie.

La montée en puissance des partis eurosceptiques et europhobes n’est pas non plus l’apanage de la France, mais, pour la première fois en 2014, le Front national a remporté les élections européennes avec près de 25 % des suffrages, passant ainsi de 3 à 24 sièges. À ces chiffres de l’extrême droite, il faut ajouter plus de 6 % de votes hostiles venus de l’extrême gauche.

Cette double opposition à l’Union européenne, les spécialistes l’expliquent de deux manières. À droite, le « syndrome de l’autoritarisme » serait un facteur déterminant : la relégation de l’espace national au profit de l’espace communautaire et les transferts de souveraineté laissent craindre une perte de l’autorité et de la cohésion nationales. Comme l’explique Bruno Cautrès, « autoritarisme, ethnocentrisme et pessimisme social constituent les traits caractéristiques d’une certaine catégorie de la population globalement intolérante, au sein de laquelle prévalent les valeurs d’ordre, d’appartenance nationale et une vision pessimiste de l’environnement social et politique ». À l’extrême gauche domine la crainte que l’Europe néolibérale ne remette en cause la protection sociale dont les Français bénéficient au niveau national.

Il est remarquable que le taux d’adhésion à l’Union soit proportionnel aux niveaux de revenus et d’instruction. D’après une enquête du Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF) en 2012, si 52 % des Français considèrent que l’appartenance à l’Union européenne est « une bonne chose », l’écart est sensible entre, d’une part, les cadres et professions intellectuelles supérieures – 78 % – et, de l’autre, les employés – 43 % – et les ouvriers – 40 %.

Pour expliquer le désamour ou l’indifférence, on a mis en cause la faible visibilité des questions européennes dans les médias et dans les campagnes électorales, toujours dominées par les enjeux nationaux. La chaîne publique France 2 a ainsi refusé, en 2014, de diffuser des débats entre candidats à la présidence de la Commission européenne, dans la crainte d’un taux d’écoute trop faible.

Au-delà des idéologies, nous devons nous demander si les institutions européennes ne sont pas par elles-mêmes la cause du rejet ou de l’indifférence. Complexes, bureaucratiques, technocratiques, elles sont fort mal comprises par nos concitoyens. Depuis les années 1970, le thème s’est développé du « déficit démocratique » de la communauté européenne. Ce thème était repris par la Déclaration de Laeken en 2001 : « À l’intérieur de l’Union, il faut rapprocher les institutions européennes du citoyen. [Ceux-ci] demandent moins de lourdeur et de rigidité et surtout plus d’efficacité et de transparence. [Les] citoyens trouvent que tout se règle bien trop souvent à leur insu et veulent un meilleur contrôle démocratique. » On peut certes noter un progrès, notamment avec l’élection du Parlement européen au suffrage universel depuis 1979. Ce même Parlement s’est vu attribuer par les traités de Maastricht puis de Lisbonne des pouvoirs accrus en matière législative et budgétaire. Il a également le pouvoir d’élire le président de la Commission, sur proposition du Conseil européen. En 2014, ce dernier a proposé la nomination de Jean-Claude Juncker, candidat désigné par le parti ayant obtenu le plus de voix aux élections, dont il était ainsi tenu compte. Le président Bartolone a exposé, dans le document qui vous a été communiqué, la nouvelle Conférence budgétaire interparlementaire. On assiste donc à une sorte de parlementarisation de l’Union.

Toutefois, le Parlement ne dispose ni du pouvoir d’initiative des lois, ni du pouvoir constituant qui lui permettrait de modifier les traités de l’Union. D’autre part la composition de la Commission, qui est l’exécutif européen, reste indépendante des résultats électoraux, chacun des vingt-huit États membres désignant un commissaire. Une révision démocratique s’impose car, même si chacun des commissaires doit être confirmé par le Parlement, les électeurs n’ont pas de prise directe sur l’organe central de la gouvernance européenne. Certes, il existe des procédures de démocratie directe, comme le droit de pétition ou le recours au médiateur, mais ils sont mobilisés par une petite élite de gens informés.

Quelles seraient les réformes souhaitables pour donner plus de visibilité et plus de poids démocratique à ces institutions ? Faut-il élire un président de l’Union au suffrage universel ? La formation de partis européens, qui dépassent le cadre national, est-elle souhaitable pour les élections ? Quid de l’organisation de référendums simultanés ou d’un cahier des charges imposé aux chaînes de télévision publique pour les campagnes électorales ?

M. Jean-Louis Bourlanges. Il est toujours intéressant, pour ceux qui, comme nous, sont impliqués dans les tribulations de la construction européenne, de s’exprimer devant un tel aréopage. Ce qu’a dit Michel Winock est juste, même si je ne perçois pas forcément les choses dans l’ordre qui est le sien et, plus généralement, celui de l’opinion, tant certaines d’entre elles me semblent surdéterminantes par rapport à d’autres, pour emprunter au jargon sociologique de naguère.

En premier lieu, le tournant eurosceptique date du milieu des années 1990, lorsqu’une nouvelle génération de dirigeants a pris la relève des « euro-fervents » : Felipe Gonzales a été remplacé par José María Aznar, le démocrate-chrétien et le socialiste italiens Andreotti et Craxi par Berlusconi, Kohl par Schröder, lequel, alors adversaire de l’euro, confiait encore récemment que, lors de son arrivée au pouvoir, il n’avait pas effacé en lui toute trace de populisme. En France, Jacques Chirac avait sur l’Europe une position que l’on peut qualifier de pragmatique, et Lionel Jospin, beaucoup moins impliqué dans la construction européenne que Jacques Delors, avait confié à un journaliste que le seul reproche qu’il adressait à François Mitterrand était d’avoir choisi, lorsque il eut à le faire, l’Europe plutôt que le socialisme – il est d’ailleurs significatif que, dans l’esprit de M. Jospin, les deux fussent antagoniques.

La même tendance s’est observée sur la scène politique, avec la crise et la marginalisation des partis démocrates-chrétiens un peu partout en Europe – et même la disparition de l’Union pour la démocratie française (UDF) en France –, la crise de la social-démocratie dans de nombreux pays européens, et l’émergence conjointe de partis tels que Die Linke en Allemagne. L’équation qui en résulte est perverse, les nouveaux leaders assumant l’héritage, notamment la marche vers l’euro, tout en refusant d’aller plus loin ; elle détermine trois crises majeures : une crise institutionnelle survenue avec les référendums de 2005 ; une crise internationale avec l’explosion de l’Union sur l’affaire irakienne ; une crise économique, conséquence au fond très classique de l’absence de droit d’ingérence et de devoir de solidarité entre les membres d’un espace resté seulement monétaire. De fait, une politique économique sans un tel droit d’ingérence, assorti le cas échéant de sanctions – les critères relevant d’une plaisanterie perçue comme telle par les États –, rend inévitables les difficultés que l’on a vues.

Conjointement à ces phénomènes, on assiste à l’émergence de partis populistes, à la droitisation du néolibéralisme – du modèle Giscard vers un modèle Thatcher – et à la conclusion d’accords politiques entre partis de droite et partis populistes, par exemple aux Pays-Bas, en Autriche et au Danemark. Nous sommes ainsi dans une situation d’anomie, associant contradictoirement intégration monétaire et résistance identitaire. Cela fut d’ailleurs aggravé par la transition entre les années 1990 et les années 2000. Les premières furent des années d’illusion : l’Europe serait devenue inutile – dixit Gordon Brown –, les droits de l’homme auraient triomphé, consacrant la fin de l’Histoire, l’hyperpuissance américaine aurait aboli la politique étrangère et la mondialisation, heureuse, rendu inutile toute politique économique ; lorsqu’elle est toutefois ressentie comme malheureuse, on veut s’en prémunir, l’Europe apparaissant alors comme un espace d’interpellation ricardienne à des sociétés désireuses de rester keynésiennes.

L’euroscepticisme n’est donc pas apparu récemment ; il résulte de la fin de la Guerre froide. Le 11 Septembre marque en effet le retour de l’Histoire : nos sociétés ont découvert qu’elles étaient confrontées à l’islamisme intégriste et violent ou à la dichotomie chinoise entre capitalisme et démocratie ; de sorte que les valeurs que nous tenions pour universelles nous apparaissent plutôt comme le capital précieux de ce « petit cap du continent asiatique » évoqué par Valéry, ce qui implique que nous nous entendions. L’Europe cesse d’être inutile cependant que l’hyperpuissance américaine s’effondre ; elle fait face à trois théâtres de crise, en Afrique sahélienne, au Moyen-Orient et en Russie, sans y être préparée car elle a relâché ses efforts en matière de défense. Depuis l’admirable discours du président Mitterrand en 1983, le contexte a profondément changé ; il impose que nous affrontions les menaces solidairement.

Sur le plan économique, la mondialisation n’étant pas heureuse mais asymétrique, nous devons défendre collectivement nos intérêts, tout en assortissant notre politique monétaire d’une politique économique. L’an 2000 a marqué l’apogée de la schizophrénie entre, d’une part, le repli identitaire, le retour au culturel et à l’originaire contre l’idéologie, et, de l’autre, les défis que nous devons assumer solidairement ; d’une certaine façon, la manifestation de dimanche se voulait une réponse à cette dichotomie.

C’est à mon sens une erreur de présenter la crise politique comme une crise institutionnelle. Sans doute y a-t-il beaucoup à faire en matière institutionnelle – je suis pour ma part favorable au système proportionnel et à une plus grande souplesse, par exemple –, mais c’est considérer la crise par le petit bout de la lorgnette que de la résumer à ce seul aspect, y compris lorsque l’on prend le personnel politique comme bouc émissaire. En réalité, le problème est celui de l’insertion de la France dans une communauté de plus en plus mondialisée, partant de l’adaptation de l’État national aux enjeux mondiaux. De ce point de vue, la position du Front national est pour le moins paradoxale, qui plaide pour des frontières d’autant plus fermées que les enjeux les dépassent. Bref, la vraie question est celle d’une gouvernance européenne voire mondiale et, à l’intérieur de nos frontières, d’une nouvelle articulation entre l’État et la société, notre modèle d’intégration et de protection sociale souffrant de graves défauts. Incriminer les élus est une facilité : les élus ont tous les défauts que l’on veut, mais, que l’on me passe ce truisme, ce sont les électeurs qui les désignent. Il faudrait que notre pays cesse de considérer que l’objectif est d’empêcher ceux qu’il a choisis de faire leur travail.

Quoi qu’il en soit je récuse l’idée d’un déficit démocratique de l’Europe. Le système institutionnel avait atteint, à Maastricht, un équilibre qui fut malheureusement compromis à Nice, notamment avec l’attribution d’un poste de commissaire par État membre, aux dépens de la représentativité réelle, et la séparation – heureusement remise en cause à Lisbonne – entre deux chefs de l’exécutif, l’un en charge de la politique extérieure, l’autre à la tête de la Commission. Pour le reste, le système fonctionne, et il est représentatif ; au demeurant, que signifierait la démocratie directe pour une communauté de 500 millions d’habitants ? Nous devons nous réhabituer à faire confiance à nos représentants.

Aussi bien faut-il également relativiser, de mon point de vue, la crise de confiance dans les institutions. Dire que tout vient de l’Europe est un non-sens au vu du faible niveau de compétences dont dispose l’Union. Pour 80 % d’entre eux, les grands champs de la politique restent du domaine national, qu’il s’agisse de la politique étrangère et militaire, de l’économie, de la fiscalité, de l’éducation, de la protection sociale, du droit du travail, de la sécurité ou des collectivités territoriales. L’abstention se nourrit pourtant du sentiment que l’Europe se mêle de tout, sans qu’on sache très bien comment.

D’autre part, les élections présidentielle et législatives, en France, déterminent l’avenir du pays pour les cinq années qui suivent ; il en va tout autrement des élections européennes, dès lors que le Parlement de Strasbourg exerce un pouvoir au sein d’un système qui, fondé sur l’équilibre d’institutions dont chacune est démocratique, doit beaucoup plus à Montesquieu qu’à Rousseau. Le Conseil européen est composé, rappelons-le, de personnalités élues, directement ou indirectement, au suffrage universel et le Conseil de l’Union européenne, de membres de gouvernements responsables devant leurs parlements nationaux, eux-mêmes élus au suffrage universel.

Enfin, les électeurs doivent savoir qu’ils participent, au niveau européen, à une démocratie de négociation et de dosage, non à la démocratie de confrontation et d’exclusion qui caractérise notre système majoritaire. On ne peut à la fois célébrer ce que l’on célèbre depuis le 11 janvier et faire reproche à la gauche, au centre et à la droite modérée de négocier des solutions de compromis fidèles aux assises de la société.

La dualité des projets recouvre, c’est sans doute là le vrai problème, une dualité institutionnelle. En réalité, deux Europe coexistent. La première est l’Europe du marché commun, laquelle évolue vers une communauté politique – que certains voudraient fédérale – ou, en tout cas, vers la mise en commun de politiques qui dépassent le seul domaine monétaire, la crise de l’euro ayant montré la nécessité d’une politique active, solidaire et harmonisée au sein de la zone. L’autre Europe est celle de l’Association européenne de libre-échange, l’AELE, dont la capitale est Londres. La coexistence de ces deux Europe est intellectuellement possible, et elle serait même utile. La sortie du Royaume-Uni de l’Union serait une très mauvaise nouvelle – notamment au vu de nos responsabilités extérieures –, mais il est tout à fait possible de combiner une Europe élargie, communauté juridique de libre circulation et d’échange, avec une autre plus politique et plus volontaire au sein de la zone euro ; cette solution se heurte toutefois à des difficultés considérables, car les institutions que l’Europe restreinte voudrait approfondir sont l’apanage de l’Europe élargie. Il faudrait également doter la zone euro d’institutions renforcées, sans doute d’un responsable gouvernemental unique pleinement dédié à cette tâche et d’une assemblée parlementaire que, pour ma part, j’imagine composée de représentants des commissions des finances des parlements nationaux et des deux commissions compétentes du Parlement européen. Or les Britanniques, les souverainistes et les exécutifs nationaux ne veulent pas de cette solution, non plus d’ailleurs que les responsables des institutions européennes, réticents à l’idée que celles-ci abritent en leur sein des organes à caractère fédéral. Aussi les dernières élections n’ont-elles pas permis de poser la vraie question, à savoir comment donner un prolongement institutionnel et politique à ce saut qualitatif que fut l’Union économique et monétaire. Nous sommes donc dans un entre-deux un peu étrange : alors que, empiriquement, deux tabous ont été levés – l’ingérence réciproque et la solidarité entre les membres –, la question de savoir comment donner à la politique économique et monétaire des assises gouvernementales et démocratiques plus fermes demeure sans réponse.

M. le président Claude Bartolone. Nous vous avons laissé plus de temps, monsieur Bourlanges, pour vous montrer que nous ne vous gardons pas rancune des critiques que vous aviez exprimées sur les ondes à l’égard de notre groupe de travail… (Sourires.)

M. Jean-Louis Bourlanges. Lorsque je formule des critiques, monsieur le président, je suis bien plus sévère que je ne le fus en cette occasion… (Sourires.)

M. le président Claude Bartolone. Nous allons maintenant entendre M. Yves Bertoncini, directeur de « Notre Europe », laboratoire d’idées fondé par Jacques Delors. Vous et votre équipe internationale avez réalisé, monsieur le directeur, des études de grande qualité sur la perception des questions européennes au sein des États membres.

M. Yves Bertoncini. S’agissant de l’Europe, le déficit de participation et de débat public traduit au fond le déficit de compétences et de pouvoir de l’Union ou de son Parlement. L’Union est, selon les mots de Jacques Delors, une fédération d’États-nations, où ces derniers détiennent l’essentiel des compétences. Dans ces conditions, l’idée d’un déficit de participation aux élections européennes est une prémisse totalement erronée.

Les comparaisons historiques sont trompeuses. L’anormal, c’est que plus de 60 % des électeurs européens aient voté, en 1979, pour élire un Parlement sans pouvoir au sein d’une communauté économique presque dépourvue de compétences. Les comparaisons géographiques avec d’autres systèmes fédéraux sont bien plus éclairantes. Depuis 1979, le taux de participation aux élections fédérales en Suisse, souvent regardée comme une démocratie exemplaire, oscille entre 42 et 49 %, et il reste bas aussi aux États-Unis. Pour l’Europe, la situation est donc désespérée mais pas grave – sur d’autres sujets, c’est peut-être l’inverse... Selon une idée reçue, 80 % de nos lois seraient d’origine bruxelloise, mais, en réalité, seules 20 % environ le sont. Lorsque l’Union exerce de vrais pouvoirs, alors les citoyens et les acteurs concernés – les agriculteurs, par exemple – s’impliquent, a fortiori lorsque la « Troïka » s’en mêle.

Nos études, comme celles de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC), attestent un profond déséquilibre, en France, entre l’exécutif et le parlementaire, et plus particulièrement un déficit du contrôle parlementaire ; mais ce phénomène tient davantage à la nature de la Ve République qu’à la construction européenne, laquelle ne fait que l’aggraver. Lorsque Mme Merkel négocie à Bruxelles, elle en rend compte au Bundestag en amont et en aval ; or la Constitution française interdit au Président de la République de faire de même. C’est donc Manuel Valls qui, courageusement, vient vous rendre compte de réunions auxquelles il n’a pas participé… La réforme constitutionnelle de 2008 a renforcé le rôle du Parlement français, notamment sur ses missions de contrôle, mais la dyarchie que je viens d’évoquer subsiste.

Je souscris à la distinction entre euroscepticisme et europhobie ; le premier, M. Bourlanges l’a rappelé, est un phénomène ancien, et le second suppose une expression plus virulente. Un parti europhobe veut sortir de l’Union, de l’espace Schengen ou de la zone euro ; un parti eurosceptique, lui, se montre très critique envers l’Union sans la rejeter. Autrement dit et par exemple, le Front national est europhobe, et la SYRIZA eurosceptique.

Des partis eurosceptiques occupent le pouvoir en Europe, par exemple au Royaume-Uni, en Hongrie ou, précédemment, en Pologne. L’europhobie s’est également exprimée à l’occasion des dernières élections européennes, où le Front national a recueilli 25 % des suffrages en France – et 33 % des sièges en vertu d’une répartition dont il ne se plaint pas –, et les partis europhobes représentent un peu plus de 10 % des effectifs du Parlement européen. Aucun État membre n’est cependant dirigé par un parti europhobe. L’Europe a sans doute bien des défauts, mais elle garantit, à travers le scrutin proportionnel, une expression démocratique qu’il faut bien entendu accepter. Europhobie et euroscepticisme ont à mon sens une racine conjoncturelle et une autre structurelle. La première renvoie à ce que l’on peut appeler l’« Europe-FMI » puisque l’Union, dans la période récente, a dû jouer le même rôle que le Fonds monétaire international ; solidaire de pays étranglés par les marchés financiers, mais non sans contreparties, elle est devenue aussi impopulaire que lui, et ce pour des raisons contradictoires : dans les pays sous programme, on lui reproche un excès d’austérité et, dans des pays comme l’Allemagne ou la Finlande, un excès de solidarité. Les difficultés rencontrées par les autorités européennes dans la prise de décision renvoient certes à un déficit de démocratie mais, au fond, elles reflètent des confrontations qui, pour le coup, sont pleinement démocratiques. Sans doute les décisions du Conseil européen sont-elles restées insuffisantes et tardives, mais pour la bonne raison que les chefs d’État et de Gouvernement qui le composent font face à leurs opinions publiques et à leurs parlements : pour le dire d’une formule simple, la majorité des Allemands n’a pas les mêmes positions que la majorité des Grecs…

Toute la difficulté, en France, est que nos concitoyens identifient le Président de la République, non le Premier ministre ou le secrétaire général des affaires européennes, comme le décideur suprême. Le ministre des affaires européennes pourrait incarner l’autorité de référence, pour peu qu’il cesse d’être un intermittent du spectacle – puisqu’il ne reste en poste qu’un an en moyenne. Au reste, il n’a guère de pouvoirs : peut-être pourrions-nous envisager un système à l’italienne : un ministre des affaires européennes auprès du ministre des affaires étrangères, et un secrétaire d’État dédié auprès du Premier ministre. Quant aux députés nationaux, ils ont, contrairement à leurs homologues européens, un ancrage de proximité. Le déficit démocratique du Parlement de Strasbourg est lié à un effet numérique : avec le ratio de l’Assemblée nationale française, il faudrait, pour représenter les 500 millions d’Européens, non pas 751 mais quelque 5 000 députés. Le lien est d’autant plus distendu, d’ailleurs, qu’ont été créées des circonscriptions macro-régionales… Il est donc essentiel que les députés nationaux fassent le lien ; et, pour qu’ils le fassent, il convient de renforcer leur pouvoir, de sorte que les citoyens aient le sentiment que leurs représentants ont les moyens d’influer sur la politique européenne de la France.

Reste la démocratie participative. Jean-Louis Bourlanges n’y croit guère mais, pour le coup, la France est assez exemplaire en ce domaine, avec l’organisation de plusieurs référendums. Je passe sur celui de 1972, dont l’enjeu – l’entrée du Royaume-Uni – n’avait guère passionné les foules ; mais ceux de 1992 et de 2005, eux, ont suscité un intense débat démocratique. Lorsque l’on donne un vrai pouvoir aux citoyens, en France comme ailleurs en Europe, les citoyens s’en emparent sans hésiter ; dans le cas contraire, ils demeurent dans une relative apathie, interrompue seulement par de sporadiques poussées de fièvre.

M. le président Claude Bartolone. M. Quatremer, observateur chevronné, a formulé des propositions tendant à permettre à nos concitoyens d’« accéder au pouvoir européen ». Je suis donc heureux de lui céder la parole.

M. Jean Quatremer. Une audition comme celle-ci est un exercice inédit pour moi : j’ai l’impression de repasser mon bac… (Sourires.)

Mon professeur de droit européen à la Sorbonne, dans les années 1980, avait introduit son premier cours avec les mêmes mots que Michel Winock : « L’Europe est en panne »… Il faut en finir avec cette idée reçue, que démentent les progrès considérables réalisés depuis cette époque, en particulier, depuis trois ans, au milieu d’une tempête, en matière d’intégration communautaire. L’union bancaire représente le plus important transfert de souveraineté depuis le traité de Maastricht en 1992, notamment pour un pays comme la France où les conflits d’intérêts entre les milieux bancaire et politique sont majeurs. Jean-Claude Trichet, alors négociateur du traité de Maastricht, avait formellement exclu, rappelons-le, tout transfert du contrôle prudentiel des banques vers la Banque centrale européenne (BCE). La marche vers l’intégration se fait donc à pas rapides, et nos concitoyens le savent bien, qui ont conscience qu’une grande partie des politiques qui les concernent directement se jouent au niveau communautaire. Jean-Louis Bourlanges a statistiquement raison, mais les lois françaises influencées par Bruxelles, et même les politiques, sont de plus en plus fondamentales, qu’il s’agisse du droit du travail, des retraites ou des salaires. Quel changement par rapport aux années 1980 !

Le « déficit démocratique », dont on parle également depuis trente ans, est une autre « tarte à la crème ». Le déficit démocratique existe, c’est vrai, mais il n’est que français. Paris, faut-il le rappeler, n’est pas le centre du monde : à Berlin, à Rome, à Madrid ou à Lisbonne, ce prétendu déficit est absent des débats. En d’autres termes, c’est la France qui fait face à une grave crise démocratique, laquelle tient à ce que les citoyens ne se sentent plus représentés par les institutions. Il faut donc plutôt dire que le fonctionnement des institutions communautaires aggrave le déficit démocratique français. De ce point de vue, le fait le plus emblématique, M. Bertoncini a raison, est que le Président de la République ne rende compte à personne des réunions du Conseil européen. Avant le traité de Lisbonne, il était accompagné par son ministre des affaires européennes, lequel rendait compte au Parlement ; depuis, il siège seul. En Allemagne, Mme Merkel discute des réunions du Conseil européen, avant et après sa tenue, avec la commission parlementaire compétente et de plein exercice, et cette consultation est assortie d’un vote. Cette procédure, qui change évidemment tout, explique que le sentiment de déficit démocratique soit inexistant de l’autre côté du Rhin. Le système institutionnel français, lui, concentre les pouvoirs dans les mains de l’exécutif, et plus particulièrement à l’Élysée ; si bien qu’il donne aux Français une impression légitime de dépossession sur des questions qui, dans n’importe quel pays démocratique, relèvent de la souveraineté nationale. Le Président de la République, assisté de son conseiller pour les affaires européennes, décide seul de notre politique européenne pendant les cinq années de son mandat. En tant que journaliste spécialisé, mon interlocuteur exclusif est donc le conseiller pour les affaires européennes de l’Élysée, jamais les ministères concernés. À Berlin, sur les questions financières, je m’adresse à M. Schäuble et à ses conseillers ! Il ne me viendrait jamais à l’esprit d’interroger, en cette matière, le cabinet de Mme Merkel…

Permettez-moi une anecdote, qui me fera d’ailleurs briser un off. Lors de la négociation du traité d’union budgétaire, voulu par l’Allemagne, je fus reçu, avec six confrères, par le président Sarkozy. Compte tenu de l’opposition des Tchèques et des Britanniques, nous disait-il, il ne pouvait être question d’une conférence intergouvernementale qui eût impliqué le Parlement européen ; d’où le principe d’une négociation directe entre les États, dont je soulignai alors le caractère peu démocratique, surtout au vu du traité de Lisbonne : ne pourrait-on, observai-je, impliquer le Parlement européen, voire les parlements nationaux ? Un gros mot prononcé dans une réunion de famille n’eût pas suscité plus d’étonnement. « Mais, monsieur Quatremer », me répondit Nicolas Sarkozy, « la démocratie, c’est moi ! » Et d’ajouter que, si les Français étaient mécontents de sa politique européenne, ils ne le rééliraient pas en 2012 – pour le coup, c’était bien vu… Bref, la chose ne posait aucun problème à ses yeux, non plus qu’elle n’en pose, semble-t-il, à François Hollande : en matière de politique européenne, le Président de la République française est un monarque absolu. Si la France est le pays le plus intergouvernemental du monde, c’est précisément parce que cela renforce la concentration des pouvoirs dans les mains d’un seul homme et de son conseiller aux affaires européennes.

Cela dit, on constate un affaiblissement du pouvoir exécutif au sein de l’Union, et cela déplaît aux Français car, même si la France pèse davantage au sein du Conseil européen que Malte ou le Luxembourg, le Président de la République doit s’employer à convaincre ses homologues allemand, italien, espagnol ou britannique, sur des questions de plus en plus essentielles. Auparavant, les Français voyaient leur Président décider seul, par exemple sur les retraites ; aujourd’hui, il lui faut d’abord en discuter avec ses pairs européens. Pendant la campagne pour les présidentielles, François Hollande s’est ainsi engagé sur des promesses dont il savait fort bien qu’elles ne pourraient être tenues sans l’assentiment de ces derniers. Manuel Valls a justement rappelé, par exemple, qu’en matière de sécurité intérieure la plupart des mesures proposées doivent d’abord être discutées à Bruxelles.

Les Français sont habitués à ce système centralisé, même s’ils se montrent critiques à son égard ; et, puisque le Parlement est absent sur les questions européennes, ils ne savent pas où se prennent les décisions. Pour eux, le sentiment de dépossession est donc double : il provient à la fois des pouvoirs transférés à l’Europe et de l’affaiblissement, au regard de son fonctionnement même, d’un pouvoir exécutif en lequel repose toute légitimité démocratique.

Se pose enfin, cela a été dit, un problème spécifiquement européen. Les citoyens français perçoivent leurs institutions, à commencer par l’Assemblée nationale, comme des instances où l’on fait de la politique sans en avoir réellement les moyens ; à Bruxelles, en revanche, on décide de politiques sans faire à proprement parler de politique. Ce distinguo, fait par l’universitaire américaine Vivien Schmidt, auteure d’un ouvrage sur la démocratie en Europe, permet de soulever une vraie question : comment remettre la politique au cœur du système européen, et redonner les moyens de conduire des politiques en France ? La réponse, dans le second cas, passe par une réforme des institutions françaises et, dans le premier, par une association plus étroite des citoyens. Le système des Spitzenkandidaten, par exemple, permet aux citoyens de peser sur la désignation du président de la Commission européenne. Or, journaliste exilé de longue date à Bruxelles, je puis témoigner que la Commission, depuis la nomination de Jean-Claude Juncker, se remet à faire de la politique. Le jour succède à la nuit, selon le mot de Jack Lang en 1981… (Sourires.) Les commissaires ont le sentiment de tenir leur légitimité du Parlement européen, et cela change profondément le sens de leur mission. La BCE elle-même s’exprime sur les manifestations dans les rues ou sur les attentats : il n’est qu’à comparer ces discours avec ceux, technocratiques, de Jean-Claude Trichet il y a quatre ou cinq ans pour mesurer la différence. Bref, les institutions européennes font désormais de la politique.

L’Europe n’est pas, pour paraphraser Robert Schuman, une construction d’ensemble, mais une machine qui s’élabore progressivement. En dépit de préjugés contraires, elle fonctionne, malgré toutes les difficultés. Deux pays, en réalité, vivent douloureusement cette construction étrangère à la centralisation cartésienne : la France et, pour d’autres raisons, le Royaume-Uni. Pour conclure d’un mot, le problème de l’Europe aujourd’hui, c’est la France.

M. le président Michel Winock. J’aimerais revenir sur les deux « tartes à la crème » dont vous avez parlé, monsieur Quatremer – avec une éloquence vibrante qui nous convaincrait aisément que tout va bien en Europe et que tout va mal en France.

Lorsque j’ai dit que l’Europe était en panne, je ne pensais pas aux mécanismes ou aux travaux de l’Union européenne, mais à la manière dont nos concitoyens se représentent l’Europe. À cet égard, tous les sondages dont nous disposons font état d’une montée non seulement de l’europhobie, mais aussi de l’euroscepticisme, de l’indifférence à l’Europe. L’abstention aux élections européennes n’est pas un bon critère, dites-vous ; je vous l’accorde, et du reste, je l’ai bien dit, le taux d’abstention en France correspond au chiffre moyen de l’abstention en Europe : il n’est donc pas catastrophique. Mais enfin, vous l’avez vous-même rappelé, il était de 60 % lors des premières élections européennes, en 1979.

Ensuite, le déficit démocratique, une idée que je n’ai pas inventée puisqu’elle traîne dans tous les articles et commentaires sur le sujet depuis vingt ans, et qui me semble tout de même contenir une part de vérité. Je ne citerai que deux problèmes qui n’ont pas été approfondis, pour le moment du moins : celui de la Commission et celui de la personnification du pouvoir. S’agissant de la Commission, le choix de son président est désormais tributaire de l’avis du Parlement européen, ce qui constitue une nouveauté, au moins formelle, et un progrès : depuis 2014, le Parlement européen a davantage de prise sur sa désignation. Sur le second point, les Français, qui ont pris la mauvaise habitude d’un suprême pouvoir présidentiel issu du suffrage universel, s’étonnent que l’Europe soit dirigée par une Commission peu démocratique eu égard à la désignation de ses membres et s’interrogent sur la représentativité de son président.

Mme Karine Berger. Je suis frappée, messieurs les présidents, que vos invités du jour soient tous les trois pro-européens, ce qui fait immédiatement apparaître une forme d’opposition entre le fait de critiquer le fonctionnement des institutions européennes et la critique de l’Europe elle-même. Cela me rappelle 2005 – du point de vue de quelqu’un qui avait voté contre le Traité constitutionnel européen.

Monsieur Quatremer, vous considérez que les institutions européennes fonctionnent et que ce sont des problèmes institutionnels français qui bloquent le jeu. Il y aurait même, dites-vous, un approfondissement de la démocratie en Europe. Les élections qui auront lieu en Grèce le 25 janvier vont selon toute probabilité porter au pouvoir quelqu’un qui ne croit pas à ce phénomène démocratique européen. La manière dont M. Juncker s’est mêlé de ces élections nationales, une attitude à ma connaissance inédite de la part d’un président de la Commission européenne, vous paraît-elle vraiment confirmer cette supériorité des institutions et de la démocratie européennes sur le système national ? Pourrait-on imaginer que des représentants des institutions européennes en viennent à se mêler de la même manière du fonctionnement de la démocratie française ?

J’aimerais revenir sur trois éléments évoqués lors de la précédente table ronde. Jean Pisani-Ferry a eu cette phrase incroyable : « La Troïka est un monstre » – un monstre institutionnel, fallait-il comprendre, et non, en l’occurrence, un monstre économique. Il a également été question du fait que le Mécanisme européen de stabilité (MES) n’a pas été validé par les institutions européennes ni nationales puisqu’il est né d’une décision politique du Conseil européen, ce qui faisait exception à la pratique habituelle. Enfin, même si le phénomène a été éclipsé par l’actualité française, on a assisté au cours des quarante-huit dernières heures sur les marchés des changes, entre euro et dollar et entre euro et franc suisse, à un krach de fait de notre monnaie sans qu’aucune décision politique ait été prise, la situation dépendant de la volonté d’un seul homme, Mario Draghi. Ces trois exemples vous paraissent-ils confirmer l’absence de tout problème institutionnel européen, du moins au regard des institutions nationales ?

Si, comme on l’a entendu, le pouvoir démocratique n’est pas remis en cause par la construction européenne, un peuple a-t-il le droit de quitter la zone euro s’il estime qu’il serait plus coûteux pour lui d’y rester ?

Mme Cécile Duflot. Je tiens tout d’abord à vous remercier de cette matinée de débats, car la réflexion sur les institutions françaises n’aurait guère de sens si elle ne s’inscrivait pas dans le cadre européen qui est de fait le nôtre.

Je suis d’accord avec Karine Berger. Une différence avec les années 1980, monsieur Quatremer, est que les plus fervents partisans de la construction européenne se sont un peu fatigués. En d’autres termes, le noyau d’europhilie principielle – pourtant essentielle puisqu’elle se fondait sur les idées de paix et de dépassement des nations – se rétracte, tandis que l’euroscepticisme, qui n’est pas le rejet de l’Europe, se développe : la zone grise, en quelque sorte, est en train de s’étendre.

Je le dis avec d’autant plus d’aisance que le parti politique dont je suis membre a toujours été considéré comme le plus europhile qui soit. Il l’est encore, mais il soutient résolument ce qui se passe en Grèce et critique avec virulence la manière dont la Commission européenne et certains de ses membres ont prétendu expliquer aux Grecs comment ils devaient voter. Nous ne pouvons pas accepter que la politique européenne ait pour résultat une hausse de 42 % de la mortalité infantile en Grèce. C’est injustifiable. Le sens de l’Europe, le fondement de l’europhilie, ce sont la paix et le progrès. On pourra dire ce que l’on voudra sur la situation budgétaire du pays, l’incapacité de l’État à faire rentrer les impôts, l’absence de cadastre ; tout cela est juste ; mais il incombait à l’Europe de pousser plus tôt aux réformes structurelles au lieu de fermer les yeux sur la situation.

Je partage le point de vue de Jean-Louis Bourlanges sur la solidarité, laquelle doit aussi se manifester lorsque les choses ne vont pas bien. Or les institutions européennes – c’est un point de désaccord avec Jean Quatremer – apparaissent désincarnées, et ce d’abord au sens où elles semblent froides, peu sensibles aux difficultés, incapables de porter le désir d’un destin commun au-delà des questions budgétaires et économiques. Aucun responsable européen ne décrit l’horizon enthousiasmant que l’on pourrait par exemple imaginer autour de la transition écologique, de la réduction des inégalités, de l’impossibilité de mettre en concurrence les ouvriers roumains et ceux du Sud-Ouest de la France dans certaines usines.

En revanche, je suis d’accord pour dire, à la lumière des débats de la dernière campagne pour les élections européennes, que cette incarnation est possible, si limitée et imparfaite soit-elle. J’ai personnellement aimé me reconnaître dans une Allemande qui parlait de l’Europe comme moi, sortir en somme du débat franco-allemand pour entrer dans le débat politique. Pour ces raisons, je suis absolument convaincue que les institutions évolueront dès lors que l’on saura animer le débat politique européen quant au fond : lorsque des convergences se créeront entre les responsables politiques des différents pays, selon des lignes de force qui l’emporteront sur les oppositions entre nations. C’est ainsi que nous avons constitué le seul véritable parti européen vivant, le Parti vert européen, moyennant de mémorables engueulades, mais toujours en parlant de politique.

Je remercie enfin Jean Quatremer d’avoir exprimé avec autant de fougue le problème de la personnification et de l’impasse de la Ve République, dont Laurence Parisot a aussi parlé tout à l’heure. Il est essentiel d’en débattre dans le pays, car l’incarnation est une nécessité en France autant qu’au niveau européen. Si l’attitude du Président de la République a été aussi appréciée au cours de la période très douloureuse que nous venons de vivre, c’est parce que nous avions tous besoin de nous identifier à une personne, à une parole. Les propos qu’il a tenus ce matin au sujet de l’islamophobie, pour la première fois, sont forts et nécessaires. En revanche, nous n’avons pas besoin d’un omniprésident qui a son mot à dire sur les méthodes d’harmonisation fiscale entre les différents États. La réforme dont nous avons vraiment besoin pour nous inscrire dans le débat politique européen, c’est le recul de cette omniprésidence de fait, qui nous nuit et dont le Président de la République lui-même est à la fois coupable et victime, tant il est impossible d’avoir réponse à tout – y compris physiquement, Laurence Parisot a eu raison de le dire.

Ce sont les débats européens qui feront évoluer les institutions. L’exemple de la commission d’enquête sur LuxLeaks est révélateur : le fait de porter le débat devant l’opinion publique des différents pays européens, sur un sujet compréhensible, modifie les majorités et révèle le poids que peut avoir le Parlement vis-à-vis de la Commission. L’essentiel est de réintroduire du politique dans le débat, et les institutions s’adapteront.

Soyons toutefois lucides quant à l’épuisement de ceux qui portaient le projet européen par-delà ses défauts. Il faut réagir : on ne peut pas se contenter de dire qu’il y a un problème institutionnel en France et que partout ailleurs tout va bien. Le délitement est indéniable et, je le répète, l’euroscepticisme, sinon le rejet de l’Union européenne, a beaucoup progressé. Il faudra aussi faire évoluer les institutions françaises, sans entrer dans le débat technique sur la représentation au Conseil, qui illustre le problème de manière évidente. C’est urgent, sans quoi l’euroscepticisme se fera beaucoup plus nationaliste : la vraie crise qui nous menace est là, au-delà des questions monétaires et budgétaires.

Mme Christine Lazerges. J’irai en grande partie dans le sens de ce qui vient d’être dit. Le drame est que l’Europe n’est considérée que comme une somme de contraintes pesant sur les citoyens – la communication sur les questions européennes ne dit que cela –, et non comme une fantastique ambition de paix et de garantie des libertés fondamentales. Les tragiques événements de la semaine dernière pourraient faire renaître l’espoir d’une prise de conscience de ce qu’ont toujours été les fondamentaux européens et du fait qu’en la matière, le cheminement n’a pas du tout abouti.

Un exemple : l’Europe policière et judiciaire, dont nous avons plus que jamais besoin. Peut-être est-ce par ce biais que l’on pourra faire à nouveau comprendre la nécessité de l’Europe.

Je suis par ailleurs un peu surprise que les institutions qui fonctionnent plutôt bien au niveau européen, à savoir le Conseil de l’Europe et en particulier la Cour européenne des droits de l’homme, soient aussi absentes de nos débats. Nous ne devrions pas oublier l’Europe du Conseil de l’Europe, cet instrument construit pas à pas de façon absolument remarquable et que plus personne ne considère plus comme un gadget, même lorsqu’il n’émet que des recommandations, sans parler de ses avancées essentielles en matière de droits et de libertés fondamentales. Pourquoi dissimule-t-on à ce point le rôle extraordinaire de la Cour européenne des droits de l’homme ?

M. le président Claude Bartolone. On pourrait s’interroger sur l’utilité de nos travaux dès lors qu’une majorité des trois cinquièmes n’est pas réunie pour modifier la Constitution. Mais c’est à force de ne pas se poser les questions que nous soulevons ici, de considérer qu’il est interdit d’en débattre, que l’on s’en désintéresse. Le problème est le même s’agissant de la construction européenne. C’est à cette contradiction que Juncker s’est trouvé confronté après un beau début de parcours. De même, en France, le débat sur le référendum constitutionnel européen avait-il vite tourné à l’excommunication des hérétiques.

En Europe comme en France, le problème de la représentation se pose, mais aussi au sens de l’incarnation et de la représentation du projet. La manière dont l’Europe se nuit à elle-même est très préoccupante. Ainsi lorsqu’elle fait barrage, dans la période de grande inquiétude que nous traversons, à la proposition de notre Premier ministre sur le contrôle des passagers des compagnies aériennes. Le fait que l’opposition la plus forte soit venue des Belges n’est pas sans ironie dans le contexte des événements que nous vivons depuis hier.

Dans vos interventions, vous renouez, messieurs, avec plusieurs des préoccupations que nous avons exprimées depuis le début de nos travaux. Quels sont les lieux de pouvoir, quel pouvoir ont-ils, quelle est leur responsabilité démocratique devant les Français ? Qui porte la parole de qui, dans quel rôle ? Je me contenterai de constater que nous retrouvons ces questions familières, sans me prononcer, je vous rassure, sur l’existence d’un Président de la République et d’un Premier ministre.

M. Jean Quatremer. J’aimerais dissiper un malentendu. Je n’ai pas dit que tout allait bien en Europe et mal en France. Je voulais simplement remettre les choses en perspective.

Une chose doit être claire pour nos partis politiques traditionnels – je ne parle pas des europhobes. Ils tombent dans le piège tendu par ces derniers en confondant les politiques européennes et le projet européen. On peut être en désaccord avec la politique menée par François Hollande sans être pour autant antifrançais. Pourtant, c’est l’Europe que critiquent ses détracteurs, non les politiques européennes. Vous croyez que j’étais d’accord avec la politique de la Commission Barroso ? Avec celle du Conseil européen lorsque Nicolas Sarkozy y siégeait ? Vous croyez que j’ai soutenu la création de la Troïka et les politiques d’austérité conduites en Grèce ? Jamais de la vie ; mais je n’ai pas pour autant versé dans l’europhobie ni même dans l’euroscepticisme. Je trouve ce mélange des genres très dangereux. Si la critique des politiques menées est légitime, celle du projet européen fait basculer à l’extrême droite, dans le nationalisme, le souverainisme.

J’en viens aux élections grecques. L’Europe était jusqu’à présent très désincarnée : c’était, en quelque sorte, les politiques sans la politique. On a tenté de remédier à ce problème en créant une Commission beaucoup plus politique. Or on ne peut pas à la fois vouloir une Europe plus politique et critiquer la Commission européenne lorsqu’elle fait de la politique. Que Jean-Claude Juncker, conservateur membre du Parti populaire européen, soutienne le gouvernement de Nouvelle Démocratie, qui fait partie du Parti populaire européen, ne me dérange pas. Crie-t-on au scandale quand Barack Obama se rend dans un État pour soutenir un candidat au poste de gouverneur ? Absolument pas : il fait de la politique ; c’est normal. Peut-être des commissaires de gauche – de la gauche radicale s’il en existait, ce qui n’est pas le cas puisque cette mouvance n’est au pouvoir dans aucun pays d’Europe – pourraient-ils soutenir de la même manière SYRIZA et la candidature d’Alexis Tsipras. Angela Merkel soutient elle aussi le gouvernement sortant, elle agite selon certaines sources la menace d’un « Grexit », mais c’est son problème, elle en a le droit. Protestons-nous, en France, contre l’interventionnisme de l’État central lorsqu’il se mêle des affaires locales ?

Dans une interview que je publie aujourd’hui dans Libération, Benoît Cœuré, membre français du directoire de la Banque centrale européenne, estime que si SYRIZA, qui refuse les politiques d’austérité, arrive au pouvoir, il faudra négocier avec ce parti pour parvenir à un accord, car c’est cela, la démocratie.

Mais je vous rassure : SYRIZA n’a pas l’intention de tout jeter par-dessus bord. Entre le parti de 2010 et ce qu’il est aujourd’hui, la différence est la même qu’entre le Parti communiste français des années 1960 et le Parti socialiste actuel ! Je voyage beaucoup en Europe et je connais particulièrement bien la Grèce. Voyez le programme de Thessalonique, programme de gouvernement adopté par SYRIZA en septembre dernier : il est très « social-démocrate compatible ». SYRIZA veut faire une réforme de l’État que, de l’avis de tous – y compris les représentants de la Commission sur place –, le gouvernement de Nouvelle Démocratie conduit par Antonis Samaras ne poussera pas jusqu’à son terme puisque cet État corrompu, clientéliste, c’est lui qui l’a fait, avec le PASOK : en le réformant plus avant, il se couperait de sa clientèle. Pour la Commission, la perspective de l’arrivée au pouvoir de SYRIZA est plutôt une bonne nouvelle : puisqu’ils n’ont pas les mains dans le pot de confiture, il y a une chance qu’ils fassent les réformes que les Européens demandent au pays depuis trois ans – réforme de la justice, indépendance de l’administration fiscale, constitution d’un cadastre, etc.

Bref, aujourd’hui l’avènement de SYRIZA ne fait plus peur à personne ; mais on fait mine du contraire, parce que c’est de la politique. Il n’y a pas lieu de s’en indigner. Le fait que tout le monde se sente concerné par ce qui se passe chez les autres est plutôt une bonne nouvelle.

Vous avez raison, madame, de dire que l’Europe est conçue comme une contrainte. Mais la faute à qui, sinon à nos dirigeants politiques, passés maîtres dans l’art de communautariser les échecs nationaux et de nationaliser les succès européens ? Souvenez-vous des vœux de Jacques Chirac en 2006 : à l’entendre, Ariane ou Airbus étaient des inventions françaises, inconcevables sans la France. Quant à François Hollande, je suis atterré – je le dis d’autant plus facilement que j’ai voté pour lui – par la manière dont il parle de l’Europe : aucune ambition, aucune direction, plus de projet. La personnification de l’Europe est peut-être inexistante à Bruxelles – et les Européens s’efforcent d’y remédier –, mais elle l’est tout autant à l’échelon national. Sur ce point, Cécile Duflot a raison. Pour un Cohn-Bendit, combien de technocrates froids ? Cohn-Bendit parti, je suis orphelin : je n’ai plus que Guy Verhoftstadt à qui me rattacher ! Et quand j’entends les autres parler d’Europe, je n’ai qu’une envie : devenir souverainiste ! (Sourires.)

M. Yves Bertoncini. L’Europe fait barrage, dites-vous, monsieur le président. Mais il faut mettre des visages sur ces clivages, qui sont politiques. Vous avez fait référence aux discussions en cours au Conseil des ministres et au Parlement européen sur la directive dite « PNR » – pour passenger name record. Certains groupes politiques au Parlement européen n’y sont guère favorables : le groupe socialiste et les Verts, ainsi que les libéraux ; il y a au Conseil des représentants d’États qui partagent cette position. Eh bien, il faut les convaincre : l’Union européenne est un combat, un combat politique, partisan. Du reste, quelle autre option avons-nous ? Des accords bilatéraux ? Mais il faudra toujours bien convaincre quelqu’un.

Il convient donc de distinguer, aujourd’hui plus que jamais, le projet européen des institutions européennes. Celles-ci sont utilisées par des acteurs politiques et produisent des résultats rarement satisfaisants – c’est un europhile qui vous le dit –, ce qui est logique dès lors qu’ils sont issus d’un compromis à vingt-huit.

En ce qui concerne la manière dont Jean-Claude Juncker s’est mêlé des élections grecques, je serai un peu moins conciliant que Jean Quatremer. La Commission ne peut pas être à la fois joueuse et arbitre sur les sujets qui concernent la zone euro. Jean-Claude Juncker aurait donc mieux fait de s’abstenir et d’adopter la même position que Pierre Moscovici ou Benoît Cœuré : laissons les Grecs voter, on discutera ensuite avec leur gouvernement.

Ce qui rejoint la question qui nous a été posée à propos des possibilités de sortie de la zone euro. L’Union européenne n’est pas une prison. On doit d’ailleurs au Traité constitutionnel l’existence d’une clause de sortie, reprise par le traité de Lisbonne en son article 50. Si les Britanniques veulent sortir de l’Union européenne, ils n’ont même pas besoin d’organiser un référendum, il suffit que leur Parlement en décide ainsi. Il en va de même pour les Grecs. Quant à la zone euro, personne ne veut en sortir. C’est un aspect assez frappant de la période récente : la volonté d’y rester en dépit de ses défauts a été majoritairement réaffirmée dans tous les pays. La zone euro, ce n’est pas « tu l’aimes ou tu la quittes » : peu de pays l’aiment, peu goûtent ses contraintes, notamment l’obligation de solidarité, mais on ne la quitte pas. Nous verrons bien si les Grecs votent pour des partis qui souhaitent sortir de la zone euro ; il reste que ceux-ci sont très minoritaires dans le pays.

On persiste à considérer que cette adhésion quelque peu négative au projet européen n’est pas une bonne chose. Il s’agit à mon sens d’une erreur politique. Car l’Europe, ce n’est pas seulement l’Hymne à la joie, c’est aussi l’hymne à la peur. C’est la peur qui a motivé la construction européenne à ses débuts : la peur de la menace stalinienne, la peur de retomber dans nos anciens travers et de nous refaire la guerre. C’est aussi sous cet angle qu’il faudrait raconter cette histoire. Si la plupart des Européens ne veulent pas quitter la zone euro, c’est parce qu’ils ont peur, peur que le retour aux monnaies nationales les expose au grand vent de la folie spéculative mondiale. L’Europe est à la fois une terre d’opportunités, un outil qui peut devenir une menace – c’est le cas de l’Europe-FMI, ce « monstre » selon Jean Pisani-Ferry – et une réponse aux menaces.

Encore faut-il l’incarner dans un projet, au-delà de la nécessité de respecter les règles que les États ont adoptées. Cette incarnation suppose des visages. Lesquels ? D’abord ceux des chefs d’État et de gouvernement, d’ailleurs plutôt bien identifiés – on s’est assez moqué de leurs sommets de la dernière chance. Se pose alors le problème de la reddition des comptes auquel nous, Français, sommes confrontés. Mais ces visages sont aussi européens.

Les banquiers centraux européens ne sont pas élus, non plus d’ailleurs que leurs homologues dans le reste du monde. On leur a confié la gestion d’un bien public, la monnaie, parce que l’on a considéré que c’était une chose trop grave pour la laisser au caprice des politiciens. C’est la théorie du bien public, et il faut l’assumer. Les banques centrales sont donc indépendantes, ce qui ne signifie pas qu’elles ne doivent pas rendre des comptes, être transparentes. Mario Draghi a d’ailleurs décidé que les délibérations du Conseil des gouverneurs seraient publiques à partir de ce mois, ce qui représente un progrès. Mais nous n’irons pas jusqu’à élire les banquiers centraux européens, sauf à changer de modèle, et sans doute de monnaie faute de consensus européen à ce sujet.

Quoi qu’il en soit, ce ne sont pas les banquiers centraux qui peuvent incarner l’Europe. Il reste donc les commissaires et les parlementaires européens. En modifiant les traités, on peut donner plus de pouvoir à ces derniers – c’est la tendance historique –, jusqu’à une codécision parfaite entre les États et le Parlement européen sur tous les sujets. J’y suis personnellement favorable.

Quant à la Commission, avec la procédure des Spitzenkandidaten, que je considère moi aussi comme un progrès, la désignation du président de la Commission est davantage liée au résultat des élections européennes. Il faudrait aller plus loin. Les commissaires actuellement en fonction ont été désignés par les États membres, d’ailleurs à l’issue d’un processus qui a déformé les rapports de force partisans : la Commission Barroso comptait 21 membres de droite pour 7 de gauche, le rapport est de 20 à 8 dans la Commission Juncker, alors que les rapports de force se sont rééquilibrés au cours de la dernière période. On pourrait donner au président de la Commission le pouvoir non seulement de « virer » les membres – qu’il détient depuis le traité de Nice, à la suite de la chute de la Commission Santer – mais aussi de les nommer lui-même. Il le ferait évidemment en lien avec les capitales nationales, mais peut-être en tenant davantage compte des rapports de force partisans. Aujourd’hui, il ne peut que s’opposer le cas échéant à leur nomination.

J’ajouterai, pour passer des aspects institutionnels à la pratique politique, que les commissaires devront être davantage présents sur le terrain. À cet égard, je trouve très satisfaisant que Pierre Moscovici se soit rendu plusieurs fois en Grèce au cours de la période récente, alors qu’Olli Rehn n’y était allé que deux fois en cinq ans. Il est bon que les commissaires viennent rendre des comptes, y compris dans les enceintes parlementaires nationales.

M. Jean-Louis Bourlanges. Permettez-moi, monsieur le président, de vous dire ma frustration de ne pouvoir répondre comme elles le méritent aux interventions des membres de la commission, toutes fort intéressantes. D’autant que, sur les sujets européens en particulier, il est nécessaire de pousser les raisonnements jusqu’à leur terme. Car il s’agit d’une démocratie à part, une démocratie sans peuple, associant des peuples européens, et impliquant des mécanismes extrêmement complexes et originaux, très différents de ceux que nous connaissons à l’échelon national – ce qui explique en partie l’incompréhension entre les deux niveaux.

Jean Quatremer ne partage pas mon point de vue sur les compétences. J’estime quant à moi que si les contraintes qui pèsent sur les compétences nationales sont fortes, elles résultent en grande partie de la conjoncture économique, de la mondialisation, des marchés et de la jungle monétaire qui ne date pas d’hier, ni de l’existence de l’euro.

En ce qui concerne la chronologie, toutefois, il est un point que votre commission doit avoir à l’esprit, et à propos duquel je suis tout à fait d’accord avec Jean Quatremer. J’ai décrit un état de schizophrénie caractérisé par une marche vers l’union monétaire dont ni les dirigeants, ni les parlements, ni l’opinion ne voulaient, qu’ils soient europhobes ou eurosceptiques – n’oublions pas que, même si la distinction a du sens, l’euroscepticisme est d’abord un understatement, une invention hypocrite des Britanniques pour qualifier l’europhobie. Mais quelque chose s’est passé ces dernières années, dont l’Assemblée nationale a eu à connaître très directement, et dans des conditions assez mouvementées, lors de la ratification du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG). Nous avons dû gérer les banquiers centraux, les chefs d’État et de gouvernement – M. Sarkozy, Mme Merkel et les autres – dans le pragmatisme, l’improvisation, l’empirisme, au gré d’un processus tantôt brutal, tantôt bloqué : nous, Européens, avons eu à sauver l’euro, et nous l’avons sauvé – peut-être pas pour toujours –, en levant les tabous que j’ai évoqués. Voilà ce que matérialise le Traité.

Nous avons donc résolu empiriquement le problème. Mais la crise de l’euro – plutôt que l’euro lui-même – a ainsi induit des compétences économiques et budgétaires renforcées, ce qui est une grande nouveauté. Nous qui nous plaignons depuis trente ou quarante ans de l’excès de pouvoir de l’Europe devons donc relever maintenant un grand défi : la gestion démocratique de ces nouvelles responsabilités économiques et budgétaires. Ce qui n’est pas sans poser certaines difficultés, dont témoigne par exemple l’intervention de la Commission avant-hier. Le problème démocratique est un problème européen ; je n’entrerai pas dans la controverse sur l’échelon auquel il se pose le plus, car si la démocratie française est fragile, la démocratie européenne est imparfaite. Quoi qu’il en soit, les réponses institutionnelles à ce besoin de démocratie ne prendront sans doute pas, vu l’attitude des Britanniques, la forme d’un traité à vingt-huit, mais plutôt celle d’un accord intergouvernemental.

En ce qui concerne la Commission, c’est lorsque l’on a donné au Parlement européen le pouvoir non seulement d’en investir le président, mais aussi de donner un avis sur sa nomination, que tout a basculé. L’évolution s’est manifestée lors de la désignation de M. Santer, en 1994 : l’avis du Parlement européen n’était alors que consultatif, mais le candidat a été obligé d’en faire dépendre le maintien de sa candidature, ce qui a conduit les autorités institutionnelles à inclure l’approbation pleine et entière du Parlement dans le traité d’Amsterdam.

Aux termes du traité de Lisbonne, c’est « en tenant compte des élections au Parlement européen » que l’on choisit le candidat à la présidence, ce qui va de soi dès lors qu’un vote d’investiture est prévu. J’avais personnellement voté contre M. Barroso en 2004 et mené, à la tête de la commission des libertés du Parlement, une procédure qui a en particulier entraîné l’élimination de M. Buttiglione, dont nous estimions qu’il ne défendait pas correctement les libertés fondamentales, parmi lesquelles le droit à l’orientation sexuelle. Il faut dire que M. Barroso avait jugé bon de confier le portefeuille des libertés publiques, de la justice et de l’immigration au candidat de Berlusconi : c’était un peu fort de café ! C’est alors que nous avons instauré la procédure qui a été appliquée – pas très bien, d’ailleurs – lors de l’investiture de la Commission.

En d’autres termes, monsieur Winock, la procédure, certes formalisée dans le traité de Lisbonne, était appelée dans les faits par l’existence d’une investiture parlementaire du président de la Commission, puis de la Commission elle-même. Il est d’ailleurs remarquable que nous ayons quasiment exercé en 1999 le droit de censure dont nous disposions dès le traité de Paris de 1951, en conduisant à la démission la Commission Santer, qui avait d’ailleurs été mal investie. M. Santer nous a devancés à la manière d’Aristide Briand, qui courait remettre la démission de son gouvernement au Président de la République dès qu’il se sentait menacé à la Chambre.

Le vrai défaut de la Commission est démographique. Un commissaire par État membre – regrettable invention du traité de Nice –, c’est une absurdité, qui entraîne des blocages et des dissymétries incroyables : les commissaires issus des États représentant 73 % de la population sont moins nombreux que ceux dont les pays d’origine n’en concentrent que 3 % ! La rotation automatique entre États, que l’on a envisagé d’instituer dans le Traité constitutionnel ou dans le traité de Lisbonne pour remédier au problème, aurait été encore pire : une fois sur trois, il n’y aurait eu aucun commissaire allemand, aucun Français ou aucun Anglais. Mieux vaut aller vers une présidentialisation accrue et développer le rôle des vice-présidents, comme le fait très bien M. Juncker actuellement.

M. Juncker est un bon choix eu égard à sa capacité politique : c’est un homme politique à part entière, qui, à ce titre, sait réagir aux problèmes les plus particuliers et bien diriger sa Commission. Je vois moi aussi une contradiction dans les reproches qui lui ont été adressés : il est logique que la Commission soit neutre si, comme le concevait Jean Monnet, elle n’est composée que d’experts indépendants ; mais, dès lors que les commissaires sont des hommes politiques comme les autres, qu’ils sont élus par une assemblée politique et responsables devant elle, on ne peut pas leur reprocher de marquer leur préférence dans tel ou tel débat national. Je suis personnellement partisan d’une certaine réserve, mais je comprends que M. Juncker, comme d’autres, se sente concerné par ce qui va se passer en Grèce. Son attitude est-elle opportune alors qu’il risque de se trouver face à SYRIZA ? Il ne faut en tout cas rien commettre d’irrémédiable. Mais il est logique de défendre sa famille politique et ses idées d’abord, et ensuite de négocier comme le disait Benoît Cœuré, de discuter, de faire des compromis. Car on peut ne pas aimer la démocratie de compromis et de négociation, mais dans ce cas il ne faut pas être européen !

En réalité, ce qui nous gêne, c’est que nous ne sommes pas clairs s’agissant du projet européen. Au-delà de la politique économique, voulons-nous une communauté politique bâtie pour l’action ou une communauté d’échanges sans frontières ni ambition commune ? Ce second modèle – qui n’est pas peu de chose : Michel Rocard a dit à ce sujet des choses tout à fait remarquables – consiste à organiser juridiquement des échanges entre sociétés démocratiques, à créer une mini-Société des nations qui aurait vocation à s’étendre indéfiniment. Ces deux projets coexistent dans l’esprit des Européens comme au sein de l’Union européenne, entre l’Europe à vingt-huit et la zone euro ; il faut cesser de penser qu’ils ne s’y parasitent pas, clarifier la situation et s’efforcer d’articuler – car c’est possible – cette Europe volontaire, liée à la zone euro et à l’engagement politique de ses membres, et cette Europe de la libre circulation garantie par un système juridique approprié.

M. Jean Quatremer. Madame Berger, le traité créant le MES a été ratifié par l’Assemblée nationale le 21 février 2012.

Mme Karine Berger. Je vous rassure, monsieur Quatremer : j’étais au courant… Mais tel n’était pas l’objet de ma remarque.

M. Jean Quatremer. L’Assemblée a ensuite voté les garanties apportées par l’État français au MES. On ne peut donc pas dire que les parlements nationaux n’ont pas été impliqués.

M. le président Claude Bartolone. Merci à tous.

J’ai bien entendu la remarque de Karine Berger à propos du tropisme de nos invités. Nous verrons ce qu’il en sera dans la suite de nos travaux. Je me réjouis en tout cas que plusieurs éléments soulevés aujourd’hui fassent écho à nos préoccupations franco-françaises.

La réunion s’achève à treize heures quinze.

Prochaine réunion le jeudi 5 février 2015
  • La démocratie sociale et environnementale


Les seuls débats présentés ensuite ici sont ceux qui reprennent en juin 2015, le rapport du groupe de travail étant maintenant prévu d'être remis en octobre 2015. Les autres débats sont disponibles avec les comptes-rendus publiés sur le site du groupe de travail.

Réunion du 26 juin 2015
Lettre au groupe de travail


Les débats sont présentés sans commentaire. Ils sont précédés d'un courrier qui est transmis au grpupe et à son président, et qui réclame que le rapport final soit présenté pour avis aux citoyens, puis suivi de la mise en place par référendum d'une assemblée constituante.

Adresses Mail :
lvitry@assemblee-nationale.fr
president@assemblee-nationale.fr

À l’attention du groupe de travail sur l'avenir des institutions.

Monsieur le président,

 

Votre groupe de travail sur l'avenir des institutions se prépare à publier son rapport. Nous espérons vivement, nous citoyens, que nous en serons les premiers destinataires et que vous le soumettrez à nos appréciations, comme le fait parfois l’assemblée nationale pour des projets importants, et ce projet l’est bien. En effet, il ne s’agit ni plus ni moins que de réfléchir sur notre futur Contrat social, qui fixera durablement les règles qui doivent être élaborées et acceptées librement, collectivement, et qui devront par nature être respectées par tous les citoyens. Il s’agit bien des fondements de notre avenir commun.

Les principes constitutionnels nous attribuent la pleine souveraineté en la matière, c’est un droit fondamental que nous ne doutons pas que vous aurez à cœur de respecter. Vous n’ignorez pas non plus que de très nombreux groupes de travail composés de citoyens libres (c’est-à-dire indépendants de tout parti politique, car encore une fois la Constitution est l’affaire de tous et non celle d’organisations partisanes) travaillent également sur cette question.

Votre groupe rassemble également des personnes couvrant un large éventail de courants de pensées. Il ne saurait cependant représenter la collectivité dans son ensemble : ses membres n’ont nullement été choisis par la collectivité des citoyens à ce titre. Certes ils ont été sélectionnés par un ou plusieurs élus ou le sont eux-mêmes, mais ils n'ont à respecter aucun mandat constitutionnel formel confié par les citoyens.

Nous ne doutons pas bien sûr que les échanges d'idées de ce groupe de réflexion nous soient utiles, pour nous, citoyens, afin de nous permettre de continuer à travailler à l'élaboration d'une Constitution digne du XXIe siècle, dont nous reconnaissons comme vous qu’elle est à élaborer d’urgence. L’existence de vos travaux et de ceux des citoyens le démontre. Il est en effet vivement souhaitable, comme certains des membres de votre groupe le pensent, qu'une nouvelle Constitution vienne se substituer à la Constitution actuelle ; même si c'est « du bout des lèvres », comme l'un des membre l'évoque en souhaitant que « la question de savoir s’il faut changer la Constitution ou changer de Constitution devrait tout de même être évoquée, ne serait-ce que formellement, pour délimiter l’ambition du groupe de travail ». Cette Constitution a eu ses mérites mais elle est frappée d’obsolescences lourdes, elle a été très souvent modifiée (21 fois sur 24) sans que les citoyens ne puissent se prononcer alors que c’est une exigence constitutionnelle prioritaire, et elle présente des défauts tels que certains articles sont reconnus comme inapplicables (tel l'article 11 jusqu'à preuve du contraire) alors que d’autres sont parfois détournés (souvent par nécessite contingente) sans aucune conséquence institutionnelle.

Certes, comme l'avance l'un des membres de votre groupe « Ces institutions n’ont-elles pas permis à la France de surmonter la guerre d’Algérie et la crise de Mai 68 ? Ne se sont-elles pas adaptées sans heurt à l’alternance des majorités comme à la cohabitation ? ». Bien sûr, c'est même, en ce qui concerne la guerre d'Algérie, un des motifs de leur élaboration. Quant aux crises, si elles ont su les « surmonter » tant bien que mal, elles n'ont pas su les éviter ni les régler, pas plus que les crises graves de toute nature que nous traversons encore ! Et affirmer que les cohabitations et les alternances se sont passées « sans heurts » est un doux euphémisme, car si elles l'ont été, soi-disant, pour certains élus, elles ne l'ont pas été pour les citoyens, et nous en subissons encore aujourd'hui les conséquences, qu'il serait trop facile d'attribuer à la conjoncture internationale, à laquelle il appartenait aux partis, maîtres du jeu, de s'adapter. A contrario, une autre participante évoque les difficultés constitutionnelles majeures, qu'il n'est pas utile de rappeler ici, citons simplement « Parmi les difficultés que nous avons identifiées figure la très grande responsabilité du Président de la République : dès lors qu’un seul individu est sommé d’apporter des réponses sur tous les sujets du jour au lendemain, le fonctionnement démocratique s’en trouve fragilisé. » Cette observation est complétée par un autre intervenant du groupe qui déplore que le Président « est irresponsable comme les anciens monarques, ce qui n’est plus pensable aujourd’hui ». Un Président à la fois responsable de tout et irresponsable devant tous : cette seule observation montre à elle seule l'inadaptation de notre actuelle Constitution aux moyens collaboratifs qu'offre notre siècle. Nous sommes là encore restés au XIXe siècle ! Un autre membre ajoute à ce sujet : « Il fut un temps où il était très à la mode de donner dans la démocratie participative. Nous n’en avons pas trop parlé... ». Ce n'est pas une « mode », c'est une réalité qui s'impose à toutes les organisations efficientes aujourd'hui et pour le futur, et que les citoyens ne peuvent qu'exiger. Ce n'est qu'un exemple. Bien d'autres « difficultés » lourdes de conséquences ont aussi été identifiées par les citoyens, parfois éludées par le groupe de travail mais aussi mises en évidence par une des membres qui affirme que « Le rôle des institutions est bien d’établir des contentions démocratiques. » et que « Refuser de les faire évoluer en renvoyant tout au caractère et à la manière d’exercer les responsabilités me paraît une erreur profonde. Nous devons cesser de nous mentir sur l’usure de nos institutions : si nous croyons qu’il suffit de changer les hommes, nous allons au-devant de graves problèmes... une explosion peut venir beaucoup plus vite que prévu. On pousse le système jusqu’à l’extrême, et on se dit que ça tient – vous parliez de la solidité de la Cinquième République, monsieur A. Eh bien, oui, mais un chêne est solide jusqu’à ce qu’il casse… Nous avons atteint, je crois, les limites de nos institutions ; n’attendons pas que notre système politique se brise, car nous ne savons pas ce qui pourrait alors se passer... mais nul n’osera dire que nous avons poussé nos institutions, et l’absence de représentation d’une authentique diversité sociale qu’elles organisent, jusqu’à leur terme ». Ces risques, Monsieur le président, sont évoquées dans les travaux que nous vous présentons sur les sites indiqués dans ce courrier. Ce ne sont donc pas quelques nouveaux ajustements constitutionnels ici ou là qui redonneront à nos institutions et à notre pays la capacité à gérer la nouvelle complexité de la collectivité nationale, dans un environnement international tout aussi complexe. Pour cela, une véritable séparation des pouvoirs s'impose, assortie d'un pouvoir de contrôle et d'un pouvoir de proposition effectifs des citoyens. Dire comme le propose un des membres du groupe « Ainsi, il faut absolument changer l’article 64, voire le supprimer ! Le Président de la République ne doit plus « veiller à l’indépendance de l’autorité judiciaire » : ce n’est simplement plus possible. Il faut un pouvoir judiciaire... Il faut aussi faire évoluer le Conseil constitutionnel. À mes yeux, la Constitution n’est pas vivante dans notre pays comme elle peut l’être en Allemagne ou aux États-Unis. ». Bref, il faut surtout en finir avec les rapiéçages et faire confiance à l'intelligence collective, en refondant entièrement nos institutions via une nouvelle Constitution, tout en assurant une transition raisonnée et en gérant avec professionnalisme le changement. Ce changement est dès à présent et pour bien longtemps, devenu la règle. De plus ces rapiéçages écarteraient une fois encore les citoyens de la réflexion sur le sujet qui les concerne en priorité, leur Contrat social. La réponse par oui par non, pour autant qu'elle soit requise, le référendum n'étant plus pratiqué malgré la prééminence que lui donne la Constitution, ne pourrait alors que provoquer une réaction de rejet qui pourrait être catalyseur de violences, nuisibles à tous. L'immobilisme institutionnel serait évidemment tout aussi inacceptable.

Nous vous demandons donc avec déférence mais aussi avec détermination de prendre en compte ces travaux de citoyens en complément de votre rapport avant sa publication formelle définitive, puis de soumettre l’ensemble de ce rapport, ainsi complété, à nos avis libres, comme vous le soumettrez aussi à notre exécutif. Si votre intention est ensuite, ce qui serait tout simplement logique, d’utiliser ces textes pour préparer une proposition de nouveau texte constitutionnel, nous vous demandons avec la même détermination de ne prévoir cette nouvelle étape qu’après la mise en place d’une assemblée constituante, afin de respecter le principe fondamental de souveraineté constitutionnelle du peuple dans son ensemble. Cette mise en place d’une assemblée constituante devra bien sûr être proposée aux citoyens par référendum et elle marquera un tournant, en disposant du pouvoir constituant non plus de façon transitoire, mais en permanence, avec une large représentation sur tout le territoire, et en collaboration continue avec les nouvelles institutions..

Nous avons de longue date, nous citoyens, également réfléchi à ce projet.

C’est par exemple le cas des membres de l’association pour une Constituante dont les travaux sont présentés sur le site http://www.pouruneconstituante.fr/ . Bien d’autres groupes de citoyens libres agissent de même. Les partis politiques (en leur nom ou via leurs membres les plus éminents) ont su pour certains récupérer ce mouvement national, ils en sont libres, mais ils ne peuvent se prétendre légitimes en la matière car, vous le savez, ils ne représentent par leurs membres qu’une infime minorité de citoyens et ils ne peuvent pas échapper à des tentations clientélistes, totalement à l’opposé de ce que doit être un contrat social pour tous. Les manifestations parfois agitées qu'ils organisent et qui attisent les passions collectives, nuisibles à cette réflexion, en sont la preuve.

Vous trouverez également sur le site http://collectifconstituant.fr.gd une liste non exhaustive de mouvements citoyens abordant cette question constitutionnelle, ainsi qu’un courrier qui a été adressé à la Présidence de la République pour demander ce référendum, et un texte de travail annexé portant sur un projet de loi référendaire établissant une assemblée constituante, autant que possible indépendante des partis politiques.

Nous ne doutons pas, Monsieur le président, et nous vous en remercions par avance, que vous prendrez en compte les aspirations des citoyens en respectant leur souveraineté constitutionnelle, inaliénable, pour engager sans délai ce processus de mise en place d’une assemblée constituante. Ce sera bien la suite logique de vos travaux respectueuse de ceux des citoyens : une assemblée qui élaborera souverainement et de façon collaborative la nouvelle Constitution, Constitution que vous-même, avec votre groupe de travail, nous l'espérons, ainsi que les citoyens, appellent de tous leurs vœux.

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Groupe de travail sur l’avenir des institutions

Vendredi 26 juin 2015

Séance de 9 heures, compte rendu n° 15

Présidence de M. Claude Bartolone et de M. Michel Winock

– Table ronde, ouverte à la presse

La séance débute à neuf heures quinze.

M. le président Claude Bartolone. Avant d’entrer dans le vif du sujet, je tiens à féliciter Michel Winock qui vient d’obtenir le prix du livre politique du Sénat pour son ouvrage sur François Mitterrand. Nous avons donc fait le bon choix, les mérites du coprésident de notre groupe de travail ayant été une fois de plus reconnus…

M. le président Michel Winock. Je vous remercie, monsieur le président, d’autant que, je le suppose, vous n’y êtes pour rien !

M. le président Claude Bartolone. Pour rien, en effet : vous imaginez le poids de ma parole au Sénat…

Après sept mois d’auditions, de tables rondes et de débats, nous voici entrés dans la phase de délibérations de notre groupe de travail sur l’avenir des institutions.

Dans cette perspective, nous avons adressé à chacun d’entre vous un questionnaire dit « préférentiel ». Ce document, dont vous trouverez un exemplaire devant vous, est le reflet de nos discussions et de nos échanges. Il tente de répertorier les positions et les pistes de réformes évoquées au cours des quatorze séances précédentes. Nous vous avons demandé d’indiquer sur ce document votre degré d’adhésion ou d’opposition à chaque proposition.

Si ce questionnaire se veut relativement exhaustif, il se peut néanmoins que vous ayez noté, ici ou là, un oubli. Si tel est le cas, une rubrique intitulée « remarques personnelles » se trouve en dernière page du questionnaire afin de vous permettre de sortir des chemins tracés par ce document et de le compléter ainsi utilement. Nous ne pourrons pas, en revanche, compte tenu de notre calendrier, modifier ou ajouter telle ou telle question et adresser un nouveau questionnaire au groupe de travail.

J’insiste d’ailleurs sur le fait que vos réponses doivent impérativement parvenir au secrétariat du groupe de travail, soit sous forme électronique, soit sous forme manuscrite, au plus tard lundi prochain à midi. Michel Winock et moi-même remercions ceux qui nous ont d’ores et déjà transmis leur réponse.

Nous vous informons également que nous vous remettrons, à la demande de plusieurs d’entre vous, un enregistrement de l’intégralité de nos auditions et de nos séances. Je vous rappelle toutefois que l’ensemble des comptes rendus est accessible en ligne sur le site de l’Assemblée sous un format PDF – nous pourrons aussi vous les transmettre.

J’ai eu l’occasion de l’indiquer il y a quinze jours, nous avons prévu avec Michel Winock deux séances de délibérations : celle d’aujourd’hui et celle du 10 juillet prochain.

Lors de la prochaine séance, nous vous présenterons l’analyse consolidée des questionnaires que vous nous aurez transmis et, par la suite, les positions qui semblent faire consensus au sein du groupe de travail et celles qui au contraire n’auront pas rassemblé de majorité. Puis nous laisserons les uns et les autres réagir.

La séance d’aujourd’hui est, en revanche, l’occasion pour chacun d’entre vous d’exposer ses propres positions afin, peut-être, de convaincre ceux qui n’ont pas encore rempli leur questionnaire ou qui seraient encore indécis sur tel ou tel point. C’est également l’occasion d’insister sur les constats qui semblent s’être dégagés à l’issue de ces sept mois de travail et que nous voudrions retrouver dans notre rapport.

Je l’ai dit la dernière fois : chacun ici a évolué intellectuellement au cours de ces séances. Nos convictions ont été parfois renforcées, parfois ébranlées, voire modifiées ! L’analyse des questionnaires peut nous réserver quelques surprises… Reste que, pour ma part, une chose est sûre : après cette expérience, je crois aujourd’hui encore plus qu’hier à l’importance de la délibération. Je vous remercie les uns et les autres pour votre assiduité et pour vos interventions. Je rappelle qu’il n’est en aucun cas question de vous piéger : toutes vos remarques, y compris celles qui ne s’accorderaient pas avec les conclusions du rapport, seront prises en considération et vous pourrez y adjoindre une contribution écrite une fois nos réunions terminées. Tout sera ainsi transparent.

La question de la modernisation de nos institutions s’invitera inéluctablement lors de la prochaine élection présidentielle. J’espère que notre groupe atypique – pour la première fois, ce ne sont pas uniquement des constitutionnalistes qui auront réfléchi à l’évolution de nos institutions – aura l’occasion de prendre sa part au débat.

Mme Christine Lazerges. Je m’interroge sur la méthode de travail du tour de table de ce matin : allons-nous traiter question par question ? Je pense en effet que nous devons séquencer nos interventions.

M. Bernard Accoyer. Si nous faisons un tour de table pour chaque question, nous serons encore là demain matin. Il me semble plus approprié, à ce stade de nos travaux, que nous livrions chacun une vision synthétique.

M. le président Claude Bartolone. Mon prédécesseur a, me semble-t-il, raison et nous ne devons pas, de plus, anticiper sur les réponses au questionnaire. Je propose donc que chacun s’exprime sur l’ensemble des auditions auxquelles nous avons procédé, en se concentrant sur les points qui l’auront le plus fait « bouger ».

M. Ferdinand Mélin-Soucramanien. Je suis d’accord avec la méthode que vous proposez, monsieur le président, ainsi que M. Accoyer : il faudrait que chacun revienne sur deux ou trois points saillants. En outre, je note que le questionnaire recèle une question implicite et qui surplombe les autres : celle de savoir s’il faut, ou non, réformer en profondeur les institutions.

M. le président Michel Winock. Ne peut-on, avant tout, se demander ce qui manque dans ce questionnaire – sans qu’il soit certes question de le transformer ? Par exemple, je n’y ai rien vu sur la procédure de désignation des candidats à la présidence de la République, alors que nous l’avions évoquée à propos des primaires.

M. le président Claude Bartolone. Identifier ce qui manque est une démarche intéressante, mais qui ne doit pas occulter le travail accompli. L’intervention de Michel Winock me donne d’ailleurs l’occasion de remercier l’ensemble de ceux qui ont travaillé sur le sujet, services, administrateurs et vous-même, madame la secrétaire générale.

Mme Mireille Imbert-Quaretta. Si nous optons pour la fusion du Sénat et du Conseil économique, social et environnemental (CESE), des questions supplémentaires sont nécessaires sur les compétences de la nouvelle assemblée qui en résulterait : à quoi servirait-elle, ne serait-elle que consultative ; aurait-elle, dans certains domaines, des compétences législatives ?

De même, si l’on opte pour un ordre de juridiction sociale, fortement défendu par Pierre Joxe – proposition quelque peu révolutionnaire pour laquelle on peut être tenté, constatant le mauvais fonctionnement de nos juridictions sociales –, des questions complémentaires doivent être posées. Fusionnera-t-on les juridictions sociales administratives et judiciaires ? Doit-on mettre de l’ordre dans le maquis juridique actuel tout en tentant de sortir de la pauvreté immense de ces juridictions ?

M. le président Claude Bartolone. Pour ce qui est de la fusion du Sénat et du CESE, plusieurs questions figurent page 12, notamment la question 39.1.3, qui rejoint la vôtre : « Quelles conséquences faudrait-il en tirer en termes de pouvoirs ? »

Mme Mireille Imbert-Quaretta. Nous n’avons pas procédé à l’évaluation des réformes constitutionnelles passées. Je pense à la remarque qu’avait faite le président Accoyer sur les conséquences de la session unique. Faut-il la maintenir, surtout si l’on veut accentuer le contrôle de l’exécutif par le Parlement ? Je pense à la semaine de contrôle.

Ensuite, en ce qui concerne la réforme constitutionnelle de 2008, je me suis interrogée à plusieurs reprises, d’une part, sur le partage du temps entre le Parlement et le Gouvernement et, d’autre part, sur le fait que le texte examiné en séance est désormais celui de la commission et non plus celui du Gouvernement. Or, sur ce dernier point, vous avez observé, monsieur le président, une explosion en séance des amendements gouvernementaux, les textes étant « mal ficelés ». Mais la vraie raison n’est-elle pas plutôt que le Gouvernement, s’il veut en revenir à son texte, est obligé de déposer des amendements ? Je me demande par conséquent si ces deux modifications n’ont pas eu des effets collatéraux que l’on n’avait pas prévus.

M. le président Claude Bartolone. Lorsque nous avons reçu Régis Juanico et Laure de La Raudière, auteurs d’un rapport sur la « fabrique de la loi », ces difficultés ont bien été mises en évidence et nous avons pu constater qu’elles dépassaient la seule réforme de 2008. Vous auriez raison, madame, si les amendements du Gouvernement n’étaient déposés qu’après l’examen du texte par l’une des deux assemblées, mais je dois malheureusement souligner, pour l’avoir vécu très dernièrement, que cette multiplication des amendements gouvernementaux s’observe dès la première lecture. J’ajoute, à l’attention de ceux – dont font partie certains membres du Gouvernement – qui déplorent le rôle du Parlement dans l’inflation législative, que plus de 80 % des textes inscrits à l’ordre du jour de l’Assemblée sont d’origine gouvernementale. En outre, l’inflation en question ne doit pas seulement se mesurer au nombre des textes, mais aussi à leur épaisseur – et la frontière est souvent franchie allégrement entre le domaine de la loi et celui du règlement.

Mme Cécile Untermaier. Je félicite à mon tour les services pour l’élaboration du questionnaire, et j’insiste pour qu’on ne voie pas dans mon intervention une critique.

Je relève que nous avons assez peu évoqué le Conseil d’État au cours de nos réunions. Il serait intéressant de savoir comment nous souhaiterions le voir évoluer ? Faut-il aller jusqu’à regrouper la juridiction administrative et la juridiction judiciaire au sein d’un même ensemble ? Cette question est importante dès lors que nous nous interrogeons sur la nature du pouvoir judiciaire, car qui dit pouvoir judiciaire dit, bien sûr, déontologie et indépendance. Or je ne suis pas sûre que le Conseil d’État, dans sa configuration actuelle – on y remarque en effet l’existence de potentiels conflits d’intérêts – réponde aux exigences d’un pouvoir judiciaire.

Mme Virginie Tournay. Je ne vois pas d’items sur la place du principe de précaution dans la hiérarchie des normes, alors que nous avons longuement débattu de ce point controversé, et qui touche à la démarcation entre opinion et connaissance. Veut-on, oui ou non, confier à nos institutions la responsabilité de la gestion de nos sociétés sur le temps long ?

M. Denis Baranger. Vous l’avez dit, et nous vous en sommes redevables, monsieur le président, ce groupe de travail est assez original et doit le rester. Il faut que le rapport mette en évidence la plus-value de notre travail : la diversité des positions exprimées sur les questions institutionnelles, la diversité des approches empiriques suggérées. Si nous n’étions qu’une énième commission de réflexion sur les institutions, ce serait en effet dommage. Aussi le grand intérêt de notre travail – et même si nous le ferons dans certains cas parce que c’est utile – ne réside-t-il pas nécessairement dans l’énumération de propositions de modification de la Constitution, d’autant que nous savons qu’il sera difficile de réunir une majorité des deux tiers au Congrès. Nous devons constituer une étape dans la réflexion sur les institutions de la Ve République.

M. Michaël Foessel. Je souscris à ce que vient de dire M. Baranger. Évoquer le fait qu’il n’y a pas de question sur le point de savoir s’il faut conserver, amender ou changer la Constitution est une bonne manière de lancer le débat. Il faudrait que le groupe de travail, à travers son rapport notamment, montre qu’au-delà des mesures qu’il peut préconiser sur tel ou tel point, la question des institutions est urgente et impérieuse. Il faut en effet qu’elle redevienne une question démocratique et médiatique. Il convient de réintroduire le politique au sens noble dans notre façon d’aborder les questions institutionnelles. J’y insiste : la question de savoir s’il faut changer la Constitution ou changer de Constitution devrait tout de même être évoquée, ne serait-ce que formellement, pour délimiter l’ambition du groupe de travail.

Il y a peut-être consensus sur la nécessité que nos discussions deviennent de véritables enjeux de société dans les mois à venir, et, pour cela, il n’y pas d’autre moyen que de souligner que ce dont nous avons parlé ici, y compris dans ses dimensions les plus techniques, concerne les citoyens. La discussion devrait donc avant tout porter sur le désir d’institutions, éventuellement même – je parle ici pour moi – le désir de changer les institutions, et ce avant même de savoir si le Sénat doit devenir une chambre consultative ou une chambre dont les membres seraient tirés au sort.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Nous saisissons très souvent, même de plus en plus, le Conseil constitutionnel, et je regrette que nous n’ayons pas auditionné son président – mais peut-être a-t-il un devoir de réserve. Le questionnaire n’aborde que le fait de savoir si les anciens présidents de la République doivent ou non en être membres de droit, et si ses membres doivent avoir une compétence juridique… Or j’ai bien mesuré, depuis que je suis parlementaire, l’évolution de cette institution très importante à mes yeux, en particulier avec l’instauration de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Le questionnaire devrait donc aborder la place, la fonction du Conseil constitutionnel dans la démocratie française.

Ensuite, qu’en est-il de l’environnement européen ? Quelle est l’influence de l’Europe sur nos institutions ? Nous n’avons peut-être pas suffisamment développé le sujet au cours de nos réunions alors que l’Europe prend une place de plus en plus importante. Notre système institutionnel est-il adapté à l’Union européenne, en particulier en ce qui concerne les rapports entre les parlementaires nationaux et les parlementaires européens ?

M. Bernard Thibault. Je suis de ceux qui ont déjà répondu au questionnaire. Même si l’on peut souhaiter que d’autres questions soient posées, il paraît difficile d’en augmenter le nombre indéfiniment. Néanmoins, on est souvent tenté de répondre par « oui, si » ou « oui, mais »… Je pense avant tout à la restitution et à la réception de nos travaux. Nous pouvons en effet aider à une prise de conscience afin que les sujets que nous avons abordés fassent plus encore qu’à présent partie du débat public. Dans cette perspective, nous devons avoir présent à l’esprit que tous les sujets ne se valent pas. Ainsi, la durée du mandat du Président de la République intéressera bien plus que le fait de savoir s’il faut porter de une à deux le nombre de semaines blanches au Parlement. Ainsi ce qui paraît relever de la mécanique – même si certains aspects en sont très importants – ne devrait pas être placé au même rang que d’autres enjeux qui, aux yeux des citoyens, apparaissent bien plus cruciaux.

M. le président Claude Bartolone. Je précise que le tome II du rapport reprendra l’intégralité de nos auditions et chacun pourra, s’il le souhaite, envoyer une contribution. Nous devons tenir compte du pari intellectuel que nous avons fait : réunir régulièrement et pendant de nombreuses semaines, dans la même pièce, des individus aux profils totalement différents et essayer de mesurer leur sensibilité à la question de savoir s’il faut modifier ou non nos institutions. Reste que la juxtaposition des interventions des uns et des autres ne suffirait pas à dégager une approche conclusive, d’où ce questionnaire. Je ne veux en tout cas surtout pas qu’on ait l’impression que je voudrais tordre la position des uns et des autres : le document final montrera le « bougé » éventuel des positions de chacun.

En ce qui concerne le Conseil constitutionnel, madame Zimmermann, nous avions décidé de ne pas recevoir les représentants des institutions – ainsi le président du CESE m’a-t-il demandé en vain, à plusieurs reprises, à être reçu – car cela aurait changé la nature de nos réunions. Quant à la QPC, nous sommes miraculeusement parvenus, il y a un an et demi, à réunir l’ensemble des représentants des différentes institutions pour participer à un colloque sur le sujet. Un document en est résulté, où l’on s’interroge notamment sur le fait de savoir si la QPC change ou non la nature du Conseil constitutionnel.

Mme Cécile Duflot. Le questionnaire – qui est une très bonne idée – permet de mesurer la sensibilité de tous ceux qui ont participé aux travaux de la commission. Pour ce qui me concerne, mes positions ont évolué sur certains points ; ainsi de la Sixième République : plutôt que d’en passer par un moment très violent, je plaiderais plutôt, désormais, pour une Cinquième bis. Il est très important que le résultat de nos travaux soit suffisamment clair et donne des perspectives. Bien sûr, nous n’aboutirons pas à une position commune – sinon elle serait des plus tièdes – et il faudra laisser apparaître un certain nombre de tendances.

Je reviendrai sur deux événements récents. Je m’astreins depuis un certain temps, notamment à cause de nos travaux, à ne plus commenter ce type d’événements afin d’avoir du recul.

Le premier est la manière dont le Premier ministre a décidé d’appliquer l’article 49, alinéa 3, de la Constitution : au cours d’une micro-intervention, coupant court à tout débat, il nous a expliqué qu’il fallait aller vite. On n’entend d’ailleurs que cela : j’ai lu que le Président de la République allait juger les ministres en fonction de la rapidité avec laquelle ils prenaient leurs décrets d’application. Or on se trompe : quel est le problème « majeur » de la France depuis deux jours ? Celui des taxis !

Pouvons-nous nous montrer francs sur le sujet ? Entre 1973 et 2012, le prix de la licence de taxi a été multiplié par quarante et, ces dernières années, il est passé de 200 000 à 250 000 euros. Or ce problème ne vient pas de surgir : identifié depuis plus de vingt ans, il est lié à la fois à l’économie de la rente et à la révolution numérique en cours, et non pas au temps parlementaire, à la sortie attendue de décrets d’application – ce serait mentir que de l’affirmer. C’est donc davantage une question de prise en compte des enjeux politiques que de fonctionnement des institutions qu’il s’agit.

Notre responsabilité me paraît être d’introduire de la raison et de la lenteur dans le processus législatif pour éviter non pas la rapidité mais bien l’agitation : élaborer la loi exige prudence et responsabilité. L’accélération évoquée implique que la seule réponse politique que l’on puisse trouver à certaines questions est d’ordre législatif.

Quand on brusque certaines décisions, le Conseil constitutionnel est aujourd’hui le dernier recours. Quel sens y a-t-il à ce que le chef de l’exécutif, dont nous avons dit à quel point il était déjà puissant, saisisse le Conseil constitutionnel de l’intégralité d’une loi qui vient d’être votée ? Tour le monde a l’air de considérer cette pratique comme logique, mais on nous empêche d’assumer des choix politiques de moyen, voire de long terme, ou même de réparer des erreurs. Je prendrai un autre exemple : celui de la taxe poids lourds, fruit d’un travail considérable, faisant l’objet de l’unanimité dans le cadre de la loi « Grenelle », et appliquée par deux majorités différentes – avant que tout s’arrête subitement.

Nous nous éloignons peut-être un peu du sujet, mais il faut prendre ce type d’exemples en considération car, à rester à un niveau stratosphérique, nous nous mentirions à nous-mêmes. Parmi les difficultés que nous avons identifiées figure la très grande responsabilité du Président de la République : dès lors qu’un seul individu est sommé d’apporter des réponses sur tous les sujets du jour au lendemain, le fonctionnement démocratique s’en trouve fragilisé.

J’espère que le questionnaire mettra en évidence, sur plusieurs points, des « bougés », pour reprendre votre expression, monsieur le président. Et j’espère que l’absence de plan caché de votre part ne signifie pas que nous n’aboutirons à aucun résultat. En effet, notre groupe de travail n’est pas si anodin. Dans les circonstances présentes, nous devons oser la franchise. Je ne prétends pas détenir la vérité sur tout : nos débats, je l’ai dit, m’ont amenée à changer d’avis sur certaines questions – ainsi des relations entre le Sénat et le CESE, sujet sur lequel j’ai été en effet très influencée par ce que j’ai entendu. Au contraire, plusieurs auditions ont renforcé mon point de vue initial, comme sur le scrutin proportionnel.

La composition du groupe de travail est si originale que nous devons oser affirmer un certain nombre de choses : nous en avons besoin. J’ignore si, comme me l’a suggéré une personne autour de la table, nous sommes en 1788 sans que, nous mis à part, les principaux concernés ne s’en soient pas rendu compte, mais je pense que nous devons faire des propositions – les acteurs institutionnels eux-mêmes étant du reste bien conscients de la nécessité de bouger. La situation des taxis et des VTC est douloureuse, alors que nous avions identifié leurs problèmes depuis très longtemps ; si nous agissons de même avec les institutions, ce ne serait plus seulement dangereux mais dramatique.

M. Alain-Gérard Slama. Je prolongerai ces réflexions auxquelles je souscris largement. Qu’est-ce qui n’a pas marché dans cette affaire des taxis ? Pas seulement une question de procédure, mais également une question de principe – un principe de justice, ou de respect des contrats. Des gens sont titulaires d’une licence qu’ils ont payée très cher, en fonction de laquelle ils ont organisé leur avenir, et ils voient brusquement des modalités de fonctionnement de la société, parfaitement légitimées par le développement des techniques, par les progrès de la mondialisation, entrer malheureusement en totale contradiction avec le respect des engagements pris par la société à leur égard. Je faisais à ce propos remarquer à Bernard Thibault que le corporatisme pouvait être aussi violent que la lutte des classes…

J’ai appris ici comment les choses fonctionnaient sur le terrain – je n’ai jamais été député –, d’une façon qui m’a énormément éclairé. La France, parmi la plupart des pays européens, est celle qui a le plus subi le choc de la mondialisation, car elle a été construite par son État, contrairement à de nombreux autres pays, comme l’Allemagne qui a été une nation avant d’être un État. Par conséquent, dès lors que l’État se trouve déstabilisé par la mondialisation, nous nous demandons d’où vient la loi qui décide de l’orientation vers tel ou tel cap qui nous semble parfois en contradiction avec notre modèle – comme c’est le cas pour la laïcité, par exemple, très peu abordée par le questionnaire.

La Cinquième République a été jusqu’à présent une réponse à ce type de problème, dans la mesure où elle posait des équilibres, notamment entre l’aspiration monarchique des Français – et ce n’est pas un hasard si la place du Président de la République nous a tellement occupés – et la dimension populaire. Je pense qu’il faut préserver cette dimension monarchique sans pour autant affaiblir les contre-pouvoirs. La mise en jeu de la responsabilité du Président m’apparaît essentielle : il est irresponsable comme les anciens monarques, ce qui n’est plus pensable aujourd’hui.

En outre, la mondialisation nous confronte au temps réel. Si vous entamez un régime d’amaigrissement, je vous déconseille de vous peser toutes les dix minutes ! Or c’est un peu ce qui nous arrive : les lois sont essentiellement fonction de l’actualité qui impose son rythme. Sur ce plan aussi, la Cinquième République respectait un certain équilibre qui reposait sur la légitimité du vieux mythe de la loi – expression de la volonté générale – mythe qui s’est réduit comme peau de chagrin – hiérarchie des normes oblige.

La Cinquième n’a pas su répondre au problème du contre-pouvoir judiciaire. Il est évident qu’il faut un véritable pouvoir judiciaire. Le contrôle judiciaire est essentiel. Bernard Thibault me disait encore tout à l’heure que le code du travail, c’était, au fond, quelques règles et un nombre incroyable d’explications et de cas particuliers – en général définis par la jurisprudence.

Je ne crois pas qu’il faille changer la Cinquième République ; elle a été une réponse historiquement d’ailleurs liée à des hasards. De Gaulle s’imaginait-il, en 1962, que l’élection du Président de la République au suffrage universel, associée au scrutin majoritaire à deux tours, amènerait la France à s’aligner sur les modèles bipolaires et bipartisans de la plupart des pays ? L’avènement d’un système fondé sur une majorité et une opposition, d’alternance démocratique, ne faisait pas nécessairement partie des desseins du Général. Ainsi, paradoxalement, « par volonté et par hasard » comme dirait Pierre Boulez, la Cinquième République a créé quelque chose qui fonctionnait et qui est aujourd’hui remis en cause pour des raisons d’inadaptation technique aux exigences à la fois d’efficacité et de réflexion à long terme.

Créer une commission par ministère me paraît une très bonne idée, même si je ne suis pas sûr qu’il faille anticiper, par une pré-délibération, sur la délibération parlementaire : plus on banalise celle-ci, plus on risque d’affaiblir le prestige de l’Assemblée. Il faut resacraliser le mécanisme et le relégitimer, la relégitimation elle-même passant par une plus grande efficacité, une meilleure communication et une meilleure distribution des interventions et des pouvoirs.

Il fut un temps où il était très à la mode de donner dans la démocratie participative. Nous n’en avons pas trop parlé – un nom a quelque peu disparu de nos débats, celui de Pierre Rosanvallon qu’à une époque le Conseil économique et social consultait énormément.

En ce qui concerne les corporatismes, si je ne sais pas ce qu’il convient de faire du Sénat, je suis en tout cas sûr que l’associer au CESE serait contradictoire. En effet, on en viendrait à reféodaliser de la société française : dans un pays comme la France, qui a été unifié précisément par l’État, lorsqu’il n’y a plus l’État, il reste les corporations, les religions et la race. Ce qui nous rassemble et nous définit, c’est, en fin de compte, l’intériorisation de la loi ; or, quand la loi n’a plus de légitimité, quand l’État n’apparaît pas suffisant pour protéger les citoyens, chacun se protège derrière une corporation, une identité, qui peut être religieuse, ethnique ou régionale.

Il convient, pour refonder la Cinquième République, de renforcer, d’une part, une certaine sacralité du pouvoir et, de l’autre, la légitimité de ce pouvoir, les deux notions n’étant pas toujours identiques et devant s’équilibrer. C’est le défi auquel nous sommes confrontés et c’est le meilleur moyen, à mon sens, de lutter contre les dérives de notre société qui risque d’éclater faute de nation. Il ne s’agit pas de lancer un appel à la refondation de la nation, sursum corda, tous debout au coude-à-coude sur le parapet et sabre au clair pour reconstituer l’amour de la patrie – cela ne se décrète pas –, mais au moins tâchons de faire en sorte que les institutions retrouvent une certaine crédibilité, une certaine légitimité.

On nous a soumis une liste de questions pratiques, techniques. Il serait bon que chacun y aille non pas de sa profession de foi mais d’un exposé des motifs plus clair que les propos que je viens de tenir. C’est l’une des raisons d’être que je donnerais à notre groupe de travail qui ne réunit pas que des juristes mais des citoyens impliqués dans la réflexion sur l’histoire de France.

Mme Marie-Louise Antoni. En vous écoutant les uns et les autres, il me semble que notre défi majeur consiste à savoir ce que l’opinion retiendra de nos travaux. Je suis d’accord avec Bernard Thibault : il est probable que les médias s’accrocheront à la suppression du Sénat, au mandat du Président de la République… Nous devrions par conséquent nous caler sur quelques idées fortes qui nous paraissent « transformantes » tant il est vrai que, dans ce pays, quand on se parle, on est capable d’identifier les maux dont on souffre.

Je prendrai l’exemple d’un sujet qui m’est cher, « Démocratie sociale et démocratie politique » : la question 60 sur la hiérarchie des normes me paraît très « transformante » mais je redoute que, sur la question, l’opinion et les médias ne retiennent que le chèque syndical ou l’obligation d’adhérer à un syndicat.

J’ai beaucoup d’admiration pour le travail des services qui sont parvenus à canaliser nos débats.

Je reviens donc sur notre défi : imposer quatre idées dans le débat. Ce que nous avons fait est trop précieux, trop intéressant pour que cela se résume à quelques points de friction et d’intérêt pour les médias.

M. Denis Baranger. Je remercie à mon tour les auteurs du questionnaire et je souhaite qu’ils ne voient pas dans nos remarques autre chose que de la reconnaissance.

Nous avons intérêt à distinguer, d’une part, les grands équilibres institutionnels et, de l’autre, ce qu’on doit changer. Les premiers sont difficiles à changer par décret, de façon volontariste. Ainsi, si nous faisons des propositions de modification constitutionnelle sur les grands équilibres, nous tomberons dans la même trappe que les précédentes commissions – ce qui ne nous empêche pas de nous exprimer avec force sur le sujet. Je prendrai l’exemple du Sénat et du CESE. Je retiens de nos nombreuses discussions que le Sénat comme le CESE doivent évoluer.

M. le président Claude Bartolone. De même que l’Assemblée !

M. Denis Baranger. Dans l’intérêt même de l’institution sénatoriale, une évolution doit avoir lieu : il est dommage d’avoir une seconde chambre qui ne joue pas le rôle qu’elle pourrait jouer dans le débat public, et affirmer qu’elle souffre d’une crise de représentation n’est pas faire offense à ses membres – c’est tout le contraire dans mon esprit.

Le CESE doit évoluer, lui aussi : le fait qu’il ne soit pas entendu dans la discussion publique est vraiment dommage.

Doit-on réunir ces deux assemblées ? Ce serait peut-être souhaitable. Le Sénat l’acceptera-t-il ? C’est plus incertain. J’avais estimé nécessaire, pour ma part, de politiser la discussion au CESE – dans le sens où existe une politique non partisane : des écologistes peuvent ne pas provenir de l’écologie politique, d’autres membres peuvent être issus de la « société civile »… Nous avons ainsi reçu le représentant d’une grande association intervenant dans l’écologie et qui a tenu des propos plus choquants, brutaux que n’importe quel élu politique. Le CESE doit être le lieu de ce genre d’expression.

M. Mélin-Soucramanien a entièrement raison de considérer qu’il ne faut pas de troisième chambre. Il me paraît néanmoins urgent qu’il se passe quelque chose au sein du CESE. Nous devons l’affirmer même si nous n’avons pas de proposition à faire valoir qui soit recevable par tous les courants d’opinion.

Il convient par ailleurs de mettre en avant ce qui va mieux – je pense au point de vue de Marie-Anne Cohendet sur le Président de la République. Je renverserai, par goût de la provocation, certaines idées en vogue : j’affirme être satisfait de ce que le Président de la République soit aujourd’hui moins fort que ne l’étaient le général de Gaulle et Georges Pompidou. Depuis une dizaine d’années, en effet, le chef de l’État dispose d’une moindre marge de manœuvre, influence moins la vie politique. Or ce n’est pas un amendement à la Constitution qui en est la cause mais une tendance lourde ; et les tendances lourdes, on ne peut que les constater ou les regretter quand on trouve qu’elles sont nuisibles – être un organe de constatation ne me paraît du reste pas négligeable. Certains mécanismes de réajustement ont fonctionné : ainsi de certaines dispositions positives de la réforme de 2008 – encore faut-il, j’y insiste, le souligner.

Malgré tout, il y a urgence à intervenir.

Ainsi, il faut absolument changer l’article 64, voire le supprimer ! Le Président de la République ne doit plus « veiller à l’indépendance de l’autorité judiciaire » : ce n’est simplement plus possible. Il faut un pouvoir judiciaire. J’ai été, sur ce point, très sensible aux propos de Pierre Joxe.

Il faut aussi faire évoluer le Conseil constitutionnel. À mes yeux, la Constitution n’est pas vivante dans notre pays comme elle peut l’être en Allemagne ou aux États-Unis. J’ai le plus grand respect pour le Conseil constitutionnel, qui a su porter l’idée d’État de droit dans notre pays ; mais je n’arrive pas à me réconcilier avec l’idée d’un juge qui motive aussi peu ses décisions. Une décision sur une loi organique peut-elle tenir en deux lignes ? Encore une fois, je le dis avec respect, mais je ne peux pas l’accepter. Il nous faut des opinions dissidentes, il nous faut un juge constitutionnel qui soit un organe de la longue durée – ce que n’est pas aujourd’hui notre Conseil constitutionnel. Celui-ci est très bien intégré à la mécanique institutionnelle de gestion du processus normatif ; on sait ce qu’il pense, et on le sait vite : un commentaire des Cahiers du Conseil constitutionnel indiquait que telle décision avait été rendue en une heure et demie ! Je ne pense pas que ce soit une bonne chose. Il faut de la lenteur, et les QPC posent de ce point de vue, je crois, un énorme problème. La motivation des décisions, je le dis sans aucune volonté de provocation, est très insuffisante, et notre justice constitutionnelle doit évoluer sur ce point. Nous sommes peu à le dire mais cela ne doit pas nous empêcher d’être entendus.

J’aimerais qu’il soit question de la parité, qui n’a pas assez évolué.

La transformation des grands partis en séries de micro-partis me semble poser un problème sérieux : il faut interdire, ou encadrer, ces derniers. On m’a fait remarquer qu’être opposé aux micro-partis revenait en quelque sorte à s’opposer aux primaires, les premiers servant d’instruments de préparation des secondes. Il faut y réfléchir, mais un encadrement législatif des micro-partis me semble indispensable.

Il faut enfin verrouiller la question du contrôle du financement. Nous avons ainsi auditionné le fondateur d’une start-up dont le but est d’accompagner la transformation des partis politiques et des campagnes électorales. C’était très intéressant, mais tout cela va coûter cher… Soyons prudents : plus les élections seront onéreuses, plus le financement privé sera nécessaire. Or c’est – comme le montre ce qui se passe aujourd’hui aux États-Unis – une pente dangereuse pour la démocratie. Il faut prendre garde à ne pas nous y engager.

S’agissant enfin de l’éthique publique, il faut, je crois, externaliser le contrôle : notre administration se contrôle assez bien, mais elle se contrôle elle-même, ce qui pose problème. Pourquoi le CESE ne pourrait-il pas devenir une instance de contrôle ? Je ne néglige pas le travail de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Mais il faut nous engager dans un mouvement de séparation organique du contrôleur et du contrôlé.

M. Guillaume Tusseau. Je commence par souligner à quel point je suis heureux d’avoir pu participer à cette commission ; l’expérience a été très enrichissante.

Je m’abstiendrai naturellement de tout propos sur la justice, les autorités juridictionnelles et le Conseil constitutionnel.

Je m’interrogerai d’abord sur l’un des préalables de notre discussion, qui a été énoncé par Michaël Foessel : les institutions devraient redevenir le cœur du débat. Je n’en suis pas si sûr : les mobilisations sociales récentes – comme les « zones à défendre » (ZAD) ou les mouvements Occupy – montrent une volonté démocratique mais aussi une sortie des institutions. Ces mouvements n’ont guère de leaders ni de programmes articulés – sinon celui de laisser fructifier des modes d’existence ou de croyance librement, à l’abri des institutions. C’est d’ailleurs ce qui les rend si difficile à lire par les sciences politiques. Paradoxalement, notre mission est peut-être le dernier sursaut d’un monde appelé à vaciller… Cela m’invite à beaucoup de modestie, mais j’ai accepté de faire partie de cette mission et je sais pourquoi je suis là.

En remplissant le questionnaire – qui est en effet très bien conçu – je me suis senti partagé entre des aspirations abstraites, utopiques, révolutionnaires d’un côté, et de l’autre le concret, le faisable aujourd’hui, en 2015. Je me suis donc résolu à parler de ce qui me semble urgent.

Il est d’abord urgent d’avoir une élite politique plus en phase avec la population, plus réactive, plus attentive, plus en mesure d’incarner ce que souhaite le peuple. Pour relégitimer nos institutions – si nous proposons de les conserver –, il faut rassembler les personnes, et supprimer la distance entre les élites et la population.

Cela passe par un statut de l’élu, mais aussi par l’instauration de quotas. Ceux-ci, fait-on souvent observer, présentent un risque de subversion des fondements même de notre culture politique depuis la Révolution ; ils mettraient à mal notre idée d’un citoyen abstrait qui, par le suffrage universel, confie sa voix à un représentant détaché de ce qu’il est concrètement – religion, origine sociale, profession… C’est un risque, je n’en disconviens pas, mais c’est un risque à long terme. À ne rien faire, en revanche, à refuser de prendre la mesure de la déconnexion entre les élites et les citoyens, il y a aussi un risque, mais un risque à très court terme. Marie-George Buffet avait très bien montré cette difficulté, en prenant l’exemple de jeunes de cités qui se portaient candidats sur des listes électorales, quelles que soient la tendance politique et l’idéologie de celles-ci, dans le seul but d’être inclus dans la société. On pourrait citer ici un film célèbre : « jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien »… Alors, bien sûr, instaurer des quotas reviendrait à bouleverser notre culture de la représentation ; ce serait une forme de révolution culturelle, et je suis bien incapable ici de mesure les conséquences d’un tel changement.

Mais, même à dose homéopathique, cela vaudrait la peine d’essayer d’instaurer des quotas, mais aussi le vote électronique, la représentation proportionnelle, la réforme du référendum pour renforcer le rôle de la démocratie directe, les amendements citoyens, des processus – bien sûr très encadrés – de destitution sur initiative citoyenne à l’image du recall américain… Il faut en tout cas essayer de faire entendre la voix de ceux que nos institutions n’entendent plus, et qui se feront entendre un jour ou l’autre, mais d’une manière qui risque d’être délétère, ou à tout le moins très insatisfaisante pour beaucoup d’autres personnes.

Le questionnaire s’intéresse surtout à la mécanique institutionnelle, et laisse de côté les droits fondamentaux. Notre État prend aujourd’hui ses distances par rapport à l’État providence d’il y a encore dix ou vingt ans ; nous pourrions tenter de nous orienter vers un caring state, c’est-à-dire un État qui met en place les conditions qui permettront aux groupes, et aux individus, de développer les cultures, les solidarités, les comportements, qu’ils souhaitent. En ce sens, nous pourrions proposer – ce serait à nouveau une rupture culturelle majeure – de laisser Montesquieu de côté, d’oublier qu’il y a trois puissances dans chaque État, et d’instituer un pouvoir citoyen, comme certains pays le font déjà. Bien sûr, l’institutionnalisation risque de stériliser l’apport original de la volonté citoyenne brute, non filtrée par les mécanismes institutionnels qui sont aujourd’hui contestés. Mais pourquoi ne pas tenter de faire émerger ce pouvoir citoyen, peut-être par un titre autonome dans la Constitution, en rassemblant diverses procédures que j’ai déjà évoquées – référendum, amendements citoyens, possibilités de destitution… ?

Je rejoins enfin le dernier thème évoqué par Denis Baranger : certaines constitutions étrangères prévoient un pouvoir déontologique ou un pouvoir de contrôle. Nous pourrions nous en inspirer en inscrivant par exemple dans notre Constitution la nécessité d’un financement propre et transparent de la vie politique, d’une information, de relais plus forts pour la volonté du peuple…

Ce sont là, vous le voyez, des propositions, des hésitations aussi, voire des élucubrations, mais j’avoue ne pas les regretter : je vous suis donc très redevable d’avoir mis en place ce groupe de travail et je vous renouvelle mes remerciements.

Mme Virginie Tournay. Denis Baranger et Michael Foessel ont parlé de la nécessité d’une diversification de la parole sur les institutions ; en allant dans le même sens, j’aimerais, en laissant pour le moment de côté le questionnaire que vous avez eu l’amabilité de nous faire parvenir, revenir sur ce qui fait la raison d’être de ce groupe de travail, pour mettre en avant certaines explications de la crise de confiance que nous constatons, mais aussi pour faire en sorte que notre rapport touche le plus grand nombre possible de nos concitoyens.

Je ne suis pas persuadée que nous soyons tous d’accord sur le diagnostic que nous formulons sur la crise de nos institutions – je rejoins ici le constat d’Alain-Gérard Slama. L’écriture du rapport ne sera pas une mince affaire.

Mais la raison d’être de cette commission repose bien sur le constat d’une crise de notre système politique et de ses institutions. Nous avons vu que le mot « crise » pose problème : la crise de l’éducation, la crise territoriale et la crise des partis politiques n’ont pas la même signification et ne sont pas nécessairement comparables.

Je voudrais surtout souligner que, quand on parle de « crise », on parle du ressenti de nos concitoyens, de la remise en question de leur croyance en la capacité de nos institutions à résoudre les problèmes du quotidien. Je ne prétends pas qu’il n’existe pas de dysfonctionnement dans notre machine représentative, dans nos partis politiques ou dans notre justice. Je dis simplement que la relation de cause à effet entre la mécanique interne de nos institutions et la perception que peuvent en avoir les individus – l’opinion publique – n’est pas si évidente qu’il y paraît. Notre diagnostic de crise, il faut en être conscient, fait référence à la perception qu’ont les citoyens du fonctionnement de leurs institutions plutôt qu’à leur fonctionnement réel. C’est une nuance qui peut paraître anodine, mais qui ne l’est pas, car elle doit nous conduire à modifier la hiérarchie des variables explicatives de la défiance politique.

Si l’objectif de cette commission est de trouver des solutions pour restaurer la confiance politique, il ne faut pas uniquement réfléchir à l’amélioration du fonctionnement interne de nos institutions. Il faut également nous demander quel est le retentissement de ce fonctionnement sur le quotidien des citoyens.

En l’état, le questionnaire concerne surtout la mécanique de nos institutions politiques. Mais il me semble qu’il y a d’autres variables explicatives de ce climat de défiance politique. Preuve en est que les décideurs publics locaux sont davantage appréciés des Français que le pouvoir politique national : ce que l’on appelle en sciences politiques la « confiance du bas » et la « défiance du haut » est une constante des sondages. La proximité avec les citoyens est un facteur essentiel de la confiance politique. Améliorer cette dimension de proximité implique de déplacer en partie notre analyse : nous ne devons pas nous intéresser seulement à nos institutions juridiques et politiques, mais aussi à ces courroies de transmission institutionnelles, ces médiations qui touchent directement le quotidien des citoyens et qui sont le relais du pouvoir politique jusqu’aux espaces publics. Je pense notamment, mais pas uniquement, aux médias. En effet, le rapport entre les institutions et les publics n’est pas informé seulement par les règlements et la loi ; il l’est aussi, et peut-être d’abord, par ces médiations. Afin de ne pas négliger la complexité sociologique du problème que nous devons traiter, il me semble utile de montrer dans nos réflexions l’importance de quatre de ces médiations.

La première médiation à laquelle nous avons tous été confrontés et continuons de l’être, c’est le guichet administratif – je veux parler du travail administratif des agents qui reçoivent les usagers, traitent leurs demandes et instruisent leur dossier. C’est ce que l’on appelle en langage savant la street level bureaucracy. Ces agents sont aujourd’hui confrontés à des mutations culturelles radicales : importation des techniques du nouveau management public, culture numérique qui envahit l’ensemble des administrations et de la vie sociale… Cela rejoint nos réflexions sur les différentes temporalités de l’administration et des administrés.

Notre réflexion sur les institutions doit également, me semble-t-il, englober le rapport de nos concitoyens avec ces services administratifs en pleine mutation, car c’est à travers cette terminaison de l’action publique que nos institutions politiques sont comptables de leurs activités aux yeux des Français, qu’elles rendent des comptes à nos concitoyens.

Dans une démocratie qui serait presque idéale, où cette accountability serait présente, c’est l’individu qui est le sujet de droit. Mais pour que l’individu soit sujet de droit, encore faut-il que cette culture soit également répandue. Or on constate un écart énorme entre le droit des juristes, ce droit que l’on trouve dans les livres, et le droit que chaque individu pense avoir ou peut être amené à revendiquer. Cet écart est sans doute plus flagrant encore dans les politiques sociales, qui s’adressent à des personnes en situations de précarité sociale, économique et culturelle. Sur ce point, j’ai été très sensible aux interventions de Cécile Duflot sur le fonctionnement de la justice et la longueur de ces procédures et de Cécile Untermaier sur le problème des moyens de l’aide juridictionnelle et l’hésitation de beaucoup de nos concitoyens à recourir à la justice. Nombre d’individus, pour des raisons diverses – sociales, morales, idéologiques, culturelles –, ne se pensent pas comme sujets de droit et ne bénéficient pas des offres publiques, des droits et des services, auxquelles ils pourraient théoriquement prétendre.

Le non-recours au droit, étudié notamment par Philippe Warin, est beaucoup plus important qu’on ne le pense souvent : certaines études estiment que le coût de non-recours est supérieur à celui de la fraude sociale. Il obéit de plus à une constante sociologique : comme Pierre Joxe l’a souligné, les requérants des juridictions sociales sont pauvres, et c’est aussi le cas des non-requérants, qui sont mal informés et parfois éloignés des services sociaux ; j’ai été très sensible à son regard sociologique, à sa lecture des institutions judiciaires du point de vue du quotidien des magistrats mais aussi des usagers, des administrés. Tout cela pose la question de la mise en œuvre de nos politiques sociales.

Notre travail sur les institutions ne doit pas faire l’économie d’une réflexion sur les marges – les non-requérants, les élèves en difficulté scolaire, les chômeurs de longue durée, certaines personnes âgées… Il doit comporter, je crois, un volet de propositions, ou tout au moins de réflexions sur les manières d’améliorer le travail administratif des agents qui sont directement en contact avec les usagers.

La deuxième médiation, dont nous avons finalement peu parlé, concerne le champ associatif.

Dans nos différentes séances, nous avons considéré d’emblée, par nécessité de clarté dans nos propos, qu’il existait une séparation relativement nette entre nos institutions politiques et la société civile. Or il me semble que les associations constituent une bizarrerie institutionnelle qui mérite notre attention en raison des intrications extraordinaires, et particulières à la France, entre les associations et les pouvoirs publics. Le gouvernement de Pierre Mauroy avait voulu, au début des années 1980, clarifier leur rôle, mais je ne suis pas certaine qu’il y ait eu depuis beaucoup d’avancées… Or, il est clair que les associations peuvent être amenées à jouer un rôle d’auxiliaire, de pilote ou d’agent des politiques publiques. Les termes – courants – de para-associatif et de parapublic traduisent une lourde ambiguïté institutionnelle : on peut considérer que l’État se démembre en recourant aux institutions pour effectuer des tâches qu’il n’assure pas – c’est l’idée que l’État instituerait le social par les associations ; on peut au contraire envisager la fonction des associations comme une prise en charge de la société par elle-même, comme une forme d’action collective.

Il me semble que cette ambiguïté traduit le fait que nous sommes dans une configuration beaucoup plus osmotique où le vrai clivage ne se situe pas entre l’administration classique et les citoyens, mais entre ceux qui participent au fonctionnement de l’État – via l’administration et les associations – et les autres. Et il est vrai que la vogue participationniste ne fait qu’institutionnaliser ce phénomène. Il faudrait, je crois, nous interroger sur le périmètre de nos institutions politiques, et nous demander ce qui constitue leur essence. C’est aussi notre conception de l’éthique publique qui est ici en jeu.

La troisième médiation qui me semble importante, c’est tout ce qui relève de nos institutions de mémoire.

Nous avons connu, à partir des années 1980, une sorte d’explosion de la demande patrimoniale : les individus, les groupes sociaux ont revendiqué le respect et la reconnaissance de leur mémoire. Dans ce contexte, les travaux de Pierre Nora ont eu un retentissement important : ils ont montré qu’il pouvait y avoir conflit, désajustement, entre les mémoires plurielles et la construction d’un récit national commun dont on voit bien aujourd’hui qu’il est difficile à constituer. Je pense que cela n’est pas sans liens avec les problèmes de défiance des Français vis-à-vis de leurs élus. Comme l’a signalé Lucien Jaume, la désaffection des citoyens vis-à-vis de leurs représentants pourrait s’expliquer en partie par le fait qu’ils n’adhèrent plus à l’idée de peuple souverain ou qu’ils ne partagent pas la même acception de ce que c’est que d’être Français. On rejoint les enjeux actuels de l’interculturalité.

Il est important, je crois, d’avoir conscience que penser l’avenir des institutions consiste également à se mettre d’accord sur la façon dont on écrit leur passé, sur la façon dont nous nous raccrochons, tous, aux symboles forts de la nation. Je pense que nous sommes aujourd’hui dans un moment important pour nos politiques symboliques, au regard de notre histoire institutionnelle et sociale : les attentats du mois de janvier dernier ont montré l’émergence de nouvelles constructions symboliques. C’est en de tels moments que se renégocient et se re-hiérarchisent les éléments de notre mémoire nationale. Il faut aussi, à mon sens, mentionner dans notre rapport l’importance des questions mémorielles, nationales et locales, et de leur traduction sur notre territoire – je pense par exemple aux écomusées.

La quatrième médiation qui me semble fondamentale renvoie aux politiques culturelles – au sens large, c’est-à-dire en y incluant les savoirs scientifiques.

Une société qui croit en ses institutions politiques est aussi une société qui croit au progrès par la recherche, comme à la nécessité de transmettre les connaissances. Mais aujourd’hui, de la même façon qu’il y a des mémoires plurielles, il y a très fréquemment des revendications de connaissances plurielles qui se situeraient toutes sur un même plan de légitimité. C’est une illusion, nous le savons bien ; et cela ne gêne pas en soi le fonctionnement de la société. Mais cela commence à poser problème quand il y a volonté de remettre en cause le travail des scientifiques. Il me semble que cette confusion entre ce qui relève de l’opinion et ce qui relève d’un savoir scientifique, pour reprendre les termes de Dominique Schnapper, a d’importantes conséquences pour nos institutions politiques.

Tout d’abord, formellement, il est dans le rôle des institutions de réaffirmer la nécessité d’un débat public sur les choix de société et de sauvegarder la connaissance scientifique, compte tenu des enjeux que cela comporte en termes de développement social et économique.

De plus, cette confusion entre savoir et opinion pose un problème plus profond qui est le propre de la mouvance postmoderne. On ne sait plus rendre désirable l’idée de futur et l’on souhaiterait confier à nos institutions politiques la gestion de nos sociétés sur un horizon prédictif de plus en plus long – ce qui est scientifiquement impossible. Ce que nous devrions demander à nos institutions, ce n’est pas de se lancer dans la futurologie, mais d’être réactives quand il le faut et ne pas prétendre maîtriser les événements quand cela n’est pas possible. L’entrée des sciences dans la démocratie ne doit pas remettre en cause l’esprit des Lumières, mais il ne faut pas non plus que l’État soit le seul garant de l’orthodoxie culturelle : c’est là, j’en ai bien conscience, un équilibre difficile à atteindre, mais essentiel pour notre confiance dans nos institutions politiques.

En mettant en avant ces éléments de sociologie politique, de façon peut-être un peu décalée par rapport à vos attentes, j’ai voulu prévenir le travers d’une vision trop fonctionnaliste des institutions politiques, qui ferait de la mécanique interne des institutions le seul paramètre expliquant la défiance des citoyens vis-à-vis de nos hommes et de nos institutions politiques. Notre rapport final pourrait utilement, je crois, comporter un volet de réflexions sur ces médiations sociologiques que je viens de décrire ; il constituerait ainsi la préface de réflexions à venir sur les interactions diverses, multiples et variées entre les citoyens et leurs institutions politiques.

M. Bernard Accoyer. Je commence par vous remercier, monsieur le président, de votre travail d’organisation de cette commission. La réflexion menée a été quelque peu iconoclaste, et il faut s’en féliciter : associer parlementaires et experts, en allégeant la présence des constitutionnalistes, fait toute l’originalité de la démarche. Notre président historien fait l’unanimité par ses analyses toujours pertinentes.

S’agissant de nos institutions, je me demande pourquoi il fallait débattre des changements à leur apporter avant d’en avoir conduit une évaluation attentive, au besoin comparative. Une évaluation des réformes déjà menées à bien aurait également été utile.

Les institutions de la Cinquième ont été pensées par le général de Gaulle, dans le détail, à la lumière de sa vie au cœur de l’histoire de France en ce siècle terrible qu’a été le XXsiècle. En un sens, il les incarne encore. Ces institutions ont prouvé leur qualité, leur efficacité ; elles ont apporté à notre pays, pour la première fois de son histoire républicaine, la stabilité gouvernementale.

Ces institutions ont été bâties pour donner les moyens d’agir à une volonté politique incarnée par le pouvoir exécutif soutenu par le peuple ; à l’inverse, il faut se souvenir des institutions de la Troisième et de la Quatrième République, dessinées pour limiter, voire empêcher l’action du pouvoir exécutif, et de leurs résultats. Le chef de l'État, élu par le peuple, directement, incarne la volonté politique, fixe le cap et donne le rythme de la politique que le Premier ministre, chef du Gouvernement, décline en s’appuyant sur une majorité cohérente et homogène à l’Assemblée nationale, grâce au scrutin majoritaire à deux tours.

L’élection présidentielle réussit encore à rassembler près de 80 % des Français inscrits sur les listes électorales : cela nous montre l’attachement que nos concitoyens continuent, contre toute attente, de manifester à cette expression démocratique.

La Cinquième République est solide, et c’est ce que nous devons préserver. Mais, si elles sont solides, nos institutions sont aussi suffisamment souples pour s’adapter aux circonstances, aux hommes et aux femmes, sans que ne soient remis en cause les grands équilibres de notre régime. Ces institutions n’ont-elles pas permis à la France de surmonter la guerre d’Algérie et la crise de Mai 68 ? Ne se sont-elles pas adaptées sans heurt à l’alternance des majorités comme à la cohabitation ?

Nous ne devons donc envisager qu’avec prudence l’introduction dans la Constitution de dispositions qui la rendraient plus rigide, et qui créeraient des situations de blocage insurmontables, comme la France en a hélas jadis déjà connu. On peut toujours concevoir des mécanismes parfaits, au moins sur le papier ; on peut toujours, et il le faut, imaginer des améliorations. Mais on ne peut ignorer la part déterminante de la pratique et du caractère des acteurs qui font vivre les institutions, c’est-à-dire des élus.

Nous avons réformé de façon importante nos institutions à plusieurs reprises, et en particulier en 2008 – il y a sept ans déjà. Avons-nous pour autant utilisé toutes les possibilités offertes par cette réforme ? Je n’en suis pas sûr.

Beaucoup de parlementaires – dont l’actuel Premier ministre – voulaient, en 2008, supprimer l’alinéa 3 de l’article 49 de notre Constitution. Mais le Gouvernement doit disposer d’un moyen de répondre rapidement aux mutations du monde et à leurs conséquences pour notre pays.

Nos institutions reposent notamment sur le couple formé par le Président de la République et le Premier ministre. Au cours du quinquennat de François Hollande, nous avons tous vu que les rapports que le Président de la République entretenait avec Jean-Marc Ayrault n’étaient pas les mêmes que ceux qu’il entretient aujourd’hui avec Manuel Valls. C’est une souplesse remarquable de nos institutions ; mais c’est aussi la preuve que la personnalité, le caractère des acteurs comptent énormément dans la vie de nos institutions.

Guy Carcassonne décrivait la Cinquième République comme un « régime parlementaire à forte domination présidentielle » : c’est bien de ce régime que je reste un fervent partisan, car c’est sans doute la seule manière de faire fonctionner dans notre pays un régime parlementaire de façon à la fois efficace et équilibrée. « L’hyperprésidence », comme la « présidence normale », sont surtout des formules qui décrivent mal des réalités institutionnelles infiniment plus complexes, où les personnes jouent le rôle essentiel.

Il ne faut donc pas toucher, à mon sens, aux dispositions constitutionnelles qui concernent le Président de la République – je pense notamment à la présidence du Conseil des ministres et au droit de dissolution. Le quinquennat, imposé en l’an 2000 – quelques-uns d’entre nous en ont été les témoins – par Lionel Jospin et Valéry Giscard d’Estaing, a bouleversé certains équilibres institutionnels. Il me paraît difficile, mais souhaitable, de revenir sur ce point.

D’une façon plus générale, j’insiste sur la nécessaire évaluation des réformes institutionnelles. Je me range à l’avis de ceux qui considèrent que l’arrivée des primaires dans notre fonctionnement démocratique relève de la Constitution : mais son article 4 dispose déjà que « les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage, [qu’ils] se forment et exercent leur activité librement [et qu’ils] doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie ».

Certains proposent de combiner la réduction des prérogatives du Président de la République avec un recours accru à des mécanismes de rationalisation, afin de garantir la stabilité gouvernementale. Je ne suis pas certain que les résultats de telles réformes seraient différents de ce que l’on a constaté sous la Quatrième République, même si le système des partis a changé. Celui-ci doit être pris en considération, avec ses avantages et ses inconvénients. Aujourd’hui, nous ne pouvons que constater une dérive de la vie politique vers une professionnalisation qui est sans doute la principale cause de l’abîme dramatique qui s’ouvre sous nos yeux entre le peuple et ses élus.

Chacun voit bien que le système politique français entre dans une ère de tripartisme, où son fonctionnement pourrait devenir erratique, où toutes les combinaisons deviennent possibles. La présence d’une troisième force a souvent, sous la IIIe comme sous la IVe Républiques, été à l’origine de grandes confusions, d’un immobilisme, d’une instabilité ministérielle, voire d’une confiscation du choix des électeurs par les appareils partisans. Le caractère démocratique des institutions gaulliennes, c’est-à-dire la désignation par le peuple des responsables chargés de l’essentiel, soutenus par une majorité cohérente et pérenne, mais aussi la légitimité incontestable que ces institutions confèrent à ceux qui veulent réformer le pays ainsi que leur capacité à affronter les crises constituent des atouts considérables pour notre pays. Elles contribueront à nous protéger des effets les plus néfastes de cette division tripolaire.

Au moment où notre système politique est en proie à des turbulences fortes, nous ne croyons pas qu’il faille remettre en cause l’équilibre de nos institutions – équilibre dans lequel le mode de scrutin majoritaire joue un rôle déterminant. Je suis donc opposé à toute introduction, partielle ou totale, du scrutin proportionnel pour élire les députés. Le scrutin majoritaire limite raisonnablement le rôle des partis charnières – on sait que la présence de ceux-ci conduit souvent à des compromis politiciens et électoraux.

C’est sur la modernisation du Parlement que nous pourrions utilement, à mon sens, dégager des propositions de réforme consensuelles, notamment sur la procédure législative. Il faut limiter la prolifération des normes, et leur instabilité ; en particulier, des dispositions de nature réglementaire sont trop souvent inscrites dans nos lois. Nous devrions réformer les études d’impact, aujourd’hui cruellement insuffisantes, mais aussi réfléchir à l’évaluation et au contrôle des politiques publiques – notamment en tirant les leçons de la réforme de 2008, et en utilisant vraiment les possibilités que celle-ci nous offre, ce qui n’est pas, tant s’en faut, le cas aujourd’hui.

En toutes choses, l’échec conduit bien souvent à remettre en cause les règles du jeu plutôt que les acteurs. C’est ainsi que j’analyse la situation difficile dans laquelle se trouve notre pays.

Mme Cécile Duflot. Monsieur Accoyer, vous ne faites ici que répéter ce que vous aviez déjà dit lors de notre deuxième réunion : selon vous, il ne faut rien changer. Nous avons pourtant mené des auditions nombreuses, intéressantes, sur la question des partis, du scrutin… et les débats ont été nourris. Votre conclusion est pourtant demeurée strictement identique : le problème, ce sont les acteurs, ce n’est pas la machine.

Je vous rejoins sur certains points, par exemple la professionnalisation, que vous regrettez ici tout en étant élu depuis 1989 ! Il est difficile d’affronter nos propres contradictions, mais c’est, je crois, l’exercice auquel nous devons nous livrer ici. J’ai pour ma part évolué, sur la question de la proportionnelle par exemple.

Sur le fait que seuls les acteurs comptent et que les institutions n’ont aucune part dans les crises, vous avez tort. J’ai été à la tête, vous le savez, d’un parti politique qui voulait opérer une synthèse plutôt intéressante entre des gens issus pour beaucoup de l’extrême gauche et des statuts d’essence presque libertaire, où en particulier la proportionnelle tenait une grande place. Mais ces statuts créaient un intérêt objectif à présenter une motion supplémentaire, puisque cela permettait mécaniquement de disposer de plus d’élus : il y avait une prime à la division, statutairement organisée, même si elle n’était pas pensée pour cela… L’idée des écologistes était de représenter toutes les sensibilités politiques du parti, mais le résultat était bien qu’avec 3 %, 4 %, 5 % des voix, on pouvait obtenir un poste dans les organes de direction ; certains militants plutôt issus de l’extrême gauche n’ont pas manqué de s’en apercevoir.

Nous avions aussi quatre porte-parole, qui représentaient les différentes sensibilités : certains – qui appartenaient à l’opposition interne – pouvaient ainsi tenir des conférences de presse au siège même du mouvement pour s’opposer à des prises de position du secrétariat national ! Ce n’est pas là un problème de personnalité ; c’est un problème d’organisation. Dès lors que nous nous sommes organisés pour donner une prime au regroupement – même si nous demeurons des adeptes et des pratiquants de la proportionnelle – et pour avoir une expression publique plus unitaire, nous avons résolu bien des problèmes. Je suis donc très profondément en désaccord avec l’idée que seuls les hommes comptent.

Vous l’avez dit, très poliment, je vous l’accorde, mais vous l’avez dit : la différence entre Jean-Marc Ayrault et Manuel Valls, c’est que l’un a suffisamment de caractère pour s’opposer au Président de la République quand l’autre était tout mou.

M. Bernard Accoyer. C’est votre interprétation de mes propos !

Mme Cécile Duflot. Je ne dis pas que vous l’ayez dit de cette manière, mais c’est en gros ce que vous avez dit – et d’ailleurs, vous n’avez pas tort ! Le caractère des individus les conduit, en effet, à occuper les responsabilités de façon différente. Considérons la façon dont l’article 49, alinéa 3, a été utilisé tout récemment. Certains, peut-être parce qu’ils ont été parlementaires pendant de longues années, n’auraient pas pu regarder les députés dans les yeux en expliquant qu’il n’y aurait pas de débat, que même ni le rapporteur ni le président de la commission spéciale ne pourraient s’exprimer, et hop, emballez c’est pesé ! Le caractère de certains, voire leurs convictions, les empêcheraient d’agir de la sorte ; d’autres pas. Vous avez donc raison sur ce point.

Mais c’est précisément pour cela que nous avons des institutions, qui prévoient des garde-fous, qui empêchent que certaines capacités politiques de certains individus ne soient mises en œuvre. Le rôle des institutions est bien d’établir des contentions démocratiques.

Refuser de les faire évoluer en renvoyant tout au caractère et à la manière d’exercer les responsabilités me paraît une erreur profonde. Nous devons, je l’ai déjà dit, cesser de nous mentir sur l’usure de nos institutions : si nous croyons qu’il suffit de changer les hommes, nous allons au-devant de graves problèmes. Cela a été dit tout à l’heure : une explosion peut venir beaucoup plus vite que prévu. On pousse le système jusqu’à l’extrême, et on se dit que ça tient – vous parliez de la solidité de la Cinquième République, monsieur Accoyer. Eh bien, oui, mais un chêne est solide jusqu’à ce qu’il casse…

Nous avons atteint, je crois, les limites de nos institutions ; n’attendons pas que notre système politique se brise, car nous ne savons pas ce qui pourrait alors se passer. Il y a dix ans à peine, lors des émeutes de 2005, nous avons vu utiliser des dispositions certes constitutionnelles, mais qui se situent aux limites de la démocratie : il n’est en rien impossible qu’une telle situation se reproduise. On parlera alors de causes sociales et de toutes sortes de choses ; mais nul n’osera dire que nous avons poussé nos institutions, et l’absence de représentation d’une authentique diversité sociale qu’elles organisent, jusqu’à leur terme.

Sur les failles de notre représentation, sur la monarchie républicaine qui serait une sorte de manifestation de fidélité à une histoire de France, sur une forme d’aristocratie, ou de caste si l’on veut employer un mot plus violent… nos débats ont été vraiment intéressants. J’ai notamment été très sensible à la phrase de Mme Viviane Reding citée par Mme Antoni : « Je n’aime pas les quotas, mais j’aime ce qu’ils font. » Il faut au moins en retenir qu’il existe aujourd’hui une rupture profonde entre ceux qui ont le sentiment d’exercer légitimement les responsabilités et ceux qui ont le sentiment d’en être définitivement exclus.

J’espère que notre rapport ne sera pas un rendez-vous manqué : si nous ne posons pas ces questions ouvertement, elles risquent de l’être par d’autres, et autrement plus brutalement.

M. Bernard Accoyer. Sans vouloir jeter de l’huile sur le feu qu’a soigneusement entretenu Cécile Duflot, je voudrais préciser que j’entends par professionnalisation la domination progressive de la vie politique française par des élus qui n’ont jamais travaillé que dans des appareils politiques, qui sont entrés dans la vie politique sans avoir vécu préalablement, ou même simultanément, hors de la vie politique – c’est-à-dire dans la vraie vie.

Jean-Marc Ayrault et Manuel Valls sont deux Premiers ministres de la France et méritent, à ce titre, notre respect. Vous avez donné une interprétation de mes propos qui vous appartient ; c’est une interprétation politique, expression de vos propres positions à l’égard des politiques différentes qu’ils ont conduites ou qu’ils conduisent.

Je maintiens ce que j’ai dit sur nos institutions : elles sont précieuses, et leur solidité fait la force de la France.

M. le président Claude Bartolone. Avant de suspendre nos travaux pour quelques minutes, je rappelle que nous nous étions interrogés, au cours de nos premières réunions, sur l’état de nos institutions. Si nous avions retenu l’idée qu’il n’y avait rien à changer, nous aurions sans doute trouvé d’autres occupations pour nos vendredis…

Je me félicite d’avoir fait appel à Michel Winock : je partage en effet l’idée exprimée à plusieurs reprises que notre commission ne peut pas proposer seulement des réformes techniques. Notre réflexion relève de la philosophie politique.

Les institutions de la Cinquième République n’ont plus rien à voir avec celles de 1958, comme d’ailleurs notre pays n’a plus rien à voir avec celui de 1958. Je me réjouis que le général de Gaulle ait pu trouver un système qui a apporté de la stabilité à une France qui en avait bien besoin. Mais le contexte a changé, et nos institutions ont d’ailleurs été modifiées vingt-huit fois depuis le début de la Cinquième République : taillées sur mesure pour le général de Gaulle dans un pays terriblement centralisé, elles doivent aujourd’hui servir à un pays désormais décentralisé. Nous appartenons à l’Union européenne, notre monnaie est l’euro – ce qui n’est pas sans conséquences.

Quelle règle commune aujourd’hui pour lier ensemble nos compatriotes, pour faire société ? C’est la question qui nous est posée. Je me souviens d’échanges sur la meilleure façon d’arriver à une décision qui peut être acceptée par tous – je pense par exemple à l’aéroport de Notre-Dame des Landes, ou au débat public sur l’enfouissement des déchets. C’est sur ce point que j’aimerais que nos discussions se prolongent après la pause.

Mais j’apprends à l’instant qu’un attentat de DAECH aurait eu lieu à Saint-Quentin-Fallavier ; un homme aurait été décapité. Je vous propose de suspendre la séance.

Suspendue à onze heures dix, la séance est reprise à onze heures vingt-cinq.

Mme Christine Lazerges. Les propos de M. Accoyer, laissant entendre que la seule raison d’être de notre commission serait de rendre hommage aux institutions de la Cinquième République, m’ont quelque peu interpellée. Nous sommes tous conscients de la stabilité que la Constitution de 1958 a offerte à notre pays, mais nous avons en quelque sorte la chance de ne pas être réunis pour rédiger un nouveau texte. Que notre rapport dise comment il conviendrait d’aménager la Constitution ou qu’il appelle à entrer dans une Sixième République, nous pouvons faire preuve d’audace puisque c’est sous la plume d’une commission ultérieure que nos propositions fleuriront ou ne fleuriront pas.

J’appelle donc à l’audace : elle est indispensable pour trouver une réponse à la défiance à l’égard des politiques – dont le niveau a atteint un niveau extrêmement grave pour l’équilibre de notre pays – et des juges. À ce sujet, plusieurs d’entre nous pensent qu’il faut passer d’une autorité judiciaire à un pouvoir judiciaire auquel on donnerait les moyens nécessaires pour appliquer le droit dans des conditions normales – par ces mots, j’entends dire que faciliter l’accès au droit et aux droits fondamentaux est d’une importance capitale.

Il est tout aussi nécessaire, pour redonner confiance dans les institutions, que nous manifestions le respect que nous portons à la société civile et donc à ses relais, les associations et les organisations non gouvernementales (ONG), sans lesquelles aucune politique publique ne peut être appliquée. J’ai pris toute la mesure, en présidant la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), de ce que, sans les associations, petites et grandes, nationales et internationales, les politiques sont extrêmement dépourvus, qu’il s’agisse du droit des étrangers, du droit d’asile, de la situation des détenus, de la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, de la lutte contre la traite des êtres humains ou d’une autre protection de l’environnement. Or les associations sont dans une pauvreté presque égale à celle des personnes dont elles doivent s’occuper. La réduction des subventions qui leur est versée est dramatique. Il nous faudra dire qu’aussi bien pensées, rédigées et soutenues politiquement soient les politiques publiques, s’il n’y a pas d’acteurs pour les décliner, c’est comme si elles n’existaient pas. Je le constate dans quantité de domaines, et singulièrement en matière de droit d’asile, la question la plus sensible ces jours-ci.

M. le président Michel Winock. Vous appelez de vos vœux, monsieur Tusseau, une politique de quotas ; j’aimerais vous entendre préciser comment vous les détermineriez car je ne comprends pas comment fonder une meilleure représentativité par ce moyen. Les quotas seraient-ils établis sur une base fiscale, en distinguant les citoyens selon leur avis d’impôt ? Le seraient-ils sur une base religieuse, sur production d’un certificat de baptême ou de circoncision ? Serait-ce en fonction de la couleur de la peau, dont les nuances sont multiples et graduées ? Plus sérieusement, comment faudrait-il procéder ?

Comme vous, monsieur Accoyer, je considère comme un risque grave la professionnalisation de la vie politique, qui provoque pour partie la désaffection du public pour la chose politique. Mais n’y a-t-il pas alors quelque contradiction à appuyer le principe du scrutin majoritaire ? J’ai le sentiment que, les candidats étant désignés par les partis, ce mode de scrutin entretient et facilite la professionnalisation que vous réprouvez.

M. Guillaume Tusseau. Je n’en disconviens pas, ma proposition était imprécise. Revenant sur une culture de la représentation longue de deux siècles, elle bouscule la pensée, mais elle a deux intérêts. Le premier, indispensable, est de faire figurer plus visiblement la diversité sociologique, économique, religieuse, culturelle, d’origine ethnique de notre pays dans l’institution qui prétend représenter les Français. Dans le contexte actuel de désaffectation à l’égard du politique, le « désenclavement » des élites élues, coupées de la population au nom de laquelle elles sont susceptibles de parler, est urgent. Et, outre qu’ils permettent une représentation descriptive qui assure la confiance et la restauration d’un lien, les quotas sont utiles à la qualité épistémique des décisions : plus variées sont les voix qui participent à une discussion, plus éclairée est la décision prise et plus facile son application. J’en vois une illustration dans la composition de la commission qui nous rassemble : parce que l’on a pris soin de faire s’exprimer des points de vue divers, le rapport sera beaucoup plus intéressant que si l’on s’était limité à faire siéger seuls vingt parlementaires, vingt constitutionnalistes ou vingt représentants de la société civile. Certains travaux portant sur la sociologie de la décision, en particulier l’ouvrage de Scott Page, The Difference, sont extrêmement convaincants à ce sujet. Si on laisse faire de manière neutre, rien ne bougera. Aussi, l’introduction de quotas, hypothèse qui peut sembler répulsive, mérite d’être expérimentée car, je le répète, il y a urgence puisque certaines voix ne sont pas entendues, soient qu’elles soient exclus du débat politique, soient qu’elles s’en auto-excluent.

Quels critères retenir pour assurer la représentativité ? Notre droit réprouve les statistiques ethniques, auxquelles je suis assez hostile. Mais est-il si difficile d’imaginer que des personnes représentant une religion soient membres ès qualités d’une assemblée parlementaire ? Peut-être pas membres de l’Assemblée nationale, dont on peut concevoir qu’elle doit rester élue par l’ensemble de la population. Mais pourquoi dix sénateurs représentant les catholiques, dix autres les protestants, dix les juifs, dix les musulmans, dix les bouddhistes, ne siégeraient-ils pas au Sénat réformé, si l’on décide de le conserver ? Même si la proposition paraît farfelue ou contestable, le sujet me paraît mériter d’être discuté.

Est-il si sorcier de concevoir un quota de personnes qui seraient sénateurs parce que leur âge est compris entre 18 et 25 ans ? On a objecté à cela qu’il n’était pas besoin d’instaurer un tel quota puisque nous avons tous été jeunes. Permettez-moi d’observer que je n’ai jamais été un jeune d’aujourd’hui, né à l’époque des Facebook, Twitter et iPad triomphants, que je n’ai jamais été le jeune homme qui, avec ses contemporains, se pose maintenant les questions de son temps. Ceux-là méritent de participer aux institutions politiques. S’ils s’en sentent exclus, si le processus politique ne les inclut pas naturellement alors que le temps long est aussi leur affaire, il me semble nécessaire, pour que leur voix soit entendue, de forcer les choses pour imposer dix, vingt ou trente sénateurs dont la seule originalité est la jeunesse ; cela mériterait d’être expérimenté.

La nomenclature de l’INSEE permettrait de pourvoir à la représentation des professions, et l’on pourrait ainsi garantir des quotas d’employés, d’ouvriers, de membres des professions libérales, d’entrepreneurs ou de fonctionnaires dans le Conseil économique, social et environnemental réformé. L’obstacle n’est pas technique mais de principe : maintient-on la conception, à laquelle je suis aussi très attaché, de l’adunation sieyèsienne issue de la Révolution française ou, étant donné la crise de l’intermédiation politique, expérimente-t-on le temps d’un quinquennat, pour resserrer le lien distendu entre la politique et la population, un système de quotas dont on évalue les effets ? Si l’on n’avait pas procédé de la sorte pour imposer la parité en politique…

Mme Marie-Jo Zimmermann. La parité est un autre sujet.

M. Guillaume Tusseau. Je n’en suis pas certain ; c’est en tout cas de l’ordre de la représentation politique de catégories de la population qui ne le sont pas à leur juste titre. Je ne pense pas vous avoir convaincus, mais je vous remercie de m’avoir permis de clarifier ma réflexion.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Mon expérience de dix années à l’Observatoire de la parité et à la délégation de l’Assemblée nationale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes me pousse à demander vigoureusement que l’on s’abstienne de faire référence à la parité, sujet en soi, pour défendre l’introduction d’une politique de quotas. Une femme peut être commerçante, kinésithérapeute, jeune… La parité ne doit pas, si je puis dire, se dissoudre dans d’éventuels quotas visant à améliorer la représentation de la diversité. J’ai défendu le principe d’une proportion obligatoire de femmes parce que les statistiques de l’Observatoire de la parité établissaient que les femmes, qui constituent 52 % de la population en France, n’étaient pas justement représentées dans les instances de pouvoir. La parité est un très long combat. Alors que, le 28 juin 1999, le Congrès réuni à Versailles allait adopter le projet de loi constitutionnelle relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes, j’avais dit au Premier ministre de l’époque que je m’exprimerais sans réserves en faveur de l’abrogation du texte le jour où la représentation des femmes serait juste ; c’est manifestement à l’un de mes arrière-petits-enfants qu’il reviendra de prononcer ce discours ! Je suis lasse d’entendre les partisans d’une politique générale de quotas la justifier en permanence par l’argument de la parité et je souhaite que le rapport de notre commission établisse la nette distinction qui s’impose.

M. Guillaume Tusseau. Je suis un grand lecteur et un grand admirateur des rapports de l’Observatoire de la parité, que j’ai consultés à l’occasion d’une recherche sur la discrimination positive en faveur des femmes en matière politique. Je suis beaucoup plus féministe que nombre de femmes. Mais outre que le mouvement féministe n’a rien d’unitaire, vous semblez faire primer le sexe sur le genre, ce qui n’est pas parfaitement justifié. Alors que l’Australie, l’Inde et Tahiti reconnaissent l’existence d’un troisième genre, accorder la primauté au sexe pour être représenté en cette qualité mérite une argumentation beaucoup plus poussée que celle qui consiste à dire que les femmes représentent 52 % de la population, puisque c’est faire l’impasse sur les transsexuels, les transgenres, les hermaphrodites et les personnes du troisième genre. On peut légitimement considérer que la population de France est composée de femmes et d’hommes en proportion équivalente, et de quelques pour cent de personnes d’autres catégories. La primauté, sur le plan éthique, de cette distinction purement biologique qui n’est pas aussi binaire qu’on le prétend, doit donc être étayée, ce qui ne me semble ni plus facile ni plus difficile que pour les catégories que l’on peut évoquer par ailleurs.

M. Bernard Accoyer. Avant que l’on en arrive, dans un avenir plus ou moins lointain, à définir des quotas en fonction des génomes, je souhaite apaiser les craintes de M. Tusseau en rappelant qu’aux termes de l’article 4 de la Constitution les partis politiques organisent la vie démocratique et la représentation du peuple dans sa diversité. N’inscrivons pas dans la Constitution des dispositions qui transformeraient la République en un système communautariste.

La professionnalisation de la vie politique pose un problème majeur, méconnu par ceux qui en sont l’incarnation. Parfois, au contraire, elle est revendiquée : « La politique est un métier » disent certains acteurs politiques, et non des moindres, qui creusent ainsi le fossé entre les élus nationaux et le peuple. Non, monsieur Winock, le scrutin majoritaire n’est pas l’un des moteurs de la professionnalisation de la vie politique ; c’est l’inverse. Certes, le scrutin majoritaire requiert l’intervention d’un parti politique quand il y a investiture, mais dans le cas du scrutin uninominal, on peut se présenter à l’élection sans avoir été investi et les candidatures spontanées de personnes sans étiquette sont nombreuses ; il faut cependant reconnaître qu’elles aboutissent rarement à l’élection des parlementaires – sauf au Sénat. Au contraire, dans le cas d’un scrutin proportionnel, c’est le parti politique qui décide qui sera nommé, puisqu’est certain d’être élu qui est placé en tête de liste. Ce mode de scrutin favorise effectivement la professionnalisation de la vie politique, car dans un parti, communauté humaine comme une autre, on a plutôt tendance à accompagner dans la progression de leur parcours politique des collègues et des collaborateurs, parce que l’on sait ce qu’ils pensent et ce qu’ils vont faire – et parce que l’on croit qu’ils vous seront fidèles… En réalité, la question qui peut se poser pour le scrutin majoritaire est celle de l’impact du non-cumul des mandats ; c’est pourquoi, minoritaire en cela dans ma famille politique, je considère que le terme qui sera mis au cumul d’un mandat exécutif dans une collectivité locale et d’un mandat parlementaire va dans le bon sens.

Je ne veux en effet rien changer du cœur de nos institutions, de ce qui fait leur solidité. En revanche, je pense qu’il faut évaluer les pratiques gouvernementales, celles des parlementaires et celles des collectivités locales, mesurer les effets de nos spécificités constitutionnelles avant de les remettre en cause, et évaluer aussi les réformes constitutionnelles – au premier rang desquelles le principe de précaution, qui n’a jamais été véritablement évalué alors qu’il a été instauré de manière inconséquente, sans qu’une loi organique en ait fixé le cadre, avec les conséquences que l’on sait.

Nous devons également envisager de réformer notre mécanisme d’élaboration de la loi et de fixation de l’ordre du jour du Parlement. Moins légiférer est une priorité ; contrôler davantage et stabiliser les normes est impératif. Je considère aussi qu’il faut revoir le dispositif des études d’impact : il est anormal qu’elles ne soient exigées ni pour les propositions de loi, ni pour les amendements parlementaires et ni pour ceux du Gouvernement. À ce sujet, depuis que les textes examinés en séance publique sont ceux qui sont issus des commissions, le Gouvernement dépose des amendements de deux sortes : les amendements « normaux » par lesquels il tente de rétablir son texte, et des amendements manœuvriers de trois pages glissés à l’entrée en séance. Ce dernier procédé, exécrable, ne permet pas un travail législatif sérieux ; nous devons évidemment revoir ce dispositif.

Le nombre de parlementaires pose des problèmes croissants, que la fin du cumul des mandats rendra plus évidents encore ; un consensus se dessine à ce sujet. Le pays souffre de la prolifération et de l’instabilité des normes. La place du Comité d’évaluation et de contrôle (CEC) de l’Assemblée nationale créé par la réforme de 2008 mérite d’être amplifiée ; j’avais contribué à la prise en compte des avis des citoyens exprimés par le biais de l’Internet et je me félicite que le président Bartolone se penche actuellement sur la question – c’est une nécessité. Enfin, la réglementation communautaire encadre et limite notre capacité à légiférer sur le plan national et les citoyens ne comprennent pas cette situation ; le Parlement doit aussi travailler à combler le fossé qui s’est creusé entre de nombreux citoyens et l’Union européenne.

M. Ferdinand Mélin-Soucramanien. Mes félicitations vont aux auteurs de l’excellent questionnaire qui nous a été adressé ; il fournit une bonne base de travail pour l’élaboration du rapport. On pourrait y insérer quelques questions techniques supplémentaires : l’évaluation de la révision constitutionnelle de 2008 et en particulier de la nouvelle rédaction de l’article 25, et celle de la session unique. En revanche, nous ne pouvons nous prononcer sur l’hypothèse de rendre obligatoire l’adhésion à un syndicat ; une telle disposition serait contraire à la Convention européenne des droits de l’homme.

J’en viens au rapport et à sa tonalité. Il y a entre nous des incompréhensions. En cette époque marquée par l’individualisme et l’instantanéité, certains paraissent avoir perdu la foi dans les institutions et le sentiment collectif ; ce n’est pas mon cas. D’autres, et c’est plus inquiétant, semblent avoir perdu la foi en la démocratie représentative. Les quotas, certes, mais par ses questions à dessein perverses, le président Winock a fait mouche ; je rappelle que le rapport du comité Veil sur la réforme du préambule de la Constitution avait eu des conclusions définitives à ce sujet. Il faut vraiment prendre garde : comme M. Slama et M. Accoyer l’ont dit chacun à sa manière, la France est une nation fragile ; il ne faut pas la bousculer encore. L’universalisme républicain repose peut-être sur un mythe, mais ce mythe est nécessaire. Je veux demeurer aveugle, et je veux surtout que la République continue de demeurer aveugle aux couleurs de peau et aux certificats de baptême. Parce que je crois encore à la démocratie représentative, l’idée de quotas suscite en moi la plus grande défiance ; je précise que pour moi la parité n’est pas du même registre. Voilà ce qui explique ma réticence devant la démocratie participative : autant je perçois l’utilité des ateliers législatifs citoyens, autant j’exprime les plus vives réserves à l’idée d’« amendements citoyens ».

Je suis fermement convaincu que le processus d’institutionnalisation est un progrès démocratique et que tout ce qui irait vers la personnalisation de la vie politique serait une régression. La « tradition monarchique » à laquelle M. Slama a fait allusion est un mal, un vice fondamental de notre société. Une République moderne doit tendre vers l’objectif d’une plus grande institutionnalisation et se défier du « mal napoléonien », pour reprendre le titre d’un ouvrage récent. Je n’accorde aucun crédit à la tradition césariste, qui doit être définitivement extirpée de nos consciences : il est temps de nous affranchir définitivement de la mauvaise conscience due à ce que nous avons raccourci notre monarque.

Faut-il une réforme radicale ou ne faut-il pas de réforme du tout ? J’ai le sentiment qu’une ambiguïté demeure entre nous à ce sujet ; un accord général devra pourtant apparaître dans le rapport sur ce point. Il est remarquable que notre commission soit coprésidée par le président de l’Assemblée nationale – ce n’avait pas été le cas des commissions Balladur, Jospin ou Vedel – et par un historien. Ce choix donne à nos travaux une tonalité différente, celle du temps long. Il conviendra d’établir avec soin dans le rapport ce dont nous voulons accoucher, tout en prenant garde. Je ne sais s’il y a urgence à proposer des réformes constitutionnelles radicales. Peut-être ; mais nous sommes pris entre deux écueils. D’une part, une commission sur l’avenir des institutions ne peut décevoir en ne proposant rien : elle signifierait qu’il n’est pas d’avenir. Rappelons-nous les mots terribles de Georges Bernanos : « La réforme des institutions vient trop tard, quand le cœur des peuples est brisé. » D’autre part, nous ne saurions ni proposer des réformes anecdotiques, ni jouer les apprentis sorciers. Je comprends les inquiétudes de M. Accoyer : oui, la Constitution de 1958 a apporté des éléments de stabilité et elle a, à un moment, sauvé la République – mais on peut se demander si elle ne l’a pas, ensuite, entraînée par le fond.

M. Michaël Foessel. Je reviens aux premières questions de l’excellent questionnaire qui nous a été adressé. Il y a fort à parier en effet que si notre rapport contient des propositions relatives à la réforme du pouvoir présidentiel, ce sont celles que retiendront les média. Certains cénacles, on le sait, considèrent la Quatrième République comme l’horreur absolue. Puis-je faire observer qu’elle a accompagné l’essor des Trente Glorieuses ? Sur le fond, avancer que système parlementaire est synonyme d’instabilité politique fait s’exposer à être démenti par l’observation des systèmes parlementaires européens en vigueur, par exemple en Allemagne, dont le modèle est vanté sur bien des plans.

M. Slama a évoqué la désacralisation et la dé-légitimation de la fonction présidentielle. La désacralisation a été entérinée par l’instauration du quinquennat : le président de la République, contraint d’adapter son calendrier au temps politique et médiatique, ne peut plus occuper la fonction d’arbitre qui lui était précédemment assignée. M. Accoyer faisait valoir que ce ne sont pas les institutions qui sont mises en cause par l’évolution négative du système politique en France, mais le caractère de ceux qui les incarnent ; nous pouvons en être d’accord, mais le but premier des institutions n’est-il pas de nous protéger des manifestations caractérielles de nos dirigeants ? Des institutions qui non seulement ne nous en protègent plus, mais qui sélectionnent tendanciellement les caractères les plus autoritaires, sont démocratiquement condamnées.

La fonction présidentielle est également délégitimée. Il est frappant de constater que rien n’est durable en politique sinon l’impopularité, irréversible, des présidents de la République après deux mois de pouvoir. Au-delà du caractère des hommes, il y a à cela une raison structurelle. C’est que la conception de la Cinquième République est liée à un moment où le politique gère le monde. C’est le fameux : « L’intendance suivra » – entendez par là : « L’économie suivra ». Or l’économie ne suit plus, elle dirige. Nul n’aurait imaginé Charles de Gaulle allant négocier des contrats au Moyen-Orient ou en d’autres contrées pour sauver l’emploi ! Le politique ayant perdu sa sacralité, que reste-t-il au Président de la République ? L’irresponsabilité juridique.

On retrouve dans l’actualité certains problèmes institutionnels. J’ai été frappé que, le jour même où l’on se scandalise que le président de la République ait été espionné par des services étrangers, on vote une loi instituant la surveillance généralisée des citoyens, au motif d’« empêcher les attentats ». Comme M. Accoyer, je pense nécessaire d’évaluer les lois et je serais tout à fait favorable à l’évaluation des nombreuses lois sécuritaires votées depuis une quinzaine d’années, pour mettre en parallèle le nombre d’attentats qu’elles ont supposément empêchés et les atteintes bien réelles aux libertés individuelles qu’elles ont permises.

Pour sauver la fonction présidentielle, si tant est que cela soit nécessaire, il faut limiter drastiquement les prérogatives du président de la République, pour des questions de droit mais aussi parce que la fonction présidentielle, telle que la met en scène la Constitution de la Cinquième République, est devenue, étant donné le fonctionnement réel de la démocratie, un instrument qui rend mythiques les prérogatives politiques. La déception, sinon l’amertume et la colère profonde de l’opinion publique à l’égard du Président de la République, quel qu’il soit et quelle que soit son orientation politique, ne s’explique que par le décalage devenu structurel entre ce qu’il promet – et que sa fonction est censée garantir qu’il pourra faire – et ce qu’il peut faire une fois au pouvoir, lorsqu’il se rend compte que, malgré toute sa volonté, l’intendance ne suit pas.

Mme Cécile Duflot. « Je veux que la République reste aveugle aux couleurs de peau » a dit M. Mélin-Soucramanien, ajoutant qu’il croit au mythe universaliste. Il a raison – si ce n’est qu’aujourd’hui, ce à quoi la République est aveugle, sans doute parce qu’elle n’a jamais eu à le traiter dans les proportions dans lesquelles elle doit le traiter aujourd’hui, c’est qu’elle est discriminatoire. Des citoyens français vivent quotidiennement des discriminations, et l’aveuglement de la République à leur origine ou à la couleur de leur peau ne lui permet pas de résoudre cette question. Mais, en écoutant M. Tusseau, je m’interrogeais : comment définir des quotas qui permettraient que l’assemblée parlementaire dont je suis membre soit autre ? La réponse n’a rien d’évident. Pour ma part, je ne veux pas être élue parce que j’ai été baptisée, ni devoir revendiquer mon catholicisme. Quant au débat sur l’opposition entre genre et sexe, il fonde le travail que l’on devrait faire sur l’égalité entre les femmes et les hommes puisqu’il touche directement aux questions d’éducation et que l’on est passé à côté. Cela permettrait de progresser dans de nombreux domaines, qu’il s’agisse de la représentation que les filles se font d’elles-mêmes ou de la féminisation des fonctions. Nous ne sommes plus du tout dans la même situation qu’en 1986, lorsque, arrivant à un dîner d’État, une femme était appelée du nom de son mari alors même qu’elle était ministre sous son nom de naissance. Cela montre l’évolution en cours. La représentation que les filles ont d’elles-mêmes et l’existence de femmes à des postes de responsabilité dans la représentation publique participent de cette évolution.

Il en va de même pour ce que l’on appelle les « minorités visibles ». Aujourd’hui, que renvoie-t-on à des enfants français de parents français parfois eux-mêmes nés en France dans des maternités françaises ? Qu’ils ne sont pas des citoyens comme les autres, particulièrement si ce sont des garçons et particulièrement s’ils sont noirs ou s’ils ont la peau foncée, puisqu’ils sont beaucoup plus souvent contrôlés par cette institution républicaine qu’est la police nationale. Nous devons résoudre cette très forte contradiction, monsieur Mélin-Soucramanien. Peut-être cela ne doit-il pas être, dans un premier temps, par l’instauration de quotas dans la représentation démocratique – j’en vois le danger. Mais il faut définir toutes les réponses utiles pour lutter contre les discriminations, qu’elles soient liées à l’adresse ou à la couleur de la peau, et dire la vérité : dans notre pays, il y a une discrimination à l’égard de ceux qui ont un prénom à consonance arabe. Rappelez-vous ce qu’a fait le maire de Béziers – voilà où nous en sommes ! Les discriminations existent, elles participent d’un sentiment de fragilité et elles se doublent de l’absence de représentation dans les medias et dans les instances politiques.

J’ai dit pourquoi je suis en désaccord avec les désignations électorales. Prétendre que l’on ne désigne pas des apparatchiks dans les élections au scrutin uninominal et, en concourant au championnat du monde de l’hypocrisie, expliquer que des gens peuvent se présenter indépendamment des étiquettes… Mais enfin, quel parlementaire a jamais été élu contre le candidat officiel de son camp dans sa circonscription ? Tout cela est faux. Au sein de mon parti, comme je vous l’ai dit, nous avons décidé qu’il fallait obtenir la parité de résultat aux élections législatives. C’était le sujet second : pour permettre qu’un groupe de dix-huit députés compte autant de femmes que d’hommes, il nous fallait d’abord conclure un accord politique avec le parti majoritaire puis, dans le cadre de cet accord, réussir à croiser le critère du sexe et la représentation locale. Nous avons réussi ; comment donc, sinon en analysant les résultats électoraux des circonscriptions considérées ? L’objectivité commande de dire que les discussions internes aux partis politiques tendent à déterminer qui sera désigné dans une circonscription gagnable. L’élection étant infiniment moins liée à la personnalité du candidat qu’au bénéfice de l’étiquette partisane, notamment celle du président de la République élu depuis un mois. L’hypocrisie qui règne à ce sujet est phénoménale. Je souhaite qu’elle soit dite car on ne peut laisser croire que le scrutin uninominal vise à ce que les futurs élus soient détachés des contingences et des rapports de force internes des partis, ou encore issus de territoires où ils sont durablement ancrés, et non-cumulards… Dire cela, c’est jouer de la flûte. Pour qu’il en soit ainsi, il faudrait des micro-circonscriptions, et multiplier le nombre de députés. Qui vote choisit une étiquette politique ; ainsi, mon voisin se rappelle parfaitement le parti pour lequel il a voté mais il ne se souvenait pas avoir voté pour l’horrible parachutée que je suis ! Notre commission ne doit ni mentir ni se mentir.

Le scrutin proportionnel permet d’avancer sans en passer par des quotas : il rend plus difficile de présenter aux électeurs une liste entièrement « blanche », car cela se voit. Je vous fiche mon billet, monsieur le président-candidat aux élections régionales en Île-de-France, que si vous deviez désigner des candidats micro-circonscription par micro-circonscription infra-départementale, la proportion de candidats des minorités visibles sur votre liste – que je ne connais pas – ne serait pas la même que celle qu’elle sera. Il en est ainsi pour la parité. Alors qu’aucune commission de réforme des institutions précédentes n’était paritaire, celle qui nous réunit l’est, alors que rien n’y obligeait : c’est que la tradition de la parité est instaurée, et qu’elle a poussé à cette composition. De même, des scrutins de liste poussent à une représentation plus diversifiée, comme on le voit aux élections locales : il y a plus d’élus de la diversité visible aux élections municipales et régionales qu’aux élections départementales. Je pense fondamentale une réforme institutionnelle instaurant la représentation proportionnelle, car c’est aussi le moyen de favoriser la diversité.

Alors que nous en discutions en aparté, Denis Baranger objectait qu’un tel mode de scrutin aurait l’inconvénient de donner un très grand poids à de petits partis qui allaient ensuite « faire chier » – il ne l’a pas dit exactement en ces termes…– de manière immodérée au regard de leur taille. De fait, cela donnera plus de poids à des familles politiques minoritaires. Mais la situation actuelle, favorisant le bipartisme, est stérilisante, y compris pour les partis politiques : voyez les centristes, qui s’efforcent perpétuellement à l’autonomie avant d’être immédiatement ramenés à la niche ! Il y a donc un prix à payer, celui de la complexité, mais il sera utilement contrebalancé par la revivification de la démocratie et du débat au sein du parti majoritaire. On le voit aujourd’hui : un parti qui dispose de la majorité absolue à l’Assemblée nationale freine tous les débats, empêche les passerelles et le dialogue, et nuit de ce fait à la qualité du travail parlementaire. Que des groupes majoritaires interdisent à leurs membres de cosigner des amendements avec des membres d’autres groupes politiques fossilise le débat. Ouvrir les fenêtres aiderait à restaurer le lien avec une grande partie de la population sans grandes réflexions sur la démocratie participative. Celle-ci est nécessaire, bien sûr, mais avant de parler d’amendements citoyens, commençons simplement par laisser les parlementaires exercer leur mandat dans une relative liberté au lieu de les contraindre à le faire les mains liées dans le dos.

M. Denis Baranger. Dorénavant, je ferai réécrire mes interventions par Cécile Duflot, qui dit les choses bien mieux que moi. Plus sérieusement, je vous suis très reconnaissant, madame Duflot, de porter une parole de vérité au sein de notre groupe de travail : vous m’avez appris mille choses.

Monsieur le président, puisque vous nous avez invités à faire de la philosophie politique, je vais m’y essayer quelques instants. Les consensus et les « dissensus » qui apparaissent au sein de notre groupe de travail sont également intéressants. Ainsi, le fait qu’ait resurgi à plusieurs reprises, au cours de nos dernières réunions, l’opposition entre régime représentatif et quotas, démocratie classique et démocratie rénovée, signifie que nous sommes là face à un dilemme collectif. À l’instar de Cécile Duflot, qui nous confiait il y a quelques instants que nos débats avaient fait évoluer sa position sur certains points, je suis moi-même beaucoup plus hésitant que je ne l’étais au début de nos travaux au sujet de la démocratie représentative. La question de savoir comment rendre nos régimes représentatifs plus démocratiques me paraît en effet extrêmement sérieuse. Nos pays sont, dit-on, des démocraties, mais celles-ci sont en fait, au plan institutionnel, des régimes représentatifs sous contrainte démocratique : la démocratie a une fonction de légitimation et de contestation, mais elle n’est pas massivement institutionnalisée. Cette contrainte démocratique est cependant extrêmement forte et ne peut être esquivée. Ainsi, nous sommes opposés aux quotas – l’universalité est une de nos valeurs cardinales –, mais la discrimination est un problème de première importance. Certes, il revient aux partis politiques d’y remédier, mais s’ils n’agissent pas, que fait-on ? Je crois, quant à moi, que la discrimination est un problème important, et qu’il ne faut pas cesser de remuer le couteau dans la plaie.

On ne se gouverne pas autrement que de manière représentative ; telle est ma conviction profonde. Placez n’importe quel partisan de la démocratie directe dans n’importe quelle position de pouvoir, il sera convaincu de la supériorité du mandat représentatif. Mais je crois également que la sédimentation, pour ne pas dire la fossilisation, produit la radicalisation. Dès lors, si l’on veut être utilement conservateur, c’est-à-dire préserver ce que nos institutions libérales démocratiques et représentatives sont depuis la Révolution, il nous faut réfléchir à leur évolution. S’en tenir à leur état de fossilisation n’est juste pas une option, comme dirait Mme Duflot.

En mai 1968, Paul Léautaud avait lancé aux étudiants qui manifestaient : « Rentrez chez vous, vous finirez tous notaires ! » – il n’avait pas tort. Je dirai, quant à moi : « Sortez dans la rue, manifestez : vous deviendrez de parfaits conservateurs ! » C’est en effet en ouvrant les fenêtres, pour employer le langage du Parti communiste des années 1970, en introduisant plus de liberté dans les institutions que l’on permettra à celles-ci de se stabiliser et de garder leur robustesse. De même que les conseils ou commissions auxquels je participe fonctionnent mieux depuis que, grâce à la parité, des femmes y siègent, de même les institutions fonctionneront mieux lorsqu’y participeront des personnes opposées au système ou hors du système.

Par ailleurs, je souhaiterais que nous liions la question de la représentativité, pour laquelle nous n’avons guère de solutions institutionnelles à proposer, et celle des libertés publiques. En effet, si les possibilités d’expression politique sont restreintes par le droit de la diffamation, si l’on se sait davantage surveillé, s’il est plus difficile de manifester – et c’est le cas – ou de s’exprimer, individuellement et collectivement, en dehors des institutions, alors on est enclin à se taire et la colère politique monte : tout le monde se radicalise et devient, peu ou prou, antisystème ou extra-système. Je ne suis pas très admiratif de l’état actuel des libertés fondamentales dans notre pays. La France est un pays de liberté, certes, mais elle ne l’est pas suffisamment pour être politiquement stable. En somme, Bernard Accoyer et Cécile Duflot : même combat !

Pour le dire plus sérieusement, nombreux sont ceux, de droite et de gauche, de M. Juppé à M. Mélenchon, qui font de la liberté une valeur essentielle. Cette composante libérale de nos institutions est consensuelle, ne la négligeons pas. Encore une fois, la question des libertés fondamentales est profondément liée à celle de la représentation politique et des institutions : si on les sépare, ces dernières se fossiliseront.

M. Alain-Gérard Slama. En attendant le propos définitif de Marie-Anne Cohendet sur le rôle du Président de la République, je souhaiterais faire une première réponse à Michaël Foessel. Si le Président de la République fait l’objet d’un tel désamour si peu de temps après son élection, c’est aussi parce qu’on attend beaucoup de lui. J’observe par ailleurs que, dans toutes les grandes démocraties, le pouvoir est personnifié, que ce soit par un président de la République ou par un premier ministre. Maurice Duverger avait du reste dressé, dans La Monarchie républicaine, un premier bilan fort intéressant de cette évolution. Il faut donc s’interroger sur les raisons de telles attentes et sur l’omniprésence de la fonction présidentielle.

Il me semble que, plus une société est traversée de messages différents au risque de la plus grande cacophonie, plus se fait sentir la nécessité d’une parole qui rassemble ces messages et fixe des repères par rapport auxquels se situer. Am Anfang ist das Wort : le verbe demeure consubstantiel à l’idée même du pouvoir. Je ne crois pas que l’on renforcera la légitimité du Président de la République en limitant ses pouvoirs. En revanche, il faut qu’en contrepartie de son pouvoir de dissoudre l’Assemblée nationale, il puisse être remis en question par cette dernière. Une telle réforme contribuerait, me semble-t-il, à le relégitimer.

J’en viens maintenant à la question des valeurs. Si la diffamation, qu’a évoquée M. Baranger, joue actuellement un tel rôle, c’est parce que, dans notre société, il n’est pas admis de toucher à ce qui constitue, pour une personne, sa propre valeur, jugée inestimable. Ainsi le véritable problème réside-t-il moins, selon moi, dans le communautarisme que dans l’identitarisme, c’est-à-dire l’importance que chacun accorde à l’idée qu’il se fait de lui-même, non pas en tant qu’individu universel, mais en tant que personne singulière dotée d’un certain nombre de caractères : corporatistes, identitaires, ethniques... Voilà le principal moteur de la plainte et de la revendication.

À ce propos, j’espère, monsieur Tusseau, que vous ne vous dites pas que je m’exprime en tant que fils d’un juif et d’une catholique ayant vécu en Tunisie, qui sait donc ce qu’est une société communautarisée et qui, arrivé en France, a trouvé qu’il y respirait mieux parce que ses valeurs sont universelles. De fait, le général de Gaulle est parvenu à mettre fin à la guerre d’Algérie sans que se constitue en France un algérianisme comparable à d’autres revendications identitaires, devenues très dangereuses. Les pieds-noirs auraient très bien pu exprimer des revendications propres ; ils ont retroussé leurs manches, ont travaillé et, aujourd’hui, on ne se pose même pas la question de savoir s’ils se sont intégrés ou non à la société française.

Il est nécessaire de dépasser les particularismes. Ils sont banals aux États-Unis, mais le système déclaratif facilite l’acceptation du principe des quotas et la conscience nationale américaine repose sur le manifest destiny. En France prime l’universalisme, qui a sa valeur, à condition qu’il ne prétende pas à l’impérialisme. Sur ce point, je vous renverrai à Raymond Aron, pour qui les valeurs sont à la fois absolues et contradictoires, notamment parce qu’elles sont historiques. À chaque époque, il faut en effet, sans remettre en cause leur caractère absolu et universel, concevoir différemment leur organisation.

Je pense à la parité, par exemple. Au départ, j’y étais opposé. Mais, trouvant détestable d’être rangé parmi les machistes ou les antiféministes, je l’ai acceptée, au nom de la raison universelle. La parité est en effet peut-être nécessaire, compte tenu du mode de fonctionnement des partis politiques et du conservatisme de la société. Mais elle ne doit pas pour autant devenir un principe intangible : une fois le but atteint, on peut considérer que les mentalités ont évolué et en faire l’économie – nous verrons. Au demeurant, la politique n’est pas sexuée. Mieux vaut peut-être que soit nommé ministre un homme féministe plutôt qu’une femme antiféministe.

En tout cas, on ne peut pas figer dans l’absolu l’interprétation des valeurs que nous considérons comme intangibles, car on risque alors d’être obligé d’y toucher au point de les remettre en cause. À ce propos, je répète que je demeure absolument hostile aux quotas.

Mme Cécile Untermaier. Tout d’abord, je veux rappeler que les institutions sont au service de nos concitoyens, et qu’il convient que nous les entendions, y compris dans le cadre de ce groupe de travail. J’organiserai d’ailleurs prochainement, dans ma circonscription, des ateliers législatifs citoyens afin de connaître le sentiment de la population sur nos travaux.

Nous pouvons agir à différents niveaux : au plan constitutionnel, au plan législatif et au plan réglementaire. Il est du reste possible d’améliorer très rapidement les choses en intervenant en particulier dans l’ingénierie de la fabrique de la loi.

Dans ce domaine, le non-cumul des mandats marque déjà une avancée importante ; nous devons d’ailleurs nous interroger sur ce que sera l’Assemblée nationale une fois qu’il s’appliquera effectivement, à partir de 2017. J’ajoute que la mise en œuvre de cette réforme, qui permettra de démultiplier les forces et de favoriser le renouvellement, doit s’accompagner d’une réflexion sur le non-cumul des mandats locaux, afin de lutter contre les conflits d’intérêts et de favoriser le renouvellement des institutions locales.

Nous pourrions également nous pencher sur ce que j’appellerai le droit gouvernemental. De fait, la loi se fait au Parlement mais aussi au sein de l’exécutif. Or, nous ne connaissons pas précisément la manière dont celui-ci fonctionne dans ce domaine. Les interactions entre pouvoir exécutif et pouvoir législatif sont fortes et souvent opaques : il est indéniable que des pressions s’exercent sur les députés. Nous devons donc trouver, grâce à des dispositions qui relèvent peut-être du simple règlement, les moyens qui leur permettront de s’affranchir de ces pressions et d’exprimer au mieux la volonté des citoyens.

Il est par ailleurs possible de favoriser la démocratie participative, qui est, selon moi, parfaitement complémentaire de la démocratie représentative. À cet égard, le non-cumul des mandats doit permettre aux députés de faire participer à la fabrication de la loi les forces vives de leur territoire. Ils doivent ainsi tenir compte de leur parole, s’en faire l’écho dans les débats qui se tiennent à l’Assemblée nationale et rendre compte de leur action aux personnes qu’ils ont consultées. Quant aux amendements citoyens, il s’agit d’une piste intéressante. Le dispositif doit être strictement encadré, mais il ne faut pas interrompre la démarche initiée par Claude Bartolone. Peut-être l’expérience ne sera-t-elle pas concluante, mais elle mérite d’être menée car nous en tirerons de toute façon des enseignements intéressants. J’ajoute que l’inscription automatique sur les listes électorales serait un moyen simple de faciliter la participation des citoyens aux différentes élections.

Il est beaucoup plus difficile d’agir au plan constitutionnel. Le Sénat dispose en effet d’un droit de blocage qui doit être au cœur de nos réflexions car il fait obstacle à l’adaptation de la Constitution aux exigences de modernisation. Il nous faut, au demeurant, nous interroger sur la composition du Sénat. L’examen du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) démontre en effet combien les conflits d’intérêts sont puissants et peuvent limiter la portée d’une réforme. Comme le dit une de mes collègues, on ne demande pas à la dinde de préparer le repas de Noël. Pourquoi les forces vives du pays – chercheurs, entreprises, agriculteurs… – ne pourraient-elles pas, sans que l’on recoure pour autant aux quotas, être représentées au Sénat, au même titre que les collectivités territoriales ? Enfin, il conviendrait de réfléchir à la réserve parlementaire des sénateurs qui, parce qu’elle alimente directement leurs électeurs, est au cœur d’un conflit d’intérêts beaucoup plus important que celle des députés. Je crois également que le régime de ces derniers et celui des sénateurs devraient être harmonisés.

Je précise cependant que je suis favorable au bicamérisme : le Sénat doit conserver son pouvoir délibératif, mais il doit être profondément rénové. S’il est une réforme constitutionnelle que j’appelle de mes vœux, c’est celle du Sénat, dont le pouvoir de blocage doit être supprimé.

M. Guillaume Tusseau. Je voudrais m’assurer d’avoir été bien compris. Tout d’abord, monsieur Mélin-Soucramanien, j’ai foi en la démocratie, y compris en la démocratie représentative, non pas en tant que juriste, bien entendu, mais en tant que citoyen. Les quotas ne sont évidemment pas une fin en soi. J’ai proposé ce dispositif parmi d’autres, faute de mieux, car il s’agit de faire face à une urgence. J’ajoute qu’il n’est pas exclusif des mécanismes traditionnels de la démocratie représentative.

En ce qui concerne l’identitarisme, je partage en tout point l’opinion d’Alain-Gérard Slama. Il est en effet nécessaire de dépasser les particularismes, les identités. Du reste, la question qui se pose est précisément celle de la capacité offerte aux individus de se penser comme détachés de leur identité et des déterminismes. Or, de ce point de vue, les institutions doivent être repensées, qu’il s’agisse de l’école ou des institutions politiques. En ce qui concerne ces dernières, des dispositifs, qui restent à inventer, doivent permettre aux citoyens muets et invisibles de faire entendre leur voix. L’instauration de quotas est à cet égard une proposition parmi d’autres. Cécile Duflot a, quant à elle, évoqué le scrutin de liste : ce peut être un moyen d’éviter le recours aux quotas, qui ont un caractère stigmatisant et reposent sur des préjugés plus ou moins racistes. Quoi qu’il en soit, c’est en intégrant ce type de dispositifs que les institutions feront entendre les voix aujourd’hui inaudibles et permettront aux individus de dépasser leurs déterminismes.

Mme Marie-Anne Cohendet. Je tiens à remercier à nouveau très chaleureusement les personnes qui ont conçu le questionnaire et nous assistent dans nos travaux, dont je salue la très grande qualité. Aujourd’hui, nous avons surtout entendu s’exprimer la diversité des points de vue, mais les réponses au questionnaire permettront de souligner leur unité car il me semble qu’ont émergé, au fil de nos débats, un certain nombre de points de convergence.

En ce qui concerne le diagnostic, nous étions tous d’accord pour souligner l’existence d’un schisme entre la classe politique et la société civile, la délégitimation des institutions et le sentiment d’exclusion de bon nombre de citoyens. N’oublions pas, à ce propos, qu’en démocratie, ce n’est ni de la population ni du public qu’il est question, mais bien du Peuple. Le Peuple, qu’il s’agit de replacer, dans sa diversité, au centre de nos institutions, grâce à des mécanismes qui seront nécessairement variés. En tout état de cause, la solution consistant à ne rien faire ne me paraît guère raisonnable. Lorsque le navire sombre, l’orchestre peut continuer à jouer, mais il est préférable de se préoccuper de colmater les brèches apparues dans la coque ou de gagner les canots de sauvetage.

Le rejet des institutions a des causes nombreuses, que nous avons identifiées. Certes, celles-ci ne tiennent pas toutes aux institutions – Tocqueville soulignait déjà le rôle des associations dans la société politique. On a évoqué, par exemple, le fonctionnement des services publics : les citoyens « ressentent » l’État lorsqu’à la poste ils ont le sentiment de se trouver face à une machine et non face à un individu. Mais l’ensemble de ces questions sont liées, me semble-t-il, à celle de la représentation du peuple dans sa diversité au sein des différentes institutions, en particulier à l’Assemblée nationale. Les députés, parce qu’ils ne retirent pas forcément eux-mêmes leurs paquets à la poste, n’ont pas toujours suffisamment conscience des problèmes rencontrés par leurs concitoyens.

Faut-il instaurer des quotas ? Privilégier le scrutin de liste ? Plusieurs options se dessinent. Le scrutin de liste peut être un moyen d’inciter les partis politiques, qui ne le font pas, à tenir compte de la diversité ; l’application, au moins à titre provisoire, de quotas permettrait de favoriser la représentation des jeunes, qui ont des compétences que nous n’avons pas. Quoi qu’il en soit, il faut absolument que, par des procédures complémentaires, on fasse entrer le peuple dans les institutions, dont il se sent actuellement complètement exclu.

M. Accoyer a brandi l’épouvantail des Troisième et Quatrième République. On sait que le diagnostic était faux et qu’en conséquence, les remèdes proposés étaient inadéquats. En ce qui concerne la prétendue stabilité de la Cinquième République, je rappelle que la durée de vie moyenne de nos gouvernements, qui est de dix-huit mois, est bien moindre que celle des gouvernements suédois ou luxembourgeois, et que cette stabilité est toute relative lorsqu’un député a une chance sur trois de voir son mandat abrégé car tel est le bon plaisir du Président de la République.

Nous nous accordons sur le fait que l’image du Président de la République est importante en France et qu’il n’est pas question de le jeter aux orties. Il faut, au contraire, lui rendre sa majesté. Or, celle-ci tient davantage à la représentation de l’unité du peuple qu’au fait de courir derrière l’opinion publique au fil des événements. Dans la plupart des démocraties, le pouvoir est, certes, personnifié, mais il est contrôlable et responsable. Tel est le sens des propositions que j’ai faites. Le Président de la République doit redevenir un arbitre placé au centre des institutions, la diversité et l’alternance politiques devant s’incarner dans la figure du Premier ministre, qui est en quelque sorte élu par le peuple dans la mesure où il est issu de la majorité parlementaire.

S’agissant du principe de précaution, il me semble que la majorité d’entre nous considèrent qu’il est fort mal compris mais qu’il ne faut pas y toucher, car il est absolument essentiel. Au demeurant, si nous l’écartions, il s’imposerait à nous par d’autres voies plus sévères, notamment celle du droit international.

En ce qui concerne nos méthodes de travail, il me semble que le questionnaire qui nous a été adressé sera très utile. Cependant, il est important que chacun d’entre nous puisse exprimer, sur une ou deux pages, son point de vue personnel de façon à ce que l’on puisse, dans le rapport général, faire ressortir quelques tendances majeures, qu’il s’agisse du diagnostic ou des remèdes proposés.

M. le président Claude Bartolone. Je dois vous dire, en conclusion de cette avant-dernière réunion, que nos travaux ont fait évoluer ma réflexion. Peut-être est-ce dû en partie au fait que je partage la présidence de notre groupe de travail avec Michel Winock, car je suis de plus en plus convaincu de la nécessité de compléter notre approche des institutions par une analyse historique. Tout à l’heure, je vous faisais remarquer que nous parlions encore de la Constitution de 1958, alors qu’elle n’est plus tout à fait la même qu’à l’époque où elle a été adoptée. Je pourrais ajouter que le choix du scrutin uninominal à deux tours s’est fait dans un contexte politique marqué par la bipolarité : il y avait le Mur, les « rouges » et les « bleus », si je peux résumer ainsi la situation. Depuis, nous avons assisté à l’émergence de pays-continents, du risque environnemental. De fait, nombre de préoccupations n’ont pas été prises en compte dans la Constitution, car elles n’existaient pas.

Du point de vue de nos institutions, il me semble que le mandat du président Chirac, qui représente le sursaut face à la menace de l’extrême-droite, marque une césure entre deux époques : les présidents qui l’ont précédé étaient patinés par l’histoire, ceux qui lui ont succédé sont, selon moi, des enfants de la télé, représentatifs du peuple plutôt que représentants d’un courant historique.

Si ma réflexion a beaucoup évolué – je pense notamment à la question du scrutin uninominal à deux tours –, c’est parce que nul ne sait avec certitude ce que sera le développement humain. C’est également sous cet angle que nous devons nous interroger sur l’évolution de nos institutions. Certes, elles ne permettront pas, à elles seules, de rétablir la confiance, mais au moins ne doivent-elles pas être exclusives. Pour ma part, je ne crois pas du tout à la représentation miroir. Non pas parce qu’elle est complexe, mais parce qu’elle conduirait à un fonctionnement « en silo ». Imaginez en effet la situation dans laquelle nous nous trouverions si le parti écologiste devait être le seul à se préoccuper d’environnement. Il me semble que si des partis devaient se constituer sur une base uniquement religieuse, de sorte que les revendications de nos compatriotes musulmans pratiquants, par exemple, seraient défendues par un seul parti dont ce serait la mission, la démocratie en serait appauvrie.

Nous devons néanmoins répondre à cette question comme à celle, par exemple, du blocage que représente la reproduction des élites, questions qui ne se sont pas posées aux pères fondateurs de la Cinquième République, mais qui bouleversent aujourd’hui les modalités de la représentation et de l’incarnation d’un projet commun. Car tel est peut-être notre Graal : le mécanisme ou le texte qui permettrait de renforcer notre appartenance commune. C’est en tout cas l’objectif du questionnaire que nous vous avons adressé.

Ce questionnaire nous permettra de réaliser, à partir de chacune de vos réponses, une photographie qui servira de point de départ à notre prochaine réunion, qui sera donc plus complexe que celle d’aujourd’hui, dans la mesure où il nous faudra convertir nos particularités en un projet commun.

J’ai remis, il y a quelque temps, au Président de la République un rapport sur l’appartenance citoyenne, et chacun a pu constater que la proposition de rendre le vote obligatoire a éclipsé toutes les autres. Ce risque existe, mais peut-être l’éviterons-nous en insistant sur le récit républicain et institutionnel de ce que nous avons essayé de rechercher ensemble. Sans un tel préambule, il sera en effet difficile de comprendre les hésitations des uns et des autres sur chacune des propositions que contiendra le rapport.

Je vous remercie tous pour votre participation.

La réunion se termine à treize heures cinq.

 


 


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